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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 43
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    de noms dont il avait presque conscience, mais dont il ne pouvait saisir un seul, fut-ce pour un instant ; puis la musique sembla s’éloigner, s’éloigner, s’éloigner, et de chaque traînée fuyante de cette musique nébuleuse se détachait toujours une note d’appel prolongé, perçant comme une étoile le crépuscule du silence. Encore ! Encore ! Encore ! Une voix au-delà du monde lançait un appel.

    – Hé, Stephanos !

    – Voilà Le Dédale50 !

    – Aïe !… Arrête, Dwyer, je te dis ! ou je te flanque un de ces gnons à travers la gueule51 !… ah ! ho !

    – Bravo, Towser ! Fais-lui faire le plongeon !

    – Arrive, Dedalus ! Bous Stephanoumenos52 ! Bous Stephaneforos !

    – Enfonce-le ! Fais-lui boire un coup, Towser !

    – Au secours ! au secours !… ah ! ho ! »

    Il reconnut leur parler collectivement avant de distinguer leurs visages. La seule vue de cette mêlée de nudités mouillées le glaça jusqu’aux os. Leurs corps, d’un blanc de cadavre, ou baignés d’une pâle lueur dorée, ou rudement tannés par le soleil, brillaient dans l’humidité marine. Le rocher qui leur servait de tremplin, posé en équilibre sur ses supports primitifs et oscillant à chaque plongeon, les pierres brutes du brise-lames incliné où ils grimpaient dans leurs ébats de poulains, tout luisait d’un lustre humide et froid. Les serviettes avec lesquelles ils se donnaient des claques étaient lourdes d’eau de mer froide ; l’eau froide et salée ruisselait de leurs cheveux aplatis.

    Il s’immobilisa, déférant à leur appel et riposta avec aisance à leurs taquineries. Comme ils avaient l’air insignifiants : Shuley sans son large col déboutonné, Ennis sans sa ceinture écarlate dont la boucle représentait un serpent ; Connolly sans sa veste de chasse aux poches dépourvues de pattes. C’était une douleur de les voir, une douleur aiguë de voir les marques de l’adolescence qui rendaient répulsives leurs pitoyables nudités. Peut-être avaient-ils trouvé refuge, dans le nombre et le bruit, contre l’épouvante secrète de leur âme ? Mais lui, à l’écart et en silence, il se rappelait son épouvante devant le mystère de son propre corps.

    « Stephanos Dedalos ! Bous Stephanoumenos ! Bous Stephaneforos ! »

    Leurs taquineries lui étaient familières, et cette fois elles flattaient sa souveraineté paisible et orgueilleuse. Aujourd’hui, pour la première fois, son nom étrange lui semblait une prophétie. L’air tiède et gris paraissait tellement en dehors du temps, son propre état d’esprit si fluide, si impersonnel, que tous les siècles se confondaient dans sa pensée. Tout à l’heure, le spectre de l’ancien royaume danois s’était montré sous le vêtement de la ville drapée de brumes. Maintenant, à l’évocation de l’artisan fabuleux, il croyait entendre un bruit de vagues confuses et voir une forme ailée volant sur les flots, s’élevant lentement en l’air. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce une devise bizarre couronnant une page de quelque livre médiéval de prophéties et de symboles, un homme-faucon montant au-dessus des vagues vers le soleil, la prophétie de la fin qu’il était né pour servir, qu’il avait poursuivie à travers les brumes de l’enfance et de la jeunesse, le symbole de l’artiste forgeant53 à nouveau dans son atelier, avec l’inerte matière terrestre, un être nouveau, impalpable, impérissable, en plein essor ?

    Son cœur palpitait, sa respiration s’accélérait, un esprit sauvage passa sur ses membres, comme s’il prenait son essor vers le soleil. Son cœur palpitait d’une crainte extatique, son âme était en plein vol. Son âme prenait son essor au-delà du monde et le corps qu’il avait connu se trouvait purifié d’un seul souffle, délivré de l’incertitude, radieux et mêlé à l’élément spirituel. L’extase du vol rendait ses yeux rayonnants, sa respiration sauvage, et vibrants, sauvages, rayonnants ses membres balayés par le vent.

    « Une ! deux !… attention !

    – Oh, bigre, je me noyons !

    – Une ! deux ! trois, et hop !

    – À moi ! À moi !

    – Une… Plouf !

    – Stephaneforos ! »

    Sa gorge était meurtrie par le désir de crier, de lancer le cri du faucon ou de l’aigle planant très haut, d’annoncer aux vents par un cri perçant sa délivrance. C’était là l’appel que la vie adressait à son âme et non pas la voix morne et grossière du monde des devoirs et des désespérances, non pas cette voix inhumaine qui l’avait convié au pâle service de l’autel. Un seul instant de sauvage envolée avait suffi à le délivrer et le cri de triomphe réprimé par ses lèvres lui fendit le cerveau.

    « Stephaneforos ! »

    Qu’étaient-elles donc à présent, sinon des suaires tombés du corps de mort, cette crainte qui l’avait accompagné nuit et jour, cette incertitude qui l’avait encerclé, cette honte qui l’avait humilié au-dedans comme au-dehors – des suaires, les linges du sépulcre ?

    Son âme s’était levée du sépulcre de l’adolescence, rejetant ses vêtements mortuaires. Oui ! Oui ! Oui ! Il allait créer avec orgueil, grâce à la liberté et à la puissance de son âme, comme le grand artisan dont il portait le nom, une chose vivante, nouvelle, en plein essor et belle, impalpable, impérissable.

    D’un mouvement nerveux, il se leva du rocher, ne pouvant plus maîtriser l’ardeur de son sang. Ses joues étaient en feu, un chant intérieur faisait palpiter sa gorge. Un désir aigu d’errance brûlait ses pieds prêts à courir aux confins de la terre. Son cœur semblait crier : en avant ! en avant ! Le soir s’épaissirait au-dessus de la mer, la nuit descendrait sur les plaines, l’aube s’allumerait devant le voyageur et lui montrerait des champs, des monts, des visages étranges… Où donc ?

    Il regarda vers le nord, du côté de Howth54. La mer était descendue au-dessous de la frange de varech du côté le moins profond du brise-lames, et déjà le reflux s’écoulait rapidement au long de la plage. Déjà un long banc de sable ovale se voyait, tiède et sec, parmi les petites vagues. De-ci, de-là, de tièdes îlots de sable luisaient au-dessus de la mince nappe d’eau. Et, auprès des îlots, autour du long banc de sable, parmi les minces ruisseaux de la plage, il y avait des silhouettes revêtues de clarté et de couleurs vives qui pataugeaient et qui creusaient.

    En un clin d’œil il fut pieds nus, ses chaussettes dans ses poches, ses souliers de toile se balançant à son épaule au bout de leurs lacets noués ensemble ; et ramassant entre les rochers, parmi les épaves, un bâton pointu rongé par le sel, il descendit la pente du brise-lames.

    Il y avait sur la grève un long ruisseau, et comme il en remontait lentement le cours, il admira l’interminable dérive des algues. Vert émeraude, noires, rousses, olivâtres, elles se mouvaient sous l’eau courante, ondoyant et tournoyant. L’eau était obscurcie par cette interminable dérive et reflétait la dérive des nuages là-haut55. Au-dessus de lui, les nuages dérivaient en silence ; en silence les laminaires enchevêtrées dérivaient à ses pieds et l’air gris et tiède était calme : et dans ses veines une vie nouvelle et sauvage chantait.

    Où était maintenant son adolescence ? Où était l’âme qui s’était attardée derrière sa destinée pour couver, solitaire, la honte de ses plaies et pour, dans son asile de turpitude et de subterfuges, la revêtir royalement de linceuls décolorés, de guirlandes qui se fanent au toucher ? Ou bien alors, où était-il lui-même ?

    Il était seul. Personne ne prenait garde à lui, il était heureux, tout près du cœur sauvage de la vie. Il était seul et jeune, et opiniâtre, et sauvage, seul dans un désert d’air sauvage, d’eaux saumâtres, parmi la moisson marine de coquillages et de laminaires, parmi la clarté grise du soleil voilé, parmi les silhouettes revêtues de couleurs vives et de clarté d’enfants et de jeunes filles, parmi les voix enfantines et virginales résonnant dans l’air.

    Une jeune fille se tenait devant lui, debout dans le mitan du ruisseau –, seule et tranquille, regardant vers le large. On eût dit un être à qui la magie avait donné la ressemblance d’un oiseau de mer, étrange et beau. Ses jambes nues, longues et fines, étaient délicates comme celles d’une grue56, et immaculées, sauf à l’endroit où un ruban d’algue couleur d’émeraude avait dessiné un signe sur la chair. Ses cuisses plus pleines, nuancées comme l’ivoire, étaient découvertes presque jusqu’aux hanches, où les volants blancs du pantalon figuraient le duvet d’un plumage flou et blanc. Ses jupes bleu ardoise, crânement retroussées jusqu’à la taille retombaient par-derrière en queue de pigeon ; sa poitrine était pareille à celle d’un oiseau, tendre et menue, menue et tendre comme la gorge de quelque tourterelle aux sombres plumes ; mais ses longs cheveux blonds étaient ceux d’une enfant, et virginal, et touché par le miracle de la beauté mortelle était son visage57.

    Elle était là, seule et tranquille, regardant vers le large ; puis lorsqu’elle eut senti la présence de Stephen et son regard d’adoration, ses yeux se tournèrent vers lui, subissant ce regard avec calme, sans honte ni impudeur. Longtemps, longtemps elle le subit ainsi, puis, calme, détourna ses yeux de ceux de Stephen et les abaissa vers le ruisseau, remuant l’eau de-ci, de-là, doucement, du bout de son pied. Le premier clapotis léger de l’eau remuée rompit le silence, doux et timide, et murmurant, timide comme les clochettes du sommeil ; de-ci, de-là, de-ci, de-là : et une rougeur timide palpitait sur sa joue.

    « Dieu du ciel ! » cria l’âme de Stephen dans une explosion de joie profane.

    Il se détourna d’elle brusquement et s’en fut à travers la grève. Ses joues brûlaient ; son corps était un brasier, un tremblement agitait ses membres. Il s’en fut à grands pas, toujours plus loin, par-delà les sables, chantant un hymne sauvage à

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