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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 40
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    des lèvres un léger mouvement dubitatif.

    « Je crois, continua le directeur, qu’il est question actuellement, chez les capucins eux-mêmes, de quitter cet habit, à l’exemple des autres franciscains.

    – Je suppose qu’ils le garderaient dans la clôture ? fit Stephen.

    – Oh, certainement, dit le directeur. Pour la clôture c’est parfait, mais pour la rue je pense réellement qu’il vaudrait mieux s’en débarrasser, ne trouvez-vous pas ?

    – J’imagine que cela doit être incommode.

    – Bien sûr, bien sûr. Figurez-vous qu’étant en Belgique, je les voyais dehors, à bicyclette, par n’importe quel temps, avec cette affaire qui leur remontait aux genoux ! C’était absolument ridicule. En Belgique, on les appelle les jupes16. »

    La voyelle était modifiée au point d’être indistincte.

    – Comment les appelle-t-on ?

    – Les jupes.

    – Ah ! »

    Stephen répondit par un nouveau sourire au sourire qu’il ne pouvait voir sur le visage du prêtre, plongé dans l’ombre, mais dont l’image ou le spectre seulement traversait rapidement son cerveau lorsque l’accent bas et discret atteignait son oreille. Il regardait avec calme le ciel pâlissant, heureux de la fraîcheur du soir et de la faible clarté jaune qui dissimulait l’imperceptible rougeur allumée sur ses joues.

    Les noms désignant des vêtements de femme, ou ceux des étoffes douces et délicates employées pour ces vêtements, évoquaient toujours pour lui un parfum subtil et défendu. Étant enfant, il avait imaginé que les rênes des chevaux étaient de minces rubans de soie, et il avait été déçu, à Stradbrook17, par le contact du cuir gras des harnais. Il avait été choqué de même en sentant pour la première fois sous ses doigts frémissants la fragile texture d’un bas de femme ; car, retenant de ses lectures cela seul qui lui semblait être un écho ou une prophétie de sa propre existence, il ne s’aventurait à concevoir une âme ou un corps féminin, s’animant tendrement, que parmi des paroles délicates ou des étoffes aux douceurs de roses.

    Mais dans la bouche du prêtre cette expression était insincère ; Stephen savait qu’un prêtre ne devait point parler légèrement de ce sujet. Le mot avait été prononcé légèrement à dessein, et il sentait que les yeux dans l’ombre scrutaient son visage. Tout ce qu’il avait entendu ou lu sur l’habileté des jésuites, il l’avait résolument écarté comme non confirmé par sa propre expérience. Ses maîtres, même ceux qui ne l’avaient pas attiré, lui étaient toujours apparus comme des prêtres intelligents et sérieux, des préfets athlétiques et pleins d’ardeur. Il se les représentait comme des hommes qui font avec entrain des ablutions à l’eau froide et portent du linge propre et froid. Pendant toutes les années vécues parmi eux à Clongowes et à Belvédère, il n’avait reçu que deux punitions corporelles, et, bien que celles-là lui eussent été infligées à tort, il savait qu’il avait souvent échappé au châtiment. Au cours de toutes ces années, il n’avait jamais entendu de la part de ses maîtres aucun mot malsonnant ; c’étaient eux qui lui avaient enseigné la doctrine chrétienne, qui l’avaient exhorté à mener une vie droite ; et, lorsqu’il fut tombé dans un grave péché, c’étaient eux qui l’avaient ramené vers la grâce. Leur présence l’avait rendu défiant envers lui-même alors qu’il n’était qu’une nouille18 à Clongowes, et elle l’avait rendu également défiant envers lui-même dans sa position équivoque, à Belvédère19. Ces sentiments étaient demeurés constamment en lui jusqu’à la dernière année de sa vie d’écolier. Pas une seule fois il n’avait désobéi, ni laissé de turbulents camarades le détourner de ses habitudes de calme obéissance20 et même lorsqu’il avait mis en doute quelque affirmation d’un maître, il ne s’était jamais permis de le faire ouvertement. Ces derniers temps, quelques-uns de leurs jugements lui avaient paru un peu puérils, et il en avait éprouvé du regret et de la pitié, comme s’il sortait lentement d’un monde familier dont il entendait le langage pour la dernière fois. Un jour que des élèves entouraient un prêtre sous l’appentis près de la chapelle, il avait entendu ce prêtre dire :

    « Je pense que Lord Macaulay était un homme qui n’avait probablement jamais commis un péché mortel de sa vie ; j’entends un péché mortel délibéré21. »

    Quelques élèves avaient alors demandé si Victor Hugo n’était pas le plus grand écrivain français. Le prêtre avait répondu que Victor Hugo, depuis qu’il s’était retourné contre l’Église, n’avait plus jamais écrit aussi bien et de beaucoup que lorsqu’il était bon catholique.

    « Mais bien des critiques éminents en France, dit le prêtre, affirment que Victor Hugo lui-même, tout grand qu’il fût assurément, ne possédait pas un style aussi pur que celui de Louis Veuillot22. »

    L’imperceptible flamme que l’allusion du prêtre avait allumée sur la joue de Stephen s’était éteinte et ses yeux demeuraient tranquillement fixés sur le ciel décoloré. Mais un doute inquiet voltigeait sans cesse de-ci de-là devant son esprit. Des souvenirs masqués défilèrent rapidement, il reconnut des scènes, des personnages, tout en se rendant compte que quelque chose de vital lui échappait en eux. Il se voyait lui-même marchant sur les terrains de sport, assistant aux jeux à Clongowes, puisant de la réglisse dans sa casquette de cricket. Des jésuites se promenaient autour de la piste cyclable, en compagnie de quelques dames. L’écho de certaines expressions familièrement employées à Clongowes retentissait dans de profondes grottes de sa mémoire.

    Ses oreilles suivaient ces échos lointains, dans le silence du parloir, quand il s’aperçut que le prêtre s’adressait à lui sur un ton différent.

    « Je vous ai fait appeler aujourd’hui, Stephen, parce que je désirais vous entretenir d’un sujet fort important.

    – Bien, monsieur.

    – Avez-vous jamais senti en vous une vocation ? »

    Stephen desserra les lèvres pour répondre oui, mais soudain il retint ce mot. Le prêtre attendit la réponse et ajouta :

    « Je veux dire : avez-vous jamais senti en vous, dans votre âme, le désir d’entrer dans notre ordre ? Réfléchissez.

    – J’y ai songé parfois », dit Stephen.

    Le prêtre laissa retomber le cordon du store et posa gravement le menton sur ses mains jointes, se recueillant.

    « Dans un collège comme celui-ci, dit-il enfin, il se trouve un jeune homme, deux ou trois jeunes gens peut-être, que Dieu appelle à la vie religieuse. Un tel jeune homme se distingue de ses camarades par sa piété, par le bon exemple qu’il montre aux autres. Il jouit de leur considération ; il arrive que les membres de sa confrérie le choisissent pour préfet. Vous, Stephen, vous avez été un tel jeune homme dans ce collège, vous êtes devenu préfet de la confrérie de Notre-Dame. Il se peut que vous soyez précisément, dans ce collège, le jeune homme que Dieu compte appeler à Lui. »

    Une forte intonation d’orgueil, qui venait renforcer ce que la voix du prêtre avait de grave, précipita, en manière de réponse, les battements du cœur de Stephen.

    « Un tel appel, Stephen, dit le prêtre, est le plus grand honneur que Dieu Tout-Puissant puisse accorder à un homme. Aucun roi, aucun empereur de la terre ne possède le pouvoir d’un prêtre de Dieu. Aucun ange ou archange du ciel, aucun saint, ni la Sainte Vierge elle-même, ne possèdent le pouvoir d’un prêtre de Dieu : le pouvoir des clefs23, le pouvoir de lier et de délier les péchés, le pouvoir d’exorciser, le pouvoir de chasser hors des créatures de Dieu les esprits malins qui les tiennent en leur puissance ; le pouvoir, l’autorité de faire descendre le grand Dieu du Ciel sur l’autel pour revêtir la forme du pain et du vin. Quel redoutable pouvoir, Stephen ! »

    Une rougeur commença à flamber de nouveau sur les joues de Stephen tandis que dans cet orgueilleux discours il entendait l’écho de ses propres rêveries orgueilleuses. Que de fois il s’était imaginé lui-même dans le rôle du prêtre, exerçant avec calme et humilité le redoutable pouvoir qui tient en respