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    2. Ulysses
    3. Chapitre 93
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    d’une fervente adepte de Dame la Mode car elle avait pensé qu’il se pourrait qu’il puisse être de sortie. Une blouse bien coupée, d’un bleu électrique, qu’elle avait teinte elle-même avec des boules colorantes (parce qu’il était pronostiqué dans Point de vue des Dames13 que le bleu électrique allait faire fureur) avec un charmant décolleté en V descendant sur la gorge et une pochette pour le mouchoir (dans laquelle elle plaçait toujours un bout de coton imprégné de son parfum favori puisque de toute façon le mouchoir cassait la ligne) et une jupe trois quarts bleu marine, coupée sur mesure afin de souligner parfaitement l’élégance de sa silhouette. Elle portait un coquet petit amour de chapeau à large bord en paille tête de nègre sur laquelle contrastaient une résille de chenille bleu canard et sur le côté un nœud papillon du même ton. Tout l’après-midi du mardi elle s’était mise en quête de cette chenille et enfin elle avait trouvé ce qu’elle voulait aux soldes d’été de chez Clery, pile exactement, un peu chiffonnée sans doute mais pas au point qu’on puisse le remarquer, sept doigts à deux shillings un penny. Elle l’avait entièrement monté elle-même et quelle n’avait pas été sa joie quand elle l’avait essayé, souriant au ravissant reflet que lui renvoyait le miroir ! Et quand elle le posa sur le pot à eau afin qu’il gardât sa forme elle le savait bien qu’il allait ôter l’envie de sourire à certaine personne qu’elle savait bien. Ses souliers étaient ce qui se faisait de plus nouveau dans le genre (Edy Boardman se rengorgeait de sa petite pointure mais pour avoir un pied comme Gerty MacDowell, du trente-cinq, elle pouvait toujours courir) avec des bouts vernis et une boucle très chic vers son cou-de-pied bellement arqué. Ses chevilles faites au tour offraient leur confondante finesse au bord de sa jupe et juste ce qu’il convenait de montrer, pas plus, de ses sveltes jambes gainées de bas fins à talons et revers renforcés. Quant aux dessous ils étaient le souci majeur de Gerty et qui donc au courant des fébriles espoirs et hantises exquises de la dix septième année (encore que Gerty ne fût plus en mesure de la revoir jamais) pourrait en son âme et conscience trouver là de quoi la blâmer ? Elle possédait quatre parures fort mignonnes, avec des jours joliment folichons, trois pièces et les chemises de nuit en plus, et chaque parure était agrémentée de rubans de couleurs différentes passés dans les trou-trous, rose pâle, bleu ciel, mauve, vert pomme, et c’est elle-même qui les séchait et les passait au bleu quand elles revenaient de la blanchisserie et qui les repassait et elle avait même un briqueton pour déposer son fer car elle ne pouvait faire confiance à ces blanchisseuses il fallait voir comme elles massacraient les affaires. Elle avait mis la bleue, ça porte bonheur, espérant contre tout espoir, le bleu était sa couleur préférée et aussi la couleur de la chance pour une mariée qui doit avoir quelque chose de bleu14 sur elle parce que la verte qu’elle portait il y avait huit jours lui avait apporté du chagrin parce que son père l’avait retenu pour préparer le concours de bourses et parce qu’elle pensait que peut-être il pourrait sortir aujourd’hui parce que quand elle s’était habillée ce matin elle avait été sur le point de mettre son vieux panty à l’envers et que cela porte chance et annonce une rencontre amoureuse si vous enfilez ces choses à l’envers à condition que ce ne soit pas un vendredi.

    Et pourtant et pourtant ! Quelle expression tendue sur son visage ! Une inquiétude la ronge et ne la lâche pas. Toute son agitation intérieure se livre là, dans ses yeux, et elle donnerait tout au monde pour se retrouver dans l’intimité de sa chambre où, donnant libre cours à ses larmes, elle pourrait pleurer tout son soûl et ouvrir la bonde à ses sentiments refoulés. Point trop cependant parce qu’elle savait sangloter devant un miroir. Vous méritez d’être aimée, Gerty, dirait-il. La pâle lumière du soir tombe sur son visage marqué d’une tristesse sans fin et sans espoir. Gerty MacDowell soupire en vain. Oui, elle a su depuis le début que son rêve éveillé de mariage arrangé avec cloches nuptiales carillonnant pour Mme Reggy Wylie T.C.D. (car c’est celle qui épousera le frère aîné qui sera Mme Wylie) et recension dans le courrier mondain signalant que Mme Gertrude Wylie portait une somptueuse toilette grise garnie d’un onéreux renard bleu, que ce rêve ne se réaliserait jamais. Il était trop jeune pour comprendre. Il ne pouvait avoir le sens de l’amour, privilège inné de la femme. Le soir de la fête chez les Stoers il y a déjà longtemps (il portait encore des culottes courtes) quand ils s’étaient retrouvés seuls et qu’il avait passé un bras autour de sa taille elle était devenue blanche comme un linge. Il l’avait appelée mon petit bout d’une voix étrangement étouffée et lui avait donné un demi baiser (le premier !) mais c’était seulement sur le bout du nez et il s’était hâté aussitôt de filer en invoquant quelque chose à propos des boissons. Quel tempérament fougueux ! La force de caractère n’avait jamais été le point fort de Reggy Wylie et celui-là seul séduira et épousera Gerty MacDowell qui se révélera un homme entre les hommes. Mais attendre, toujours attendre d’être demandée et l’on était en plus une année bissextile et elle allait passer bien vite15. Ce n’est pas un prince charmant son idéal qui déposerait à ses pieds un amour absolu et merveilleux mais plutôt un homme viril, dont le visage exprime la force et le calme, qui n’a pas encore trouvé son idéal, peut-être sa chevelure est-elle parsemée de distingués fils d’argent, et qui la comprendrait, et qui la prendrait dans ses bras protecteurs, et qui la serrerait contre lui avec toute l’ardeur de sa nature profondément passionnée et qui la rassurerait d’un long long baiser. Ce serait comme le paradis. Tel est celui auquel elle aspire dans les fragrances de cette soirée d’été. De tout son cœur elle s’impatiente d’être toute à lui, sa compagne indéfectiblement liée à lui pour le meilleur et pour le pire, dans la tristesse et dans la joie, jusqu’à ce que la mort nous sépare, à partir de ce jour et dans la suite16.

    Et tandis qu’Edy Boardman s’occupait du petit Tommy derrière la poussette elle se demandait si le jour viendrait jamais où elle pourrait se dire sur le point d’être sa petite femme. C’est alors qu’elles pourraient bien jaser sur son compte jusqu’à en devenir bleues de rage, Bertha Supple aussi, et Edy, ce petit dragon, parce qu’elle va avoir vingt-deux ans en novembre. Elle serait aux petits soins pour lui et saurait aussi flatter ses désirs car Gerty était une femme vraiment femme et savait combien un homme un vrai aimait à se sentir choyé. Le doré croustillant de ses petits sablés et le moelleux fondant de son pudding Reine-Anne lui avaient valu une réputation de cordonbleu auprès de tous car elle avait aussi le coup de main pour allumer le feu, saupoudrer la farine mêlée de levure et tourner toujours dans le même sens et alors faire mousser le lait et sucre et bien battre les blancs pourtant elle n’aimait pas manger devant les gens cela l’intimidait et souvent elle se demandait pourquoi il n’était pas possible de consommer des denrées plus poétiques comme des violettes ou des roses et ils auraient un salon somptueusement aménagé avec des tableaux et des gravures et la photographie de l’adorable chien de grand-papa Giltrap, Garryowen auquel il ne manquait que la parole, il avait tellement figure humaine, et des housses de cretonne pour les fauteuils et ce porte-toast en argent qu’elle avait vu dans le capharnaiim des soldes d’été chez Clery comme ils ont les riches dans leurs demeures. Il serait grand avec de larges épaules (depuis toujours pour elle un époux était un homme grand) et des dents blanches qui étincelleraient sous sa moustache fournie tombante et bien taillée et ils iraient sur le continent pour leur lune de miel (trois semaines de rêve !) et puis, une fois installés dans le petit nid d’amour que serait leur charmant petit cottage, tous les matins ils prendraient leur p’tit déj ensemble, simple mais parfaitement servi, rien que pour eux deux, et avant qu’il ne se rendît à ses affaires il donnerait à sa petite femme adorée un bon gros câlin et son regard s’attarderait un instant au plus profond de ses yeux.

    Edy Boardman demanda à Tommy Caffrey s’il avait fini et il dit oui, alors elle lui reboutonna sa petite culotte et lui dit de se dépêcher d’aller jouer avec Jacky et d’être sage maintenant et de ne plus se battre. Mais Tommy dit qu’il voulait le ballon et Edy lui rétorqua que non que le bébé jouait avec et que si on le lui prenait il ferait du grabuge mais Tommy dit que c’était son ballon et qu’il voulait son ballon et il tapait des pieds s’il vous plaît. Quel caractère ! Ah ça, pour être un homme c’était un homme le petit Tommy Caffrey depuis qu’il ne portait plus la barboteuse. Edy lui dit que non, non, et d’aller jouer maintenant et elle enjoignait Cissy Caffrey de ne pas lui céder.

    — Tu n’es pas ma sœur, maugréa Tommy. Et c’est mon ballon.

    Mais Cissy Caffrey dit au bébé Boardman de regarder là-haut, tout là-haut au bout de son doigt et elle attrapa le ballon en vitesse et le fit rouler

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    Tags:
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