et fieffés coquins et Bloom est le pire de tous, lui l’impuissant, lui le bandant mou et peu longtemps, lui qui n’a depuis dix ans pas éjaculé une seule fois dans le large con s’offrant, toutes positions non défendues, tous excès admis même les plus vicieux, tant Molly Bloom est libertaire, libertine, libre en son corps comme en ses pensées ; elle aime la fornication et que se fasse long le coït et qu’il se fasse profond à en avoir mal, des heures et des heures de plaisir, comme chienne et chien, comme truie et verrat, comme guenon et singe, par-devant, par-derrière, à coup de langue ou à coups de boutoir, et pourquoi pas du bout du pied tant qu’à y être, si ça donne les grands frissons et les grandes chaleurs, pourquoi s’en priver et pourquoi Léopold Bloom l’en prive-t-elle, ce grand parleur juif, loquace comme la Torah, mais si silencieux en son membre si peu viril ?
Molly Bloom déteste jouer à la mère, à la femme de maison et à la garde-malade, elle méprise les hommes qui épousent leurs mamans, qui se marient pour prendre servante et non pas femme, qui jouissent quand ils sont malades parce que viennent vers eux le bouillon de poulet, la bouillotte d’eau chaude, la bouillie sucrée, comme quand ils étaient enfants, avec rage de dents, oreillons, clous enfoncés dans le pied, coupures à la cuisse ou morsures de chien à l’avant-bras ; et plus ça grandit, et plus ça devient hypocrite, et plus ça devient vicieux, et plus ça regarde bas la femme, à hauteur de cons et de fesses, et ça ne se rend même pas compte quand on se gausse d’eux, telle cette souillon de Mary, bonne à tout faire du temps qu’on habitait Ontario Terrace, et qui rembourrait son faux derrière pour exciter Bloom toujours en train de zieuter l’arrière-train de l’aguicheuse, un torchon pareil parce qu’il ne peut pas se passer d’être vicieux et il doit le faire ailleurs et la dernière fois qu’il a déchargé entre mes fesses quand était-ce la nuit que Boylan m’a tant serré la main en marchant le long de la Tokla mets ta main dans la mienne je n’ai fait que presser le dos de la sienne comme ça avec mon pouce pour répondre en chantant Ô réponds à mes caresses.
Ainsi donc, lascivement allongée auprès de Bloom, cette rêvassante Molly mal mariée, qui, dès le début aurait dû savoir quelle le serait, car Bloom est comme tous les hommes dont la virilité se consume en vicieuses manies : Molly a dû prendre les devants, montrer son cul et son con, exciter Bloom, lui prendre la queue, et le masturber parce que, sinon, il ne se serait rien passé, que de la niaiserie fétichiste, mets des jarretières, enfile ces bottes et macule-les de boue, puis monte dans le lit et excite-moi, j’aime voir quand c’est sale, j’aime entendre quand c’est sale, chie dans ta petite culotte et donne-la moi à sentir tout en me fouettant de mots en forme de couilles de verrat, en forme de culs de chèvre, en forme de grosses langues sales des vaches du Soleil. La merde et les odeurs de la merde, voilà le summum de l’amour pour Bloom, tandis qu’avec Dache Boylan les choses sont si naturellement romantiques et si naturellement viriles, de la bonne baise tout simplement, aussi agréable qu’une chanson d’opéra.
Un hic toutefois en cet ultime chapitre d’Ulysse. Si Molly ne cesse de dénoncer le voyeurisme, le fétichisme et la saleté qui entourent Bloom dans ses relations sexuelles, comme en un bourbier fangeux et malodorant, elle n’échappe pas elle-même à la déviance. Serait-ce à cause de Joyce qui n’oublie jamais qu’il est Joyce, ou bien Molly se trompe-t-elle sur la nature profonde de sa sexualité ? Quand elle prend plaisir à se confesser de ses péchés de sexe au grand vicaire à cou de taureau qui en bande sous sa soutane, quand elle avoue quelle aime par-dessus tout être violemment foutue par derrière, quelle rêve de sucer une grosse queue de nègre, parle-t-elle toujours d’elle ou bien subit-elle l’influence de Bloom, voire celle, corruptrice, de Joyce ? Sa voyagerie nocturne, entre les images-balises qu’elle laisse venir à elle, qui vont du mythe de la Vierge-Marie à celui de la putain pouffiasse et pauvresse, rend-elle compte de son entité vraie ou n’est-elle que la vision portée sur elle par Joyce ? Ainsi ce passage étonnant, quand Molly a mis Milly au monde et quelle avait tant de lait dans ses seins que j’étais forcée de les lui faire téter ils étaient si durs Bloom disait que c’était plus sucré et plus épais que les vaches et puis après il voulait me traire il disait que j’aurais pu gagner une livre par semaine comme nourrice. Et ajoute, délirante Molly : Ça ne me déplairait pas d’être un homme et de monter sur une jolie femme, quoique cette jolie femme-là pourrait bien être Stephen Dédalus, par retournement du sens et des sens, Molly étant dans sa période de fertilité, son sang coulant entre ses cuisses, ce qui déclenche toujours chez elle le formidable désir de s’accoupler, n’importe qui pourrait faire l’affaire, tous les hommes, rien d’autre qu’une queue peut-être vert-pituite à l’intérieur.
La question qui se pose en finale de l’ultime chapitre d’Ulysse : Pourquoi Molly, si désenchantée de Bloom, si rêveuse de vivre autrement, avec un homme qui ne la prendrait pas comme un vil objet, vite dedans le piston et vite sorti, ne refait-elle pas sa vie ? Pourquoi ne quitte-t-elle pas Bloom et ne part-elle pas avec Dache Boylan qui lui propose mer et monde, notamment d’en faire une diva sur les grandes scènes d’opéra d’Irlande, cantatrice renommée, peut-être même célébrée à Londres, à Paris, à Venise et à New York ? Ou séduire Stephen Dédalus, si jeune poète, qui deviendra riche, dont tous les journaux publieront la photographie, et je me tiendrais à côté de lui et je serais riche et célèbre aussi, quelle belle vie ça serait au lieu de celle de maintenant, avec huileux Bloom qui ne prend même pas un bain par année, qui m’embrasse le derrière, qui couche avec moi tête-bêche parce qu’il aime l’odeur de mes vents : Ça serait vraiment mieux si le monde était gouverné par les femmes vous ne verriez pas les femmes se massacrer et s’égorger. A-t-on jamais vu les femmes rouler les rues en tanguant saoules comme ils font ni jouer jusqu’à leur dernier sou et perdre tout leur argent aux courses oui c’est parce qu’une femme quoi quelle fasse elle sait s’arrêter à temps sûrement sans nous ils ne seraient pas au monde ils ne savent pas ce que c’est qu’être une femme et une mère où seraient-ils tous s’ils n’avaient pas eu pour prendre soin d’eux une mère que je n’ai pas eue, car comme Nora Barnacle, Molly fut abandonnée par la sienne et ne s’en est pas remise, de quoi comprendre quelle puisse être aussi lascive presque toujours, et paresseuse, et parfois hystérique, telle Pénélope au retour d’Ulysse, à ceci près pourtant : une fois réconciliés, Pénélope et Ulysse font comme des dieux l’amour, toute une nuit, à rendre jaloux le Haut-Tonnant, à rendre fou de désir l’Ébranleur de la Terre, tandis que dans cette chambre du 7 Eccles street, huileux Bloom dort, ses pieds sales dans le visage de Molly, ce n’est pas de ma faute si je suis une hurluberlue, je le sais que je le suis un peu, mais c’est entièrement sa faute à Léopold si je suis une femme adultère comme le type du poulailler disait, il n’avait, le huileux Bloom, qu’à rester comme il était quand lui et Molly se sont rencontrés, charmé et charmeur, bien mis de sa personne, si intentionné, si attentionné, beau parleur parce que connaissant tant de choses, si rêveur en ce temps-là aussi, persuadé qu’à lui seul il pourrait changer le monde, le rendre juste et équitable pour tous, pour ainsi dire éternel dans la joie. C’était sur les rochers de Gibraltar, il y avait déjà longtemps, devant la mer, mer écarlate quelquefois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuiers dans les jardins de l’Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand jetais jeune fille et une Fleur de la montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles andalouses et comme il ma embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu’un autre et j’ai dit oui, oui je veux bien, oui.
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La lecture de Nabokov
Il est environ deux heures du matin, ou un peu plus. Bloom s’est endormi, dans la position du fœtus, mais Molly va demeurer éveillée pendant encore quarante pages. Le style obéit uniformément au procédé du « courant de conscience », suit le cours des pensées qui se déroulent dans l’esprit grivois, vulgaire et fiévreux de Molly, l’esprit d’une femme quelque peu hystérique, aux idées banales, à la sensualité plus ou moins morbide, mais possédant un riche sens musical et douée de la capacité absolument anormale de passer en revue toute son existence en un flot verbal intérieur ininterrompu. Une personne dont la pensée défile à un rythme tel – et un rythme aussi suivi – n’est pas une personne normale. Le lecteur soucieux de fragmenter le flux de ce chapitre devra se munir d’un crayon bien taillé et séparer les phrases de la manière suivante :
« Oui / puisque avant il