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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 56
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    ferions mieux de nous en aller, Dixon, avertit Stephen ; il est allé se plaindre. »

    Dixon replia le journal, se leva avec dignité et dit :

    « Nos hommes se retirèrent en bon ordre.

    – Avec armes et bétail, ajouta Stephen, désignant le titre du livre de Cranly : Les Maladies du bœuf243. »

    Dans le passage entre les rangées des tables, Stephen dit :

    « Cranly, j’ai à te parler244. »

    Cranly ne répondit ni ne se retourna. Il mit son livre sur le comptoir et se dirigea vers la sortie, ses pieds bien chaussés se posant avec un bruit net sur le sol. Dans l’escalier il s’arrêta, regarda Dixon d’un air absent et répéta :

    « Pion à cette sacrée quatrième du roi.

    – Appelle ça comme tu voudras », fit Dixon.

    Il possédait une voix tranquille, blanche, des manières polies, et à un doigt de sa main grasse et propre il laissait apercevoir de temps à autre une bague avec son cachet.

    Tandis qu’ils traversaient le vestibule, un homme de stature lilliputienne vint à leur rencontre. Sous le dôme d’un chapeau minuscule, son visage mal rasé montra un sourire de satisfaction et il fit entendre un léger murmure. Ses yeux étaient mélancoliques comme ceux d’un singe.

    « Bonsoir, capitaine, dit Cranly en s’arrêtant.

    – Bonsoir, messieurs, dit cette figure hirsute et simiesque.

    – Il fait chaud pour un mois de mars, dit Cranly : on a ouvert les fenêtres, là-haut. »

    Dixon sourit et retourna sa bague. La physionomie de singe, noiraude et ratatinée, plissa sa bouche humaine avec une expression de tranquille contentement et sa voix ronronna :

    « Un temps délicieux pour un mois de mars. Absolument délicieux.

    – Il y a deux charmantes jeunes dames, là-haut, capitaine, impatientes de vous voir », fit Dixon.

    Cranly sourit et dit avec bienveillance :

    « Le capitaine n’a qu’un amour : sir Walter Scott245. N’est-ce pas, capitaine ?

    – Que lisez-vous en ce moment, capitaine ? demanda Dixon. La Fiancée de Lammermoon ?

    – J’adore ce vieux Scott, prononcèrent les lèvres mobiles, je trouve qu’il a écrit des choses charmantes. Il n’y a pas d’écrivain qui vaille sir Walter Scott. »

    Il agitait doucement dans l’air une petite main brune, ratatinée, scandant son éloge, et ses paupières fines et vives battaient de façon répétée sur ses yeux tristes.

    Plus triste encore à l’oreille de Stephen était son parler : un accent de bon ton, bas, humide, gâché par des fautes ; et tout en l’écoutant, Stephen se demandait si l’histoire qui courait sur lui était vraie, et si réellement le sang appauvri de ce corps ratatiné était noble, et issu d’un amour incestueux246 ?

    Les arbres du parc étaient lourds de pluie et la pluie tombait encore et toujours dans le lac gris, gisant tel un bouclier. Une troupe de cygnes passa, et l’eau et le rivage furent tachés de leur fange blanche et verdâtre. Le couple s’enlaçait doucement, sous l’influence du jour humide et gris, des arbres mouillés et calmes, de la présence complice du lac en bouclier, des cygnes. Ils s’enlaçaient sans joie, sans passion ; il entourait du bras le cou de sa sœur. Elle portait un manteau de laine, gris, drapé obliquement de l’épaule à la taille et sa tête blonde s’inclinait avec une pudeur consentante. Le frère avait des cheveux flottants, brun-rouge, des mains tendres, bien modelées, fortes, avec des taches de rousseur. Visage ? Aucun visage n’était visible. Le visage du frère était penché sur la chevelure de la sœur, blonde, odorante de pluie. Cette main aux taches de rousseur, bien modelée, et forte, et caressante, c’était la main de Davin.

    Stephen fronça les sourcils, furieux contre sa propre pensée et contre l’homuncule rabougri qui lavait provoquée. Les sarcasmes de son père sur la clique de politiciens de Bantry247 reparurent d’un bond dans sa mémoire. Il les tint à distance et, mal à l’aise, revint ruminer ses propres pensées. Pourquoi donc ces mains n’étaient-elles pas celles de Cranly ? Était-ce que la simplicité et l’innocence de Davin l’avaient touché de façon plus secrète ?

    Il continua de traverser le vestibule avec Dixon, laissant Cranly prendre congé du nain, non sans recherche.

    Sous la colonnade, Temple se tenait au milieu d’un petit groupe d’étudiants. L’un d’eux cria :

    « Dixon, approche et écoute ! Temple est dans une forme superbe. »

    Temple tourna vers lui ses yeux noirs de bohémien.

    « Tu n’es qu’un hypocrite, O’Keeffe, dit-il. Et Dixon n’est qu’un sourieur. Par l’enfer, voilà, je crois, une excellente expression littéraire ! »

    Il riait d’un rire sournois, regardant Stephen et répétant :

    « Par l’enfer, ce terme me plaît ! Un sourieur. »

    Un gros étudiant qui se tenait quelques marches plus bas, dit :

    « Revenons à cette maîtresse, Temple. C’est ça qui nous intéresse.

    – Il en avait une, je vous en donne ma parole, dit Temple. Et il était marié, par-dessus le marché. Et tous les prêtres allaient dîner là-bas. Par l’enfer, je crois bien qu’ils ont tous trempé là-dedans.

