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    2. Une apologie des oisifs
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    trouver des exemples et opinions, et les exprime sitôt qu’ils lui viennent à l’esprit, à sa propre surprise et pour la plus grande admiration de son adversaire. Toute conversation à bâtons rompus est un feu d’artifice d’ostentation ; et suivant les règles du jeu, chacun accepte et flatte la vanité de son interlocuteur. C’est pour cette raison que nous prenons le risque de nous dévoiler autant, que nous osons faire preuve d’une éloquence si chaleureuse, et que nous acquérons aux yeux les uns des autres une telle envergure. Car les causeurs, une fois lancés, dépassent les limites de leur être ordinaire, s’élèvent jusqu’à la hauteur de leurs prétentions secrètes et se font passer pour ces héros, courageux, pieux, charmeurs et sages que, dans leurs moments les plus glorieux, ils aimeraient tant être. Ainsi érigent-ils en parole un palais de délices qu’ils habitent l’espace d’un moment, un temple doublé d’un théâtre où ils complètent le cercle des grands de ce monde, festoient avec les dieux et goûtent aux plaisirs exquis de la gloire. Et quand la discussion s’achève, chacun va son chemin, ivre de vanité et d’admiration, traînant encore derrière soi des nuées de gloire ; chacun descend des sommets de ses bacchanales idéales, progressivement et en douceur. Je me souviens, à l’entracte d’une matinée musicale, m’être avancé au soleil, dans un quartier où abondaient la verdure et les jardins, au cœur d’une ville romantique ; une fois assis, cigarette à la main, encore habité par la musique, j’eus l’impression que je laissais se dissiper le Vaisseau fantôme (car c’est ce qu’on avait joué) avec une sensation merveilleuse de vivacité, de chaleur, de bien-être et de fierté ; et les bruits de la ville, les voix, les cloches et le son rythmé des pas s’harmonisaient à mes oreilles comme un orchestre symphonique. De la même façon, l’effervescence d’une bonne conversation se ressent encore longtemps après dans le sang, on en garde le cœur battant, l’esprit en ébullition, et la terre danse autour de vous, dans les couleurs du soleil couchant.

    La causerie spontanée, comme la charrue, devrait retourner de larges pans de vie, et non creuser des galeries dans les strates géologiques. Un amoncellement d’expérience, d’anecdotes, d’incidents, un feu croisé de citations et d’exemples historiques, bref tout ce qui remonte à la surface quand on force sans relâche deux esprits à examiner le sujet abordé sous tous les angles possibles, et en passant par tous les degrés d’élévation spirituelle ou d’avilissement – voilà le matériau qui fortifie la causerie, la nourriture qui sustente les causeurs. Le raisonnement propre à cet exercice n’en doit pas moins être bref et saisissant. La conversation devrait s’appuyer sur des exemples ; elle devrait préférer le mot juste à son interprétation. Elle se doit de rester bienveillante, proche du cœur et des affaires humaines, au niveau où l’histoire, la fiction et l’expérience se rencontrent et s’éclairent mutuellement. Je suis Moi, et Vous êtes Vous, autant que vous voudrez. Mais imaginez à quel point toutes ces pauvres propositions se transforment et s’épanouissent quand, au lieu de mots, c’est vous et moi en personne qui nous asseyons côte à côte, l’esprit contenu dans notre corps de chair et d’os, et avec nos vêtements comme autant de voix corroborant l’histoire que nous lisons sur le visage de l’autre. Tout aussi surprenant est le changement qui survient quand nous nous arrêtons de parler de généralités – les bons, les méchants, les avares et tous les caractères de Théophraste – pour évoquer d’autres hommes par des anecdotes ou des exemples, dans leurs manies et dans leurs singularités ; ou quand, nous appuyant sur un savoir commun, nous nous renvoyons à la tête des noms célèbres, encore tout chatoyants des couleurs de la vie. La communication n’est plus affaire de mots ; des biographies entières, des épopées, des systèmes philosophiques et des périodes historiques défilent en vrac sous forme d’exemples. Ce qui est compris dépasse ce qui est dit en quantité comme en qualité, les idées ainsi illustrées et personnifiées passent de mains en mains, comme de la monnaie, pour ainsi dire ; les pensées les plus obscures et les plus complexes sont alors tout naturellement sous-entendues. Ainsi des étrangers qui ont beaucoup de lectures communes, plongeront d’autant plus vite au cœur d’une véritable conversation. Si Othello et Napoléon, Consuelo et Clarisse Harlowe, Vautrin et Steenie Steenson sont pour eux des personnages familiers, ils sauteront les généralités pour en venir tout de suite aux exemples.

