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    2. Sur la plage de Chesil
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    IAN McEWAN

    SUR LA PLAGE DE CHESIL

    Roman

    Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

    Titre original : ON CHESIL BEACH

    © Ian McEwan 2007

    © Éditions Gallimard 2008, pour la traduction française

    Pour Annalena

    1.

    Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible. Mais ce n’est jamais facile. Ils venaient de s’installer pour dîner dans un minuscule salon au premier étage d’une auberge de style géorgien. Dans la pièce voisine, visible par la porte ouverte, se trouvait un lit à baldaquin assez étroit, dont la courtepointe d’un blanc pur s’étendait, incroyablement lisse, comme si aucune main humaine ne l’avait touchée. Edward n’avoua pas qu’il n’était encore jamais allé à l’hôtel, alors que Florence, après ses nombreux voyages avec son père dans son enfance, était une habituée. En apparence, tout leur souriait. Leur mariage à l’église St Mary d’Oxford s’était bien passé : la cérémonie religieuse avait été sans fausse note, la réception, festive, les adieux de leurs copains de fac et de lycée, aussi bruyants que chaleureux. Contrairement à ce qu’ils redoutaient tous les deux, les parents de Florence n’avaient pas regardé les siens de haut, et sa mère à lui n’avait commis aucun impair ni complètement oublié la signification de cette journée. Les mariés avaient pris la route dans une petite voiture appartenant à la mère de Florence, et ils étaient arrivés en début de soirée à leur hôtel sur la côte du Dorset, par un temps indigne de la mi-juillet et de l’occasion, mais parfaitement convenable : s’il ne pleuvait pas, il ne faisait pas non plus assez chaud, selon Florence, pour manger sur la terrasse comme ils l’avaient espéré. Edward pensait que si, mais, poli à l’extrême, jamais il n’aurait osé la contredire un soir pareil.

    Ils dînaient donc dans leur suite, devant la porte-fenêtre ouvrant sur le balcon d’où l’on apercevait la Manche, et la plage de Chesil avec ses galets à perte de vue. Deux jeunes gens en veste noire et nœud papillon assuraient le service à partir d’une table roulante installée dans le couloir, et leurs allées et venues, dans ce qu’on appelait communément la suite nuptiale, produisaient sur les lattes en chêne du parquet bien ciré des couinements amusants qui rompaient le silence. Fier et protecteur, le jeune homme suivait des yeux chacun de leurs gestes ou expressions, à l’affût de la moindre trace de sarcasme. Il n’aurait pas toléré l’ombre d’une moquerie. Mais ces adolescents d’un village voisin s’acquittaient de leur tâche le dos courbé, le visage fermé, l’air hésitant et les mains tremblantes dès qu’ils posaient quelque chose sur la nappe en lin amidonné. Eux aussi avaient le trac.

    Ce n’était pas une période faste dans l’histoire de la cuisine anglaise, mais personne ne s’en souciait vraiment, sauf les visiteurs étrangers. Le dîner de noces commença, comme tant d’autres à l’époque, par une tranche de melon décorée d’une unique cerise confite. Dans le couloir, des plats en argent sur leurs chauffe-plats contenaient des tranches de rôti de bœuf dont la cuisson remontait à plusieurs heures, figées dans une épaisse sauce brune, des légumes bouillis et des pommes de terre bleuâtres. Le vin était français, même si l’étiquette, ornée d’une hirondelle solitaire s’envolant à tire-d’aile, ne mentionnait aucune appellation précise. Il ne serait pas venu à l’idée d’Edward de commander un vin rouge.

    Impatients de voir s’éloigner les serveurs, Florence et lui se contorsionnaient sur leur chaise pour contempler la vaste pelouse moussue et, au-delà, l’enchevêtrement d’arbustes et d’arbres en fleurs accrochés au talus escarpé qui descendait vers le chemin conduisant à la plage. Ils apercevaient le début d’un sentier, quelques marches boueuses, un passage bordé de plantes d’une taille extravagante – des choux et des pieds de rhubarbe géants, aurait-on dit, avec leurs tiges gonflées, hautes d’au moins deux mètres, qui ployaient sous le poids de feuilles sombres aux nervures saillantes. La végétation du jardin s’élevait devant eux, sensuelle et tropicale dans sa profusion, effet encore accru par la douce lumière grise et la brume légère qui montait de la mer, dont le mouvement régulier de flux et de reflux produisait comme un lointain roulement de tonnerre, suivi d’un chuintement sur les galets. Florence et lui projetaient de changer de chaussures après le dîner, pour aller marcher sur l’étroite plage de galets entre la mer et la lagune connue sous le nom de The Fleet, et s’ils n’avaient pas fini leur bouteille de vin, ils l’emporteraient avec eux et boiraient au goulot tels des vagabonds.

    Ils avaient tellement de projets, des projets grisants, amassés devant eux dans l’avenir embrumé, aussi richement enchevêtrés que la flore estivale du Dorset, et aussi beaux. Où et comment ils vivraient, qui seraient leurs amis les plus proches, le poste qu’Edward occuperait dans l’entreprise de son beau-père, la carrière musicale de Florence, ce qu’ils feraient de l’argent qu’elle avait reçu de son père, et leur refus de devenir comme tout le monde, intérieurement du moins. C’était encore l’époque – elle se terminerait vers la fin de cette illustre décennie – où le fait d’être jeune représentait un handicap social, une preuve d’insignifiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le premier remède. Presque inconnus l’un de l’autre, ils atteignaient, étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse – Edward et Florence, enfin libres ! Un de leurs sujets de conversation favoris était leur enfance, moins ses plaisirs que le brouillard de préjugés comiques dont ils émergeaient, ou que les diverses erreurs de leurs parents et leurs pratiques d’un autre âge, qu’ils trouvaient désormais pardonnables.

    De ces hauteurs nouvelles ils voyaient loin, sans toutefois pouvoir partager certains sentiments contradictoires : chacun de son côté, ils s’inquiétaient du moment, peu après le dîner, où leur maturité toute neuve serait mise à l’épreuve, où ils s’allongeraient ensemble sur le lit à baldaquin et se révéleraient pleinement l’un à l’autre. Depuis plus d’un an, Edward était obsédé par ce soir précis de juillet où la partie la plus sensible de son anatomie résiderait, même brièvement, à l’intérieur d’une cavité naturelle du corps de cette jolie femme rieuse et formidablement intelligente. Le moyen d’y parvenir sans se ridiculiser ni être déçu le préoccupait. Il redoutait tout particulièrement la précipitation, ce qu’il avait entendu décrire comme le risque d’« arriver trop tôt ». Cette appréhension le quittait rarement mais, si forte que fut sa peur du fiasco, son appétit – de jouissance, d’accomplissement – était plus fort encore.

    Des angoisses plus profondes agitaient Florence, et plusieurs fois, durant le voyage depuis Oxford, elle s’était sentie sur le point de prendre son courage à deux mains et d’exprimer ses craintes. Mais ce qui la troublait était inexprimable, et elle pouvait à peine se le représenter. Contrairement à Edward, qui n’éprouvait rien d’autre que le trac de tout jeune marié avant sa nuit de noces, elle était habitée par une terreur viscérale, par un dégoût incœrcible, aussi palpable que le mal de mer. La plupart du temps, durant tous ces mois de joyeux préparatifs, elle avait réussi à ignorer cette tache sur son bonheur, mais dès que lui venait la pensée d’une étreinte – elle ne tolérait aucun autre terme –, son estomac se nouait, une nausée la prenait à la gorge. Dans un petit guide moderne et optimiste, qui était censé rassurer les jeunes mariées par son ton enjoué, ses points d’exclamation et ses illustrations numérotées, elle était tombée sur tel mot ou telle expression qui lui donnaient un haut-le-cœur : muqueuse vaginale, ou bien ce sinistre gland luisant. Certaines images insultaient son intelligence, surtout celle de l’entrée dans le corps féminin : « Peu avant qu’il n’entre en elle… », ou : « Enfin, il entre en elle », ou encore : « Heureusement, dès qu’il est entré en elle… » Serait-elle donc obligée, le moment venu, de se transformer pour Edward en une sorte de portail ou d’antichambre qu’il puisse franchir ? Presque aussi fréquemment revenait ce mot qui n’était synonyme pour elle que de souffrance, de chairs tranchées par une lame : pénétration.

    Dans ses moments d’optimisme, elle tentait de se convaincre qu’elle n’était affligée que d’une forme de pudeur excessive, qui finirait par passer. Certes, l’image des testicules d’Edward pendants sous son pénis tumescent – autre terme horrible – avait le don de la faire grimacer de dégoût, et la perspective d’être touchée « à cet endroit-là » par quelqu’un, fut-ce l’homme qu’elle aimait, lui inspirait la même répulsion que, disons, une opération de l’œil. Mais sa pudeur excessive ne s’appliquait pas à la maternité. Elle aimait les bébés ; elle avait eu plusieurs fois l’occasion de garder les bambins de sa cousine et s’était bien amusée. Elle se réjouissait à l’avance de porter les enfants d’Edward et, du moins dans l’abstrait, elle ne redoutait pas l’accouchement. Si seulement elle avait pu, comme la mère de Jésus, se retrouver enceinte par miracle !

    Florence soupçonnait qu’il y avait en elle quelque chose de profondément anormal, que depuis toujours elle n’était pas comme les autres, et qu’elle allait enfin être percée à jour. Son problème, se disait-elle, dépassait de loin le simple dégoût physique ; tout son être se révoltait à l’idée de la nudité, des corps enchevêtrés ; on était sur le point de violer sa quiétude et son bonheur essentiel. Elle refusait tout simplement que l’on « entre » en elle ou qu’on la « pénètre ». Coucher avec Edward ne pouvait en aucun cas représenter le comble du bonheur, c’était le prix à payer pour mériter ce bonheur.

    Elle savait

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