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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 46
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    Stevie, l’automne dernier, en allant sur l’hiver ; et jamais je ne l’ai racontée à âme qui vive, et tu es la première personne à qui j’en parle. Je me dessouviens44 si c’était en octobre, ou bien en novembre… C’était en octobre, parce que c’était avant que je vienne ici pour la propédeutique45. »

    Stephen avait tourné son regard souriant vers le visage de son ami, flatté par sa confiance et gagné par la simplicité de son accent.

    « J’avais passé toute cette journée-là loin de chez moi, là-bas, à Buttevant46, – je ne sais pas si tu vois où cela se trouve ; – j’avais assisté à un match de hurley47 entre les Gars de Croke et les Sans-Peur de Thurles48. Par Dieu, Stevie, ce fut un rude combat ! Mon cousin germain, Fonsy Davin, a eu ses vêtements arrachés jusqu’à la peau49 ce jour-là, à garder le but50 pour ceux de Limerick, mais la moitié du temps il était avec les avants, et hurlait comme un fou. Jamais je n’oublierai ce jour-là. Un des gars de Croke lui a lancé un coup terrible51 avec sa crosse52 et, je te jure devant Dieu, qu’à un poil près53 il le recevait dans la tempe. Dieu m’est témoin, si le crochet l’avait atteint au passage, il était cuit !

    – Je suis heureux qu’il l’ait échappé belle, dit Stephen en riant. Mais ce n’est pas là, sans doute, la chose étrange qui t’est arrivée ?

    – Oui, je pense bien que cela ne t’intéresse guère, mais pour sûr54, il y eut un tel brouhaha après le match, que je manquai mon train et ne pus trouver le moindre engin55 pour m’emmener, car il a fallu qu’il y ait ce jour-là une grande réunion publique à Castletownroche56, et toutes les voitures du pays étaient parties là-bas. Alors il n’y avait rien à faire, sinon passer la nuit là, ou bien s’en aller à pied ; je me mis donc en route et d’un bon pas, et ça allait sur la nuit quand j’arrivai aux collines de Ballyhoura57 qui se trouvent à dix bons milles de Kilmallock58, et ensuite, il y a une longue route déserte. Pas trace d’habitation chrétienne sur cette route, et pas un bruit. Il faisait noir comme dans un four, presque. Une ou deux fois je m’arrêtai pour faire rougir ma pipe à l’abri d’un arbuste, et, n’était la rosée abondante59, je me serais couché là pour dormir. Enfin, après un tournant de la route, je repère une petite maison avec une lumière à la fenêtre. Je m’approche et je frappe à la porte. Une voix demande : Qui est là ? Je réponds que je m’en reviens du match de Buttevant et que j’accepterais avec reconnaissance un verre d’eau. Au bout d’un moment, une jeune femme ouvre la porte et me tend une cruche de lait. Elle était à moitié déshabillée comme si elle était en train de se coucher au moment où je frappai, et ses cheveux étaient défaits, et quelque chose dans son allure et dans l’aspect de ses yeux me fit supposer qu’elle était enceinte. Elle me retint un bon moment à causer devant la porte, et cela me semblait étrange, car sa poitrine et ses épaules étaient nues. Elle me demanda si j’étais fatigué60 et si j’aimerais rester à coucher. Elle me dit qu’elle était toute seule dans la maison, que son mari était parti depuis le matin pour Queenstown61, accompagner sa sœur qui s’en allait. Et tout le temps qu’elle parlait, Stevie, ses yeux restaient fixés sur mon visage, et elle se tenait si près de moi que je pouvais l’entendre respirer. Lorsque enfin je lui rendis la cruche, elle me prit la main pour m’attirer par-dessus le seuil et dit : “ Entre donc et reste coucher là. Tu n’as rien à craindre62. Il n’y a personne par ici63 que nous autres… ” Je ne suis pas entré, Stevie. Je lai remerciée et repris mon chemin, tout en fièvre. Au premier tournant de la route j’ai regardé en arrière et elle était debout devant la porte. »

    Les derniers mots de ce récit chantaient dans la mémoire de Stephen et l’image de la femme se précisait, reflétée par d’autres figures de paysannes qu’il avait vues debout devant leurs portes, à Clane, sur le passage des voitures du collège64. C’était l’image typique de cette race, de sa race à lui, une âme de chauve-souris s’éveillant à la conscience d’elle-même dans les ténèbres, le secret et la solitude, une âme qui, par le regard, la voix, le geste d’une femme dépourvue d’artifice, appelle l’étranger dans son lit65.

    Une main se posa sur son bras et une voix juvénile cria :

    « Hé ! Monsieur ! Votre bonne amie, monsieur ! Étrennez-moi ! Achetez-moi ce beau bouquet-là ! Dites, monsieur ! »

    Le bleu des fleurs qu’elle levait vers lui et le bleu de son jeune regard lui apparurent à ce moment comme l’image même de l’absence d’artifice et il s’arrêta pour laisser disparaître cette image et ne plus voir que la robe déchirée de la jeune fille, ses cheveux rudes et humides, son visage garçonnier.

    « Allons, monsieur ! N’oubliez pas votre bonne amie, monsieur !

    – Je n’ai pas d’argent, dit Stephen.

    – Achetez-moi ces belles-là, dites, monsieur ! Pour deux sous !

    – Avez-vous entendu ? demanda Stephen en se penchant vers elle. Je vous ai dit que je n’ai pas d’argent. Je vous le répète.

    – Alors, bien sûr, vous en aurez un jour, monsieur, s’il plaît à Dieu, répondit la jeune fille au bout d’un instant.

    – C’est possible, dit Stephen, mais cela m’étonnerait. »

    Il la quitta brusquement, craignant que sa familiarité ne dégénérât en moquerie, et désirant s’effacer pour ne pas la voir offrir sa marchandise à un autre, à quelque touriste anglais ou quelque étudiant de Trinity College. Grafton Street, qu’il suivait à présent, prolongea cette impression de pauvreté découragée. Au commencement de cette rue sur la chaussée se trouvait la dalle commémorative de Wolfe Tone et il se souvint d’avoir assisté avec son père à l’inauguration. Il se rappela avec amertume la cérémonie66 tapageuse. Il y avait là quatre délégués français dans un break, et l’un d’eux, jeune homme grassouillet et souriant, tenait planté au bout d’une canne un carton avec ces mots imprimés : Vive l’Irlande67 !

    Mais les arbres de Stephen’s Green embaumaient sous la pluie et le sol saturé d’eau exhalait son odeur mortelle, léger encens s’élevant des milliers de cœurs à travers l’humus. L’âme de la cité galante et vénale dont lui avaient parlé ses aînés, le temps l’avait réduite à cette légère odeur mortelle s’élevant de la terre, et il savait qu’en pénétrant dans le sombre collège, dans un instant, il aurait le sentiment d’une corruption autre que celle de Buck Egan68 et de Burnchapel Whaley69.

    Il était trop tard pour se rendre au cours de français. Il traversa le vestibule, prit le corridor de gauche conduisant à l’amphithéâtre de physique. Le corridor était obscur et silencieux, mais point dépourvu d’une occulte surveillance. Pourquoi éprouvait-il cette impression ? Était-ce parce qu’il avait entendu dire que, du temps de Buck Whaley70, il existait là un escalier dérobé ? Ou bien la maison des jésuites jouissait-elle de l’exterritorialité71, et lui-même s’avançait-il parmi des étrangers ? L’Irlande de Tone et de Parnell semblait avoir reculé dans l’espace.

    Il ouvrit la porte de l’amphithéâtre et s’arrêta dans la froide lumière grise qui pénétrait avec effort à travers les fenêtres poussiéreuses. Une silhouette se tenait accroupie devant la vaste grille de la cheminée, et à son aspect efflanqué et grisâtre, il sut que c’était le doyen des études72 en train d’allumer le feu. Stephen referma doucement la porte et s’approcha.

    « Bonjour, monsieur. Puis-je vous aider ? »

    Le prêtre leva les yeux avec vivacité et dit :

    « Une petite seconde, monsieur Dedalus, et vous allez voir. C’est tout un art que d’allumer le feu. Il y a les arts libéraux et les arts utiles73. Ceci est un des arts utiles.

    – J’essaierai de l’apprendre, dit Stephen.

    – Pas trop de charbon, fit le doyen, continuant activement sa besogne, voilà un des secrets. »

    Il tira des poches de sa soutane quatre bouts de chandelle, les disposa adroitement parmi les morceaux de charbon et les tapons de papier. Stephen l’observait en silence. Ainsi agenouillé sur les dalles pour attiser le feu, absorbé par l’ordonnance de ses tortillons de papier et de ses bouts de chandelle, il apparaissait plus que jamais comme un humble acolyte préparant le lieu du sacrifice dans un temple vide, un lévite du Seigneur. Telle la robe de lin toute simple du lévite, la soutane usée et déteinte drapait la figure agenouillée de cet homme qu’eussent ennuyé et embarrassé les grands ornements canoniques ou l’éphode74 bordé de clochettes. Son corps même avait vieilli dans le plus humble service de Dieu, – à entretenir le feu de l’autel, à porter des messages secrets, à s’occuper de laïcs très séculiers, à frapper vivement quand il en recevait l’ordre, – et cependant ce corps n’avait point acquis la grâce d’une beauté de saint ou de prélat. Bien plus, son âme elle-même avait vieilli dans ce service sans s’élever vers la lumière et la beauté, sans répandre une suave odeur de sainteté ; c’était une volonté mortifiée, insensible au plaisir de son obéissance comme était insensible au plaisir de l’amour ou de la lutte ce corps sénile, sec et noueux, tout cendré de poils gris à pointes d’argent.

    Le doyen s’assit sur ses talons, et regarda le petit bois s’allumer. Stephen, pour combler le silence, dit :

    « Je suis sûr que je serais incapable d’allumer un feu.

    – Vous êtes un artiste,

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