elles troussent, balancer dans l’eau chuchotante, et lever de timides frondes d’argent. Jour après jour, nuit après nuit […]. »
56. Crane, mot que Skeat, dans son Etymological Dictionary of the English Language (voir Stephen le Héros, Pléiade, p. 341, n. 6), nous dit être de la même famille que « grue ». À ce sujet, voir le De occulta philosophia de Cornelius Agrippa (voir p. 324 et n. 2), où la signification bénéfique d’une apparition d’oiseau, et plus particulièrement d’une grue, est longuement exposée : p. LXV : Grues a gruere antiquo verbo quasi congruer dicti, semper adferunt quod expedit atque inimicorum insidias cavere faciunt. Et p. LXIV, dans l’énumération des douze genres d’augures définis par Michel Scott, la formule vel homo vel avis revient chaque fois, rappelant l’ambiguïté de la jeune fille sur la plage. Plusieurs fois un présage favorable est tiré de l’immobilité et du regard, par exemple : Si videris post te hominem vel avem, sed antequam perveniat ad te vel tu ad eam, pauset in loco te vidente : signum est tibi bonum.
Rappelons en outre que selon une tradition antique, remise en honneur par Gongora (Soledades, I, 609), les grues forment des lettres ailées sur le papier transparent du ciel : voir Ernst-Robert Curtius, La littérature et le Moyen Âge Latin, Presses Universitaires de France, 1956, p. 423. Dans la mythologie irlandaise, c’est la grue qui aurait apporté l’alphabet aux hommes dans un sac.
57. On rapprochera toute cette page d’un passage essentiel du « Portrait de l’artiste » (1904), p. 36, observant que le tableau se réduit ensuite, dans Stephen le Héros, à une brève allusion : voir Pléiade, p. 530.
58. J. S. Atherton rapproche cette vision de l’apparition de Béatrice au début de la Vita Nova, chap. II.
59. Expression reprise du « Portrait de l’artiste » (1904), p. 38.
60. C’est une certaine ressemblance avec cette jeune fille qui devait, en 1918, attirer et retenir un temps l’attention de James Joyce sur Martha Fleischmann ; voir la correspondance avec celle-ci, Lettres, éd. cit. t. III, p. 117-127.
61. J. S. Atherton rapproche très justement ce paragraphe de la vision finale de La Divine Comédie, « Paradis », chap. XXXIII.
62. Selon Stanislaus Joyce, Le Gardien de mon frère, éd. cit., p. 216-217, James Joyce, dans toute cette fin de chapitre, comme dans le « Portrait de l’artiste » (1904), imiterait le romancier George Meredith.
CHAPITRE V
1. La biographie de Richard Ellmann nous apprend que James Joyce, même lorsqu’il était étudiant, ne se lavait qu’à contrecœur, et cite plusieurs anecdotes à ce sujet. Eva Joyce s’en souvient, son frère se vantait que les poux ne voulaient pas vivre sur lui.
2. Le douzième domicile de la famille Joyce fut, de mai 1900 à 1901, le 8 Royal Terrace, Fairview ; tout à côté se trouvait l’asile d’un couvent de sœurs de la Charité [Sisters of Charity], Saint Vincent’s Lunatic Asylum, 3 Convent Avenue, Fairview.
3. Pendant l’été de 1901, que James Joyce passa avec son père à Mullingar, dans le comté de Westmeath (voir les dernières pages de Stephen le Héros), il traduisit Michael Kramer et Vor Sonnenaufgang [Avant le lever du soleil], avant de saluer en Hauptmann le successeur d’Ibsen, dans son pamphlet Le Triomphe de la canaille. Ici, l’allusion est sans doute à Hélène, innocente et pure victime mise en scène dans Avant le lever du soleil, à Rose et à sa patronne au grand cœur, personnages de Rosa Berndt, qu’il lut à Trieste au début d’octobre 1906. L’admiration de Joyce pour Hauptmann persista, et en 1926 encore il demandait à Jacques Benoist-Méchin si sa pièce Les Exilés valait du Hauptmann.
4. Aujourd’hui Fairview Park, à l’embouchure de la Tolka, tout juste au nord du port de Dublin.
5. Voir ci-dessus, p. 246 et 248.
6. Sans doute Joyce pense-t-il aux poèmes de Cavalcanti, qu’il lut en 1898, mais peut-être également à l’anecdote du Décaméron qu’il a relevée dans le « Carnet de Trieste », à la rubrique « Cavalcanti ».
7. Très exactement, Baird and Todd, The Talbot Engineering Works, 20-25 Talbot Place (dans le prolongement de Earl Street). La notation est reprise dans Ulysse, éd. cit., p. 539 : « Entre cet endroit et les hauts magasins, maintenant obscurs de Beresford Place, Stephen pensa à penser à Ibsen, associé à Baird, le tailleur de pierre, dans son esprit de quelque manière dans Talbot Place » (traduction revue).
8. Ces associations d’images et de sensations semblent tourner particulièrement autour des personnages et du décor de Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, que Joyce présenta sous le titre « Le Nouveau Drame d’Ibsen » (Pléiade, p. 926-947).
9. Boutique d’articles pour marins : Verdon, McCann and Co, 2 Burgh Quay, 2 and 13 City Quay. Philip McCann, parrain de James Joyce, et parent éloigné, était propriétaire, ou copropriétaire de cet établissement.
