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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 55
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    souvent de la tête sous la lumière verte de la lanterne. Lui et elle se tenaient sur les marches du tram, lui en haut, elle en bas. Elle montait très souvent, entre les phrases, sur sa marche à lui, puis redescendait et une ou deux fois elle resta près de lui, oubliant de descendre, puis redescendit. Laissons tomber !

    Dix ans séparaient sa folie actuelle de cette sagesse de l’enfance. S’il lui envoyait des vers ? On les lirait au petit déjeuner, tout en tapotant les œufs à la coque. Quelle folie, vraiment ! Les frères de la jeune fille riraient en s’entr’arrachant le feuillet avec leurs doigts vigoureux et durs. Son oncle, le prêtre suave trônant dans son fauteuil, tiendrait le papier à distance, le lirait en souriant et exprimerait son approbation de la forme littéraire229.

    Non, non, c’était de la folie. Même s’il lui envoyait ses vers, elle ne les montrerait pas aux autres. Non, non, elle ne pouvait pas faire cela.

    Il commençait à sentir qu’il avait été injuste envers elle. Il la trouvait innocente jusqu’à la prendre en pitié. Cette innocence, il ne l’avait comprise qu’au moment où le péché lui en avait communiqué la notion ; cette innocence, elle ne l’avait point comprise elle-même, pendant qu’elle la possédait, avant d’avoir subi l’étrange humiliation de la nature féminine230. Alors seulement son âme avait commencé à vivre, tout comme son âme à lui, à partir de son premier péché et une tendre compassion remplit son cœur au souvenir de sa pâleur frêle, de ses yeux humiliés et affligés par la honte obscure de sa féminité231.

    Où se trouvait-elle, pendant que son âme à lui passait de l’extase à la langueur ? Pouvait-il se faire, selon les voies mystérieuses de la vie spirituelle, que dans ces moments précis son âme eût conscience de l’hommage qu’il lui adressait ? Cela se pouvait232.

    Un ardent désir attisa son âme, enflamma, accomplit son corps. Consciente de ce désir, elle s’éveillait de son odorant sommeil, la tentatrice de la villanelle233. Ses yeux, sombres et langoureux, s’ouvraient devant ses yeux à lui. Sa nudité pliait devant lui, radieuse, tiède, odorante et, les membres généreux, l’enveloppait comme un nuage lumineux, elle l’enveloppait comme de l’eau, d’une vie fluide ; et, tel un nuage de vapeur ou telle une eau baignant de toutes parts l’espace, les lettres liquides de la parole, symboles de l’élément mystérieux, débordèrent du cerveau de Stephen :

    N’es-tu point lasse des ardents détours,

    Toi le leurre des séraphins déchus ?

    Ne dis plus l’enchantement des jours.

    Le cœur de l’homme, tes yeux l’ont embrasé d’amour

    Et soumis au gré de ton vouloir subtil

    N’es-tu point lasse des ardents détours ?

    Haute est la flamme, mais plus haut, plus pur,

    Monte l’encens de gloire dans l’espace.

    Ne dis plus l’enchantement des jours.

    Nos cris brisés, nos chants tristes et lourds

    Montent en un hymne eucharistique.

    N’es-tu point lasse des ardents détours ?

    Les mains pieuses dressent vers l’azur

    La plénitude sainte du calice.

    Ne dis plus l’enchantement des jours.

    Mais tu retiens tous nos regards impurs.

    L’œil langoureux,

    N’es-tu point lasse des ardents détours ?

    Ne dis plus l’enchantement des jours234.

    *

    Quels oiseaux étaient-ce donc ? Il s’arrêta sur l’escalier de la bibliothèque pour les regarder, en s’appuyant d’un air las sur sa canne de frêne. Ils volaient en rond autour de l’angle en saillie d’une maison de Molesworth Street235. Dans l’atmosphère d’une des dernières soirées de mars, leur vol était net, leurs formes sombres, frémissantes, dardées, passaient, nettes, sur le ciel comme sur quelque voile d’un bleu vaporeux et ténu, suspendu mollement.

    Il observa leur vol : un oiseau après l’autre ; un éclair sombre, un crochet, un nouvel éclair, un brusque écart, une courbe, un frisson d’ailes. Il essaya de les compter avant que tous ces corps dardés et frémissants eussent disparu : six, dix, onze… et il se demanda si leur nombre était pair ou impair. Douze, treize, – car deux autres descendaient en spirale du fond du ciel. Ils volaient tantôt plus haut, tantôt plus bas, mais toujours tout en rond, en lignes unies et courbes, toujours de gauche à droite, tournant autour de quelque temple aérien.

    Il écouta leurs cris : c’était comme le petit cri de souris derrière une boiserie, une note double, aiguë. Mais ces notes étaient prolongées, aiguës, en vrilles tournoyantes, différentes du piaillement des bestioles terrestres, tombant en tierce ou en quarte et montant en trilles tandis que les becs fuyants fendaient l’air. Aiguës, claires et fines, elles retombaient comme des fils de lumière soyeuse se dévidant de quelque bobine tournoyante.

    Ces clameurs inhumaines apaisèrent ses oreilles où les sanglots et les reproches de sa mère murmuraient encore avec insistance, et ces corps sombres, frêles et frémissants, qui tournaient et battaient des ailes et viraient autour du temple aérien dans le ciel ténu, apaisèrent ses yeux qui voyaient toujours l’image du visage maternel.

    Que cherchait-il, debout sur les marches du perron, levant le regard, écoutant ce double cri aigu, observant leur vol ? Attendait-il quelque présage bon ou mauvais236 ? Une phrase de Cornelius Agrippa traversa son esprit d’un coup d’aile237, puis, de-ci de-là, voletèrent des pensées informes de Swedenborg sur les correspondances entre les oiseaux et les choses de l’intellect, sur le fait que les créatures de l’air possèdent un savoir et reconnaissent les heures et les saisons parce que, contrairement à l’homme, elles vivent selon l’ordre de leur existence et n’ont point perverti cet ordre par la raison238.

    Et depuis des siècles, les hommes levaient comme lui les yeux vers des vols d’oiseaux. La colonnade au-dessus de sa tête évoquait vaguement pour lui un temple antique et la canne de frêne sur laquelle il s’appuyait d’un air las, le bâton courbé d’un augure. Une crainte confuse de l’inconnu s’agitait au cœur de sa lassitude, la crainte des symboles et des présages, de l’homme-faucon dont il portait le nom, s’évadant de sa captivité sur des ailes d’osier tressé, de Thoth, le dieu des écrivains, écrivant avec un roseau sur une tablette et portant sur son étroite tête d’ibis le croissant cornu239.

    Il sourit en pensant à l’image de ce dieu, car elle lui rappelait un juge à perruque, avec un nez en forme de bouteille, ajoutant des virgules à un document qu’il tenait à distance ; et il savait qu’il n’aurait jamais retenu le nom de ce dieu si ce nom n’eût ressemblé à un juron irlandais. C’était de la folie. Pourtant, était-ce à cause de cette folie qu’il était sur le point de quitter pour toujours la maison de prière et de prudence où il était né, et l’ordre de l’existence d’où il était issu ?

    Les oiseaux revenaient avec des cris aigus au-dessus de l’angle saillant de la maison, et passaient, noirs sur le jour pâlissant. Quels oiseaux étaient-ce ? Il pensa que ce devaient être des hirondelles revenues du Midi. Alors, il devait s’en aller, puisque ces oiseaux allaient et venaient sans cesse, construisant des demeures éphémères sous les toits de l’homme, et sans cesse, sans cesse quittant les demeures qu’ils s’étaient faites pour s’en aller errer ailleurs.

    Inclinez vos visages, Oona et Aleel.

    Je les contemple comme l’hirondelle

    Contemple au bord du toit le nid,

    Avant l’envol errant sur les eaux qui résonnent240.

    Une douce joie liquide, comme le bruit des eaux multiples, inonda sa mémoire et il sentit dans son cœur la douce sérénité des espaces tranquilles, d’un ciel ténu, pâlissant au-dessus des eaux, du silence océanique, des hirondelles envolées à travers le crépuscule marin sur les eaux mouvantes.

    Une douce joie liquide ruisselait à travers ces paroles où les voyelles douces et longues s’entrechoquaient sans bruit, et retombaient, se repliaient sur elles-mêmes, et refluaient, agitant sans cesse les cloches blanches de leurs vagues, tintement, et carillon muet, et tendre appel évanescent ; et il sentit que le présage qu’il avait cherché dans le vol dardé et tournoyant des oiseaux, dans la pâle étendue du ciel au-dessus de sa tête, était sorti de son cœur comme un oiseau d’une tourelle, tranquillement et rapidement.

    Symbole de départ, ou bien de solitude ? Les vers qui venaient de chanter à l’oreille de son souvenir composèrent lentement devant ses yeux la salle du théâtre national, le soir de l’ouverture241. Il se trouvait seul sur un côté du balcon, regardant de ses yeux blasés la culture de Dublin aux fauteuils d’orchestre, les décors clinquants et les poupées humaines encadrées par les lumières crues de la scène. Un gros agent de police, derrière lui, suait et semblait vouloir, d’une minute à l’autre, passer à l’action. Des étudiants, camarades de Stephen, éparpillés dans la salle, lançaient par rafales des cris d’animaux, des sifflets, des huées.

    « On diffame l’Irlande !

    – Made in Germany !

    – Blasphèmes !

    – Nous n’avons jamais vendu notre foi !

    – Jamais une Irlandaise n’a fait ça !

    – À bas les athées amateurs !

    – À bas les apprentis bouddhistes ! »

    Un brusque sifflement bref tomba des fenêtres sous lesquelles se tenait Stephen et il sut qu’on venait d’allumer les lampes électriques dans la salle de lecture. Il entra dans le vestibule à colonnes, calmement éclairé à présent, monta l’escalier et passa le tourniquet cliquetant.

    Cranly était assis à l’opposé du côté des dictionnaires. Un gros livre, ouvert au frontispice, était posé devant lui, sur le support de bois. Il se penchait en arrière sur sa chaise, l’oreille tendue comme celle d’un confesseur vers le visage de l’étudiant en médecine qui lui lisait un problème dans la rubrique des échecs d’un journal. Stephen se plaça à sa droite. À ce moment un prêtre assis de l’autre côté de la table referma avec un claquement son numéro des Tablettes242 et se leva.

    Cranly le regarda partir d’un air placide et vague. L’étudiant en médecine reprit plus bas :

    « Pion à la quatrième du roi.

    – Nous

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