    – C’est ce qu’on appelle monter une rosse pour ménager le cheval de course, fit Dixon.

    – Dis donc, Temple, fit O’Keeffe, combien de bocks as-tu dans le ventre ?

    – Toute ton âme intellectuelle248 est dans cette question, O’Keeffe », répondit Temple avec un mépris manifeste.

    Il fit le tour du groupe, d’un pas traînant, pour aborder Stephen.

    « Savez-vous que les Forster sont rois de Belgique ? » demanda-t-il.

    Cranly parut à la porte du vestibule, le chapeau sur la nuque et se curant les dents avec minutie.

    « Voici le prétendu puits de science, dit Temple. Connaissez-vous cette histoire des Forster ? »

    Il attendit une réponse. Cranly délogea de ses dents un pépin de figue au bout de son cure-dent primitif et se mit à l’examiner avec soin249.

    « La famille des Forster, disait Temple, descend de Baudoin Premier, roi des Flandres, surnommé le Forestier. Forestier et Forster, c’est le même nom. Un descendant de Baudoin Ier, le capitaine Francis Forestier, s’établit en Irlande et épousa la fille du dernier chef de Clanbrassil. Il y a aussi les Blake-Forster ; c’est une autre branche250.

    – De Baldhead251, roi des Flandres, répéta Cranly en recommençant à explorer, d’un air dégagé, ses dents découvertes et brillantes.

    – Où as-tu ramassé toute cette histoire ? demanda O’Keeffe.

    – Je connais également toute l’histoire de votre famille à vous, dit Temple, s’adressant à Stephen. Savez-vous ce que dit Giraldus Cambrensis au sujet de votre famille252 ?

    – Il descend de Baudoin, lui aussi ? demanda un grand étudiant poitrinaire aux yeux noirs.

    – De Baldhead, répéta Cranly en aspirant à travers un interstice de ses dents.

    – Pernobilis et pervetusta familia253 », dit Temple s’adressant toujours à Stephen.

    Le gros étudiant placé au-dessous d’eux sur les marches lâcha brusquement un pet. Dixon se tourna vers lui et dit d’une voix suave :

    « Est-ce un ange qui vient de parler254 ? »

    Cranly se retourna aussi et dit avec véhémence, mais sans colère :

    « Goggins, tu es le plus abject de tous les sacrés cochons que j’aie jamais vus, tu sais ?

    – J’ai dit ce que je pensais, répondit fermement Goggins. Ça n’a fait de mal à personne, n’est-ce pas ?

    – Nous espérons, fit Dixon avec aménité, que cela n’appartient pas au genre scientifiquement défini comme un paulo post futurum255.

    – Ne vous ai-je pas dit que Dixon était un sourieur ? dit Temple, en se tournant à droite et à gauche. Ne lui ai-je pas donné ce nom ?

    – Oui, tu l’as dit. Nous ne sommes pas sourds », répliqua le grand étudiant poitrinaire.

    Cranly regardait toujours sévèrement le gros garçon placé au-dessous de lui. Puis, avec un grognement de dégoût, il le poussa violemment en bas.

    « Va-t’en d’ici, fit-il. Va-t’en, pot puant ! car tu n’es qu’un pot puant. »

    Goggins sauta sur le gravier, puis aussitôt reprit allègrement sa place. Temple se tourna de nouveau vers Stephen et demanda :

    « Croyez-vous aux lois de l’hérédité ?

    – Es-tu soûl, ou quoi ? qu’est-ce que tu bafouilles ? demanda Cranly en le dévisageant avec une expression de stupeur.

    – La phrase la plus profonde qui ait jamais été écrite, dit Temple avec enthousiasme, c’est la dernière phrase du livre de zoologie : La reproduction est le commencement de la mort256. »

    Il effleura timidement le coude de Stephen et dit avec vivacité :

    « Sentez-vous combien c’est profond, vous qui êtes un poète ? »

    Cranly tendit son index très long :

    « Contemplez-le, dit-il aux autres d’un air méprisant : Contemplez l’espoir de l’Irlande ! »

    Un rire général salua ses paroles et son geste. Temple se retourna bravement et dit :

    « Cranly, vous vous moquez toujours de moi. Je m’en aperçois, allez ! Mais je vous vaux bien, moi ! Savez-vous ce que je pense quand je nous compare l’un à l’autre ?

    – Mon brave garçon, fit Cranly avec urbanité, tu es incapable, vois-tu, absolument incapable de penser quoi que ce soit.

    – Mais savez-vous, continua Temple, ce que je pense en nous comparant l’un à l’autre ?

    – Accouche, Temple ! cria de sa marche le gros étudiant. Sors-nous ça en petits morceaux ! »

    Temple se tourna à droite, à gauche, parlant avec des gestes saccadés et mous.

    « Je suis un couillon, dit-il, en secouant la tête d’un air navré. Je le suis, et je le sais. Et j’avoue que je le suis. »

    Dixon lui tapota l’épaule en disant avec douceur :

    « Et cela te fait honneur, Temple !

    – Mais lui, fit Temple en désignant Cranly, c’est un couillon tout comme moi. Seulement il ne le sait pas. Voilà la seule différence que j’y vois ! »

    Une explosion de rires couvrit ses paroles. Mais il se tourna vers Stephen et dit avec une soudaine animation :

    « C’est un mot des plus intéressants. C’est le seul duel257 de la langue anglaise. Vous le saviez ?

    – Ah !

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