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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 52
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    donnerait de bon lait à ses enfants et aux tiens.

    – Eh bien, MacCann ne serait qu’un menteur jaune-soufre ! dit Lynch avec énergie.

    – Il nous reste une autre issue, dit Stephen, riant.

    – À savoir ? fit Lynch.

    – L’hypothèse que voici », commença Stephen.

    Un long tombereau chargé de ferraille tourna le coin de l’hôpital Patrick Dun174, noyant la suite du discours dans le grondement discordant et le tintamarre du métal. Lynch se boucha les oreilles et proféra une série de jurons jusqu’à ce que le tombereau se fût éloigné. Puis il tourna sur ses talons cavalièrement. Stephen se retourna aussi et attendit avec patience que la mauvaise humeur de son compagnon se fût dissipée.

    « Voici l’hypothèse, répéta Stephen, qui nous offre une autre issue : bien qu’un même objet puisse ne point paraître beau à tous, tous ceux qui admirent un bel objet trouvent en lui certains rapports qui satisfont et qui coïncident avec les phases mêmes de toute appréhension esthétique. Ces rapports du sensible, que tu vois sous une forme et moi sous une autre, sont donc les qualités nécessaires de la beauté. Maintenant, demandons à notre vieil ami saint Thomas encore pour deux sous de sa science. »

    Lynch riait.

    « Cela m’amuse prodigieusement, dit-il, de t’entendre citer chaque fois saint Thomas, comme un bon gros moine ! Est-ce que tu n’en ris pas toi-même, sous cape ?

    – MacAlister, répondit Stephen, appellerait ma théorie esthétique “ du saint Thomas appliqué175 ”. Sur toute l’étendue de cette partie de la philosophie esthétique, saint Thomas me conduira jusqu’au bout. Mais lorsque nous en arriverons aux phénomènes de la conception artistique, de la gestation, de la reproduction artistiques, j’aurai besoin d’une terminologie nouvelle, et d’une nouvelle expérience personnelle.

    – Naturellement, dit Lynch. Après tout, malgré son intellect, saint Thomas n’était pas autre chose qu’un bon gros moine. Mais tu me parleras de la nouvelle terminologie et de la nouvelle expérience personnelle un autre jour. Dépêche-toi de liquider la première partie.

    – Qui sait ? dit Stephen avec un sourire, saint Thomas m’aurait peut-être compris mieux que toi. Il était poète lui-même. Il a écrit un hymne pour le Jeudi Saint. Cela commence par les mots : Pange lingua gloriosi176. On dit que c’est le chef-d’œuvre de l’hymnaire. C’est un chant complexe et apaisant. Je l’aime beaucoup ; mais aucun hymne n’est comparable à ce funèbre et majestueux cantique processionnel, le Vexilla Regis de Venantius Fortunatus177. »

    Lynch se mit à chanter, doucement et solennellement, d’une voix de basse profonde :

    Impleta sunt quae concinit

    David fideli carmine

    Dicendo nationibus

    Regnavit a ligno Deus178.

    « Ça, c’est énorme ! dit-il d’un air heureux. Une musique énorme ! »

    Ils prirent Lower Mount Street179. À quelques pas du coin, un jeune homme gras, portant un cache-nez de soie, les salua et s’arrêta.

    « Vous connaissez le résultat des examens ? demanda-t-il : Griffin est recalé. Halpin et O’Flynn sont reçus pour l’Intérieur. Moonan est cinquième pour les Affaires indiennes, O’Shaughnessy quatorzième. Les Irlandais de chez Clarke180 leur ont offert un gueuleton hier soir. Ils ont tous mangé du curry. »

    Son visage pâle et bouffi exprimait une malice bienveillante et, tandis qu’il énumérait les succès, ses petits yeux entourés de graisse devinrent progressivement invisibles, sa voix faible et poussive cessa de se faire entendre.

    En réponse à une question de Stephen, les yeux et la voix resurgirent de leurs cachettes.

    « Oui, MacCullagh et moi, dit-il. Il choisit les mathématiques pures et moi l’histoire constitutionnelle. Il y a vingt sujets. Je prends aussi la botanique. Vous savez que je fais partie du club rural. »

    Il se recula d’un air avantageux et plaça une grosse main gantée de laine sur sa poitrine d’où s’échappa aussitôt un rire poussif.

    « À votre prochaine excursion, dit Stephen, pince-sans-rire, rapportez-nous des navets et des oignons pour faire un ragoût. »

    L’étudiant gras se mit à rire avec indulgence et dit :

    « Nous sommes tous gens de haute respectabilité, dans le club rural. Samedi dernier nous sommes allés à sept jusqu’à Glenmalure181.

    – Avec des femmes, Donovan ? » fit Lynch.

    Donovan182 posa de nouveau la main sur sa poitrine et dit :

    « Notre but est d’acquérir des connaissances. »

    Puis il ajouta vivement :

    « On me dit que vous écrivez un essai sur l’esthétique ? »

    Stephen esquissa un geste de dénégation.

    « Goethe et Lessing, continua Donovan, ont beaucoup écrit sur ce sujet, – l’école classique, l’école romantique et cetera. Le Laocoon m’a beaucoup intéressé lorsque je l’ai lu183. Bien entendu, c’est de l’idéalisme, c’est allemand, c’est ultra-profond. »

    Aucun des deux autres ne répondit. Donovan prit congé d’eux avec urbanité.

    « Il faut que je vous quitte, dit-il d’un air doux et bienveillant ; j’ai le vif soupçon, confinant presque à la certitude, que ma sœur comptait faire des crêpes aujourd’hui, pour le dîner familial des Donovan.

    – Au revoir, lui dit Stephen dans le dos : n’oubliez pas de rapporter des navets, pour nous deux. »

    Lynch regarda Donovan s’éloigner, et ses lèvres se tordirent avec un mépris progressif jusqu’à ce que son visage devînt semblable à un masque de diable :

    « Quand je pense que ce jaune excrément nourri de crêpes peut décrocher une belle situation, tandis que moi, il faut que je fume de mauvaises cigarettes ! »

    Ils se tournèrent en direction de Merrion Square et marchèrent quelque temps en silence.

    « Pour finir ce que je disais de la beauté, dit Stephen, les rapports les plus satisfaisants du sensible doivent donc correspondre aux phases nécessaires de l’appréhension artistique. Découvrons ces phases et nous découvrirons les qualités de la beauté universelle. Thomas d’Aquin dit : Ad pulchritudinem tria requiruntur integritas, consonantia, claritas184. Je traduis ainsi : Trois choses sont nécessaires à la beauté : intégralité, harmonie et éclat. Ces choses correspondent-elles aux phases de l’appréhension ? Tu me suis ?

    – Bien sûr, je te suis, dit Lynch. Si tu trouves mon intelligence trop excrémentesque, cours après Donovan et invite-le à t’écouter. »

    Stephen montra du doigt le panier dont un garçon boucher venait de se coiffer.

    « Regarde ce panier, dit-il.

    – Je le vois, dit Lynch.

    – Afin de voir ce panier, ton esprit le sépare d’abord de tout l’univers visible qui n’est pas ce panier. La première phase de l’appréhension est une ligne de démarcation tracée autour de l’objet à appréhender. Une image esthétique se présente à nous soit dans l’espace, soit dans le temps. Ce qui concerne l’ouïe se présente dans le temps, ce qui concerne la vue, dans l’espace. Mais, temporelle ou spatiale, l’image esthétique est d’abord lumineusement perçue comme un tout bien délimité sur le fond sans mesure de l’espace ou du temps, qui n’est pas cette image. Tu l’appréhendes comme une chose une. Tu la vois comme un seul tout. Tu appréhendes son intégralité – voilà l’integritas.

    – Dans le mille ! fit Lynch, riant ; continue.

    – Ensuite, dit Stephen, tu passes d’un point à un autre conduit par ses lignes formelles ; tu l’appréhendes dans l’équilibre balancé de ses parties entre les limites de l’ensemble ; tu sens le rythme de sa structure. En d’autres termes, la synthèse de la perception immédiate est suivie d’une analyse de l’appréhension. Après avoir senti que cette chose est une, tu sens maintenant que c’est une chose. Tu l’appréhendes complexe, multiple, divisible, séparable, composée de ses parties, résultat et somme de ces parties, harmonieuse. Voilà la consonantia.

    – Encore dans le mille ! remarqua Lynch d’un air spirituel. Explique-moi claritas et tu gagnes le cigare.

    – La connotation de ce mot, dit Stephen, est assez vague. Saint Thomas emploie ici un terme qui paraît inexact. Son sens m’a échappé pendant longtemps. Nous pourrions être portés à croire qu’il entendait par là le symbolisme ou l’idéalisme, la suprême qualité du beau étant la lumière venue de quelque autre monde, l’idée dont la matière n’est que l’ombre, la réalité dont elle n’est que le symbole. Je pensais qu’il pouvait entendre par claritas la découverte et la représentation artistique du dessein divin dans toute chose, ou bien une force de généralisation qui donnerait à l’image esthétique un caractère universel, en la faisant rayonner au-delà des limites de sa condition. Mais ce n’est là qu’un bavardage littéraire. Voici comment je comprends la chose. Lorsque tu as appréhendé le panier en question comme une chose une, lorsque tu l’as analysé selon sa forme, lorsque tu l’as appréhendé comme un objet, tu arrives à la seule synthèse logiquement et esthétiquement admissible : tu vois que ce panier est l’objet qu’il est, et pas un autre. L’éclat dont il parle, c’est, en scolastique, quidditas, l’essence de l’objet. L’artiste perçoit cette suprême qualité au moment où son imagination conçoit l’image esthétique. L’état de l’esprit en cet instant mystérieux a été admirablement comparé par Shelley à la braise près de s’éteindre185. L’instant dans lequel cette qualité suprême du beau, ce clair rayonnement de l’image esthétique se trouve lumineusement appréhendé par l’esprit, tout à l’heure arrêté sur l’intégralité de l’objet et fasciné par son harmonie, – c’est la stase lumineuse et silencieuse du plaisir esthétique, un état spirituel fort semblable à cette condition cardiaque que le physiologiste italien Luigi Galvani définit par une expression presque aussi belle que celle de Shelley : l’enchantement du cœur186. »

    Stephen fit une pause, et, bien que son compagnon ne parlât point, il sentit que ses paroles avaient créé autour d’eux une atmosphère d’enchantement intellectuel.

    « Ce que je viens de dire, reprit-il, a trait à la beauté dans la plus vaste acception du mot, dans le sens que confère à ce mot la tradition littéraire. Sur la place publique, ce mot a une tout autre signification. Si nous parlons de la beauté en prêtant à ce terme cette autre signification, notre jugement subit d’abord l’influence de l’art lui-même, et

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