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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 60
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    ! fit Cranly avec un calme mépris. Qu’est-ce qu’il en sait, du chemin de Sallygap à Larras ? Et qu’est-ce qu’il sait sur n’importe quoi, d’ailleurs, avec sa grosse tête de pot à eau qui fuit ? »

    Il partit d’un éclat de rire sonore et prolongé.

    « Eh bien ? dit Stephen. Te rappelles-tu le reste ?

    – C’est-à-dire ce que tu racontais ce jour-là ? demanda Cranly. Oui, je me rappelle : Découvrir un mode d’existence ou d’art grâce auquel ton esprit pourrait s’exprimer avec une liberté absolue. »

    Stephen souleva son chapeau en signe de remerciement.

    « La liberté ! répéta Cranly. Et pourtant tu n’es pas encore assez libre pour commettre un sacrilège. Dis-moi, commettrais-tu un vol ?

    – Je commencerais par mendier, dit Stephen.

    – Et si tu ne recevais rien, tu volerais ?

    – Tu veux me faire dire, répondit Stephen, que les droits à la propriété sont provisoires et que dans certaines circonstances il n’est pas illicite de voler. N’importe qui agirait selon ces principes. C’est pourquoi je ne te répondrai pas ainsi. Adresse-toi à Juan Mariana de Talavera, le théologien jésuite : il t’expliquera aussi dans quelles circonstances il est permis légalement d’assassiner son roi299, et s’il est préférable de lui offrir le poison dans une coupe ou bien d’en enduire ses vêtements ou l’arçon de sa selle300. Demande-moi plutôt si je consentirais à me laisser voler par les autres ou si, le cas échéant, j’aurais recours contre eux à ce qu’on appelle, me semble-t-il, le châtiment du bras séculier ?

    – Eh bien, le ferais-tu ?

    – Je crois que cela me serait aussi pénible que d’avoir été volé.

    – Je vois », dit Cranly.

    Il sortit son allumette et se mit à curer un interstice de ses dents. Puis il fit négligemment :

    « Dis-moi, par exemple, déflorerais-tu une vierge301 ?

    – Pardon, dit Stephen d’un air poli : n’est-ce pas là l’ambition de la plupart des jeunes messieurs ?

    – Mais quel est ton point de vue à toi ? » demanda Cranly.

    Sa dernière phrase, avec son âcre odeur pareille à celle du charbon fumant, avec son action déprimante, excitait le cerveau de Stephen sur lequel ses fumées semblaient s’attarder.

    « Écoute-moi, Cranly, dit-il : tu m’as demandé ce que je ferais et ce que je ne ferais pas. Je vais te dire ce que je veux faire et ce que je ne veux pas faire. Je ne veux pas servir ce à quoi je ne crois plus, que cela s’appelle mon foyer, ma patrie ou mon Église. Et je veux essayer de m’exprimer, sous quelque forme d’existence ou d’art, aussi librement et aussi complètement que possible, en usant pour ma défense des seules armes que je m’autorise à employer : le silence, l’exil et la ruse302. »

    Cranly le saisit par le bras et lui fit faire demi-tour, de manière à reprendre la direction de Leeson Park. Il riait presque sournoisement et pressait le bras de Stephen avec l’affection d’un aîné303.

    « La ruse, vraiment ! dit-il. Comme cela te ressemble ! Pauvre poète, va !

    – Et tu m’as fait confesser cela, dit Stephen, troublé par son contact, comme je t’avais déjà confessé tant d’autres choses, n’est-ce pas ?

    – Oui, mon enfant, dit Cranly avec la même gaieté qu’auparavant304.

    – Tu m’as fait avouer mes craintes. Mais je vais te dire aussi ce que je ne crains pas. Je ne crains pas d’être seul, ni d’être repoussé au profit d’un autre, ni de quitter quoi que ce soit qu’il me faille quitter. Et je ne crains pas de commettre une erreur, même grave, une erreur pour toute la vie, et pour toute l’éternité aussi, peut-être. »

    Cranly, à nouveau grave, ralentit le pas et dit :

    « Seul, tout seul. Tu ne crains pas cela. Et tu sais ce que ce mot veut dire ? Non seulement être séparé de tous les autres, mais encore n’avoir pas même un seul ami.

    – Je prendrai ce risque305, dit Stephen.

    – Et n’avoir pas un être, dit Cranly, qui soit plus qu’un ami, plus même que le plus noble et le plus fidèle ami qu’un homme puisse posséder. »

    Ses paroles semblaient faire vibrer quelque corde secrète de sa propre nature. Parlait-il de lui-même, de lui-même tel qu’il était ou désirait être ? Stephen épia son visage en silence pendant quelques instants. Il y régnait une froide tristesse. C’est de lui-même qu’il venait de parler, de sa propre solitude dont il avait peur.

    « De qui parles-tu ? » demanda Stephen à la fin.

    Cranly ne répondit pas.