    Le comportement et l’art sont les deux sujets les plus souvent abordés, et ils englobent le plus grand éventail de faits. Quelques plaisirs offrent en eux-mêmes matière à discussion, mais uniquement les plus sociaux ou les plus profondément humains ; encore doivent-ils être abordés entre initiés. Un expert se réjouit de débattre de questions techniques, qu’il s’agisse d’athlétisme, d’art ou de droit ; j’ai entendu les meilleures conversations de ce genre entre ces heureux mortels, si rares, qui aiment et connaissent à la fois leur activité. Personne n’a jamais parlé du paysage pendant plus de deux minutes d’affilée, ce qui me laisse à penser qu’il en est beaucoup trop question dans la littérature. On considère le temps qu’il fait comme le nadir du ridicule en matière de conversation. Et pourtant le temps, la dimension théâtrale du paysage, est beaucoup plus facile à évoquer et beaucoup plus humain, dans sa réalité comme dans ce qu’il suggère, que les éléments stables du paysage. Les marins et les bergers, les habitants des côtes et ceux des montagnes savent fort bien en parler ; et la littérature en traite souvent de façon passionnante. Mais toute conversation animée a tendance à revenir sans cesse au sujet commun qu’est l’homme. La conversation est une créature des rues et des marchés, qui se nourrit de commérages ; et en dernier ressort, elle reste une discussion sur la morale. C’est là la forme héroïque du commérage, héroïque en raison de ses hautes prétentions ; mais commérage quand même, car elle prend pour cible des personnalités. Il est impossible d’éloigner longtemps les hommes – et en aucun cas les Écossais – des discussions théologiques et morales. Elles sont au commun des mortels ce que le droit est à l’avocat ; ce sont les questions techniques de tout un chacun ; le prisme à travers lequel ils voient la vie, et le dialecte dans lequel ils expriment leur jugement. J’ai connu trois jeunes gens qui se sont promenés ensemble chaque jour deux mois durant dans une majestueuse forêt, par un été sans nuage ; ils avaient chaque jour des discussions enfiévrées, sans pour autant jamais s’aventurer à parler d’autre chose que d’amour et de théologie. Et il se peut bien que nulle cour d’amour ou assemblée de théologiens n’eût admis leurs prémisses ou accueilli favorablement leurs conclusions.

    À la vérité, il est rare qu’une conversation aboutisse à une conclusion – pas plus que la réflexion personnelle. Là n’est pas l’intérêt. Celui-ci réside dans l’exercice même, et surtout dans l’expérience ; car, lorsque nous faisons de grands raisonnements sur quelque sujet que ce soit, nous passons en revue notre situation et notre histoire personnelles. De temps en temps, cependant, et surtout, je pense, lorsqu’il s’agit d’art, la conversation devient tranchante et belliqueuse, elle repousse les frontières de la connaissance comme le ferait une mission d’exploration. Une question se présente. Elle prend un tour problématique, déconcertant, et pourtant prometteur. Les causeurs commencent à avoir le net pressentiment qu’une conclusion est à portée de main ; ils s’efforcent de s’en rapprocher avec une ardeur contagieuse, chacun à sa façon, et se battent pour parler le premier –, puis quelqu’un, d’un bond, parvient au sommet de la question en lâchant un cri, rejoint, presque aussitôt, par un second ; et tenez, les voilà tous d’accord. Bien souvent le progrès est illusoire ; un simple macramé verbal tissé et aussitôt défait. Mais le sentiment d’une découverte commune n’en est pas moins vertigineux et encourageant. Et dans la vie d’un causeur, ces triomphes, pour imaginaires qu’ils soient, sont légion ; on les atteint avec célérité et plaisir, dans un moment de gaieté ; et de par la nature même de la chose, ils sont toujours partagés dignement.

    C’est à une certaine disposition, à la fois combative et courtoise, belliqueuse, mais point querelleuse, que l’on reconnaît immédiatement le causeur. Ce n’est pas l’éloquence, ni l’équité, ni l’obstination, mais un mélange savamment dosé de toutes ces qualités que j’aime à rencontrer chez mes sympathiques adversaires. Je ne veux pas de pontifes doctrinaires mais des chasseurs en quête d’éléments de la vérité. Je ne veux pas non plus d’écoliers à instruire, mais des collègues professeurs avec qui je peux me disputer et m’entendre sur un pied d’égalité. Nous devons parvenir à une solution, à l’ombre d’un accord ; sans cela, une discussion passionnée devient une torture. Mais nous ne voulons pas y parvenir au rabais ou trop rapidement, sans la lutte et l’effort qui en font tout le plaisir.

    À mes yeux, le meilleur causeur est un homme que j’appellerai Jack l’Éclair. Je le considère comme tel parce que je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui mélangeât avec tant de libéralité tous les ingrédients de la conversation. Selon le proverbe espagnol, il faut quatre hommes pour faire une salade composée, et le quatrième est un fou qui la mélange. Ce fou, c’est Jack. Je ne sais ce qui est le plus remarquable ; la lucidité insensée de ses conclusions, l’éloquence pleine d’humour de son verbe, ou la force de sa méthode, qui consiste à faire passer l’existence dans son ensemble sous la loupe du sujet abordé, et à mélanger la salade de

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