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    2. Ulysses
    3. Chapitre 8
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    joufflu aux yeux mobiles d’un bleu fumée.

    — Ce type avec qui j’étais au Ship hier soir, fit Buck Mulligan, dit que tu es atteint de p. g. Il travaille à Dingopolis22 avec Conolly Norman. Paralysie générale23.

    Il fit décrire dans l’air à son miroir un demi-cercle pour signaler au monde la grande nouvelle dans le soleil rayonnant maintenant sur la mer. Le retroussis de ses lèvres rasées riait et le fil de ses éclatantes dents blanches. Le rire s’empara de tout son torse solide et bien bâti.

    — Regarde-toi, dit-il, espèce de barde à la manque.

    Stephen se pencha et scruta le miroir qu’on lui tendait, traversé par une fêlure en zigzag, le cheveu dressé sur la tête. Tel que lui et les autres me voient. Qui m’a choisi ce visage ? Ce corniaud qu’il faut épucer. Il me le demande aussi.

    — Je l’ai piqué dans la chambre de la bonniche, dit Buck Mulligan. C’est bien fait pour elle. La tante a toujours des domestiques moches à l’intention de Malachie. Ne l’induisez pas en tentation. Et elle a pour nom Ursule.

    Se remettant à rire, il éloigna le miroir des yeux scrutateurs de Stephen.

    — La rage qui s’empare de Caliban quand il ne voit pas son visage dans le miroir24. Si Wilde était seulement en vie pour te voir.

    Se reculant, et le doigt pointé, Stephen dit amèrement :

    — C’est un symbole de l’art irlandais. Le miroir fêlé d’une servante25.

    Buck Mulligan tout à coup passa son bras dans celui de Stephen et déambula avec lui autour de la plate-forme, rasoir et miroir cliquetant dans la poche où il les avait fourrés.

    — Ça n’est pas bien de te mettre en boîte comme ça, hein, Kinch ? dit-il gentiment. Dieu sait que tu as plus de caractère qu’aucun d’entre eux.

    Encore paré. Il craint le bistouri de mon art tout comme je redoute celui du sien. La froide plume d’acier.

    — Miroir fêlé d’une servante. Raconte ça en bas à l’espèce de bovin d’Oxford et tape-le d’une guinée. Il pue le fric et considère que tu n’es pas un gentleman. Son vieux a fait sa thune en vendant de l’huile de ricin aux Zoulous ou une de ces arnaques à la con. Bon dieu, Kinch, si toi et moi on pouvait seulement travailler ensemble on arriverait peut-être à faire quelque chose pour l’île. L’helléniser26.

    Le bras de Cranly. Son bras.

    — Et penser que tu es obligé de mendier devant ces porcs. Je suis le seul à savoir ce que tu es. Pourquoi n’as-tu pas plus confiance en moi ? Pourquoi m’as-tu dans le nez ? Est-ce que c’est Haines ? S’il fait le moindre boucan ici je ferai venir Seymour et on lui fera un bizutage encore pire que les autres avec Clive Kempthorpe.

    Cris juvéniles de voix friquées dans la turne de Clive Kempthorpe. Visages pâles : ils se tiennent les côtes de rire, s’accrochant les uns aux autres, Ô, j’expire ! Qu’on lui apprenne la nouvelle avec ménagements, Aubrey27 ! C’est à mourir ! Les pans de chemise coupés en rubans battant l’air il sautille à cloche-pied autour de la table, le pantalon sur les talons, poursuivi par Ades, de Magdalen College, armé de ciseaux de tailleur. Visage de veau épouvanté doré à la marmelade d’orange. Je veux pas qu’on me déculotte ! Je suis pas du bétail !

    Des cris venus de la fenêtre ouverte qui répandent l’alarme dans le soir de la cour d’honneur. Un jardinier sourd, avec son tablier, portant sur son visage le masque de Matthew Arnold, pousse sa tondeuse sur la sombre pelouse en surveillant de près la danse des fétus d’herbe28.

    À nousautres29… nouveau paganisme30… omphalos.

    — Qu’il reste, fit Stephen. Il n’y a rien à lui reprocher sauf la nuit.

    — Alors, qu’est-ce que c’est ? demanda Buck Mulligan impatiemment. Crache le morceau. Je suis tout à fait franc avec toi. Qu’est-ce que tu as contre moi maintenant ?

    Ils s’arrêtèrent, le regard tourné vers le promontoire obtus de Bray posé sur l’eau tel le museau d’une baleine endormie. Stephen libéra son bras tranquillement.

    — Souhaites-tu que je te le dise ? demanda-t-il.

    — Oui, qu’est-ce que c’est ? répondit Buck Mulligan. Je ne me souviens de rien.

    Il scrutait le visage de Stephen tout en parlant. Un vent léger balaya son front, éventant doucement ses cheveux blonds nonpeignés et agitant dans ses yeux les points argentés de son anxiété.

    Stephen, déprimé par sa propre voix, fit :

    — Te souviens-tu du premier jour où je suis allé chez toi après la mort de ma mère ?

    Buck Mulligan fronça vivement les sourcils et dit :

    — Quoi ? Où ? Je ne peux me souvenir de rien. Je ne me souviens que des idées et des sensations31. Pourquoi ? Au nom du ciel, qu’est-ce qui s’est passé ?

    — Tu faisais le thé, dit Stephen, et tu as traversé le palier pour aller chercher un peu plus d’eau chaude. Ta mère et quelque visite sortaient du salon. Elle t’a demandé qui était dans ta chambre.

    — Oui, fit Buck Mulligan. Qu’est-ce que j’ai dit ? J’ai oublié.

    — Tu as dit, répondit Stephen, Oh, c’est seulement Dedalus dont la mère est crevée comme une bête.

    Une rougeur qui le fit paraître plus jeune et plus engageant monta aux joues de Buck Mulligan.

    — Ai-je dit cela ? demanda-t-il. Eh bien ? Quel mal y a-t-il ?

    Nerveusement, il se débarrassait de la gêne qui l’avait envahi.

    — Et qu’est-ce que la mort, demanda-t-il, celle de ta mère ou la tienne ou la mienne ? Tu n’as vu mourir que ta mère. Moi, tous les jours je les vois claquer au Mater et au Richmond et être découpés en rondelles dans les salles de dissection. Comme des bêtes, c’est tout. C’est sans la moindre importance. Tu n’as pas voulu te mettre à genoux et prier pour ta mère sur son lit de mort quand elle te l’a demandé. Pourquoi ? Parce que tu as en toi ce maudit esprit jésuite, à ça près qu’on te l’a injecté de travers. Pour moi, tout ça n’est que dérision et animalité. Ses lobes cérébraux ne fonctionnent pas. Elle appelle le docteur Sir Peter Teazle32 et cueille des boutons d’or sur son édredon33. Fais-lui plaisir tant que tout n’est pas fini. Tu t’es mis en travers de son ultime désir et pourtant tu me boudes parce que je ne gémis pas comme un croque-mort de chez Lalouette34. Absurde ! J’ai dû le dire, effectivement. Je n’entendais pas offenser la mémoire de ta mère.

    Il s’était enhardi à mesure qu’il parlait. Stephen, protégeant les blessures béantes que ces paroles avaient laissées dans son cœur, dit très froidement :

    — Je ne songe pas à l’offense faite à ma mère.

    — À quoi donc, alors ? demanda Buck Mulligan.

    — À l’offense qui m’est faite à moi, répondit Stephen.

    Buck Mulligan tourna sur ses talons.

    — Ah, quel être impossible ! s’exclama-t-il.

    Il fit rapidement le tour du parapet. Stephen resta à son poste, à contempler la mer calme en direction du promontoire. Mer et promontoire se faisaient maintenant indistincts. Ses yeux étaient en proie à des pulsations qui voilaient leur vision et il éprouvait la fièvre qui avait envahi ses joues.

    Une voix venue de l’intérieur de la tour appela bruyamment :

    — Es-tu là-haut, Mulligan ?

    — J’arrive, répondit Buck Mulligan.

    Il se tourna vers Stephen et dit :

    — Regarde la mer. Elle se fiche pas mal des offenses. Laisse tomber Loyola, Kinch, et descends donc. La Saxonnerie veut ses tranches de bacon matinales.

    Sa tête fit à nouveau une pause un instant en haut de l’escalier, de niveau avec le toit.

    — Ne passe pas ton temps à broyer du noir35, dit-il. Je suis inconséquent. Laisse tomber, assez de ruminations moroses.

    Sa tête disparut mais le bourdon de sa voix qui descendait jaillissait, ronflante, de la gueule de l’escalier.

    Ne te détourne plus, ni ne rumine

    L’amer mystère de l’amour,

    Car Fergus commande aux chars d’airain36.

    Venues de cet escalier des ombresylvestres traversèrent silencieusement, flottantes, la paix matinale, se dirigeant vers la haute mer qu’il contemplait. Tout près du bord, et plus loin encore, le miroir des eaux blanchit, piétiné par le pas pressé de légères sandales. Sein blanc de la mer indécise. Ces accents enlacés, deux par deux. Une main qui pince les cordes de harpe, mêlant leurs accords enlacés. Mots mariés, blancvagues, miroitant sur la marée indécise.

    Un nuage se mit à couvrir le soleil lentement, totalement ombrant la baie d’un vert plus profond. Il se trouvait au-dessous de lui, ce bol d’eaux amères37. La chanson de Fergus : je la chantais, seul dans la maison, soutenant les longs accords sombres. Sa porte était ouverte : elle voulait entendre ma musique. Réduit au silence par l’effroi et la pitié je suis allé à son chevet. Elle pleurait dans son lit misérable. Pour ces mots, Stephen : l’amer mystère de l’amour.

    Où donc maintenant ?

    Ses secrets à elle : vieux éventails de plume, carnets de bal à pompons, poudrés de musc, une parure de perles d’ambre dans son tiroir fermé à clé. Une cage à oiseaux pendue à la fenêtre ensoleillée de sa maison quand elle était petite fille. Elle avait entendu le vieux Royce38 chanter dans la pantomime de Turco le terrible39 et ri avec les autres quand il chantait :

    Je suis le petit gars

    Qui se flatte, n’est-ce pas ?

    D’être invisible.

    Gaieté fantasmatique, rangée loin des regards : parfumée-au-musc.

    Ne te détourne plus, ni ne rumine.

    Rangée loin des regards sous la mémoire de la nature40 avec ses jouets. Des sous-venirs assaillaient son cerveau en pleine rumination, Son verre d’eau pris au robinet de la cuisine quand elle avait reçu les sacrements. Une pomme évidée, remplie de cassonade, rôtissant à son intention au bord du foyer par une sombre soirée d’automne. Ses ongles fuselés rougis

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