    *

    20 mars. – Longue conversation avec Cranly au sujet de ma révolte. Il était dans un de ses jours solennels. Moi souple et suave. M’a entrepris sur le chapitre de l’amour dû à la mère. Essayé de me représenter sa mère : pas réussi. Il m’a dit un jour, dans un moment de distraction, que son père avait soixante et un ans lorsqu’il est né. Je le vois d’ici. Type de fermier robuste306. Complet poivre et sel. Pieds carrés. Barbe grise mal peignée. Va probablement aux courses canines. Paie le denier du culte au Père Dwyer de Larras régulièrement, mais modiquement. Cause parfois avec des filles, la nuit tombée. Mais la mère ? Très jeune ou très vieille ? Le premier est peu probable. Dans ce cas, Cranly n’eût point parlé comme il l’a fait. Donc, vieille. Vraisemblablement ; et délaissée. De là cette désespérance dans l’âme de Cranly : issu de flancs épuisés307.

    21 mars, matin. – Pensé à cela hier soir au lit, mais trop paresseux, trop libre pour développer. Libre, c’est bien cela. Les flancs épuisés sont ceux d’Élisabeth et de Zacharie. Donc, c’est lui le précurseur. Item : il se nourrit principalement de lard de poitrine et de figues sèches : lisez sauterelles et miel sauvage308. Aussi, en pensant à lui, ai-je toujours eu devant les yeux l’image d’une tête coupée, rigide, ou d’un masque mortuaire se détachant comme sur le fond d’un rideau gris ou d’une véronique. Ils appellent cela décollation, ceux du bercail. Intrigué un instant par saint Jean à la Porte Latine309. Que vois-je ? Un précurseur décollé essayant de crocheter la serrure.

    21 mars, soir. – Libre. Âme libre, imagination libre. Laissons les morts ensevelir les morts310. Ouais. Et laissons les morts épouser les morts.

    22 mars. – En compagnie de Lynch, suivi une infirmière de belle taille. Idée de Lynch. Déteste cela. Deux maigres lévriers faméliques trottant derrière une génisse311.

    23 mars. – Ne lai pas revue depuis l’autre soir. Indisposée ? Assise devant le feu, peut-être, avec le châle de maman sur les épaules. Mais pas maussade. « Une bonne petite bouillie ? Tu veux bien, dis ? »

    24 mars. – Débuté par une discussion avec ma mère. Objet : B. V. M.312. Handicapé par mon sexe et ma jeunesse. Pour m’en tirer, opposé rapports entre Jésus et Papa, à ceux entre Marie et son fils. Dit que religion n’est pas une maternité. Mère indulgente, trouve que j’ai un esprit bizarre et que j’ai trop lu. Pas vrai. Ai peu lu, et encore moins compris. Puis elle dit que je reviendrai à la foi, parce que j’ai un esprit inquiet. Ce serait sortir de l’église par la petite porte du péché et y rentrer par la lucarne du repentir313. Peux pas me repentir. Le lui ai dit et lui ai demandé douze sous. Reçu six sous.

    Ensuite parti pour collège. Nouvelle dispute avec le petit Ghezzi314, tête ronde, œil coquin. Cette fois au sujet de Bruno de Noie. Commencé en italien, fini en pidgin. Il a dit que Bruno était un terrible hérétique. J’ai dit qu’il avait été terriblement brûlé315. Il admit cela avec quelque regret. Puis me donna la recette de ce qu’il appelle risotto alla bergamasca. Pour prononcer un O doux, il avance ses lèvres pleines et charnues comme s’il baisait la voyelle. A-t-il… ? Et a-t-il pu se repentir ? Oui, et même verser deux larmes de coquin, bien rondes, une de chaque œil.

    En traversant Stephen’s Green, c’est-à-dire mon parc à moi, me rappelai que ce sont ses compatriotes et non les miens qui ont inventé ce que Cranly, l’autre jour, appelait notre religion316. Un quatuor d’entre eux, soldats du quatre-vingt-dix-septième régiment d’infanterie, étaient assis au pied de la croix et jouaient aux dés le pardessus du crucifié317.

    Passé à la bibliothèque. Essayé de lire trois revues. Inutile. Elle ne sort pas encore. Ai-je peur ? De quoi ? De ce qu’elle ne sorte plus jamais.

    Blake écrivait :

    Je me demande si William Bond va mourir,

    Car assurément il est bien malade318.

    Hélas, pauvre William !

    Un jour, je suis allé voir un diorama à la Rotonde319. À la fin, il y avait des portraits de gros bonnets, entre autres William Ewart Gladstone320, qui venait de mourir. L’orchestre jouait : Ô Willie, vous nous manquiez.

    Race de culs-terreux !

    25 mars, matin. – Une nuit de rêves agités. Besoin d’en décharger ma poitrine.

    Une longue galerie tournante. Du sol montent des colonnes de vapeurs sombres. Elle est peuplée d’images de rois fabuleux, enchâssés dans la pierre. Leurs mains sont jointes sur leurs genoux en signe de lassitude et leurs yeux sont obscurcis, car les erreurs des hommes montent devant eux à jamais en sombres vapeurs321.

    Des formes étranges s’avancent, comme sortant d’une caverne. Elles ne sont pas aussi grandes que des hommes. Elles ne semblent pas tout à fait détachées les unes des autres. Leurs visages sont phosphorescents, rayés d’ombres. Elles me scrutent du regard et leurs yeux ont l’air de me demander quelque chose. Elles ne parlent pas.

    30 mars. – Ce soir Cranly était sous le portique de la bibliothèque, en train de poser un problème à Dixon et à son frère à elle : Une mère laisse tomber

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