10. Chanson tirée de l’épilogue du « masque » de Ben Jonson (1572-1637), The Vision of Delight [La Vision de délices], 1617 :
[AURORE]
Je n’étais pas plus las sur ma couche
Ce soir près de Tithon tout glacé,
Que je ne suis prêt maintenant à rester
Et prendre part à votre délice.
Mais le jour me presse
Contre mon gré, de vous dire de partir.
LE CHŒUR
Ils cèdent au temps, comme tous le doivent.
Le jour appelle à l’action, comme la nuit au déduit,
Et ils lui obéiront d’autant mieux
Que l’aube de roses jonche le chemin.
Lors de son séjour à Paris en 1903, James Joyce avait relevé la chanson d’Aurore dans un carnet qui ne nous est pas parvenu, mais que son premier biographe, Herbert Gorman, eut entre les mains ; il contenait également des extraits d’autres œuvres de Ben Jonson : Cynthia’s Revels, The Poetaster, Volpone, or The Fox, Epicœne, or The Silent Woman, The Devil is an Ass, The Staple of News, et The New Inn (Herbert Gorman, James Joyce, Londres, 1941, p. 95). Cependant, l’université de Cornell conserve deux poèmes de Ben Jonson recopiés par James Joyce sur des fiches en provenance de la National Library, Dublin : la troisième chanson de The Metamorphos’d Gypsies, et « Give end unto thy pastimes, Love », extrait de Love Restored (Robert Scholes, The Cornell Joyce Collection, éd. cit., no 19).
11. Ribaudes : waistcoateers : ce mot du vocabulaire élisabéthain et jacobéen s’est conservé en Irlande jusqu’à l’époque moderne.
12. Chambering, « libertinage ». Même remarque.
13. Une partie, sinon la totalité, de ces notes nous est parvenue. On en trouvera une transcription pages 1837-1841 de l’édition de la Pléiade, et un commentaire dans notre étude The Aesthetics of James Joyce, The Johns Hopkins University Press, 1992.
14. Parisiis, apud A. Roger & F. Chernoviz, 1892. Il s’agit d’un aide-mémoire à l’usage des séminaristes du diocèse de Beauvais, que Joyce a pu lire à Paris en 1902-1903.
15. Cette phrase contient deux échos du « Portrait de l’artiste » (1904) : voir p. 34.
16. Le personnage de MacCann apparaît à plusieurs reprises dans Stephen le Héros, notamment p. 352, 357 et 533 (Pléiade). Il a été composé sur le modèle d’un condisciple de James Joyce à University College, Francis J. C. Skeffington, 1878-1916, qui prit le nom de Sheehy-Skeffington lors de son mariage avec Hannah Sheehy ; lorsque son article féministe « A Forgotten Aspect of the University Question » rencontra le même veto que « Le Triomphe de la canaille » de Joyce, il s’associa à celui-ci pour publier les deux essais en un même pamphlet. James Joyce le considérait comme le garçon le plus intelligent de University College, après lui-même.
17. Voici deux témoignages de condisciples de James Joyce à University College. Felix Hackett : « L’atmosphère universitaire dans laquelle baignait le 26, Saint Stephen’s Green [University College] était péripatétique […] au sens philosophique du terme, comme le montre bien la description qu’en donne Joyce dans Portrait de l’artiste en jeune homme » (The Centenary History of the Literary and Historical Society of University College 1855-1955, éd. James Meenan, Tralee, The Kerryman Ltd). Et Constantine Curran, à propos de la première conférence de littérature anglaise : « Le conférencier était le père Darlington, et ses premiers mots étaient tirés de la Poétique d’Aristote » (« Memories of University College, Dublin – The Jesuit Tenure, 1883-1908 », in Struggle With Fortune : A Miscellany for the Centenary of the Catholic University of Ireland 1854-1954, éd. Michael Tierney, Dublin, Browne and Nolan).
18. Voir p. 244 et n. 32.
19. À propos de Cranly, ch. 1, n. 6, et n. 103. C’est la première notation du « Carnet de Trieste » à la rubrique « Byrne ».
20. Voir p. 285 et 351 (yeux de Cranly) et p. 319 (yeux de la jeune fille). Voir Stephen le Héros, Pléiade, p. 416 et n. 4.
21. Belladone : en anglais nightshade, littéralement « ombre de nuit ».
22. Voir Stephen le Héros, Pléiade, p. 345.
23. Le lierre… : reprise d’un thème rencontré ch. 1, n. 66.
24. « L’Inde envoie l’ivoire. »
25. Voir ci-dessus p. 131 et n. 48, et Stephen le Héros, Pléiade, p. 340.
26. Il s’agit d’Emmanuel Alvarez, S. J., 1526-1583, professeur de langue et littérature latines aux universités de Lisbonne et de Coimbra ; voir le « Carnet de Trieste » à la rubrique « Jésuites ». Il a écrit un De mensuris, ponderibus et numeris, mais il est avant tout connu pour son De Institutione Grammatica, Lisbonne, 1572, qui, adopté dans les écoles de la Compagnie de Jésus, fut l’objet pendant plusieurs siècles d’innombrables éditions, traductions et résumés. C’est ainsi que l’on a affaire ici à sa seule prosodie. La dernière édition semble être la suivante : The Complete Latin Prosody of E. Alvarez, A New Translation, James Duffy, Dublin, 1859. Cet ouvrage est l’une des nombreuses éditions à l’usage des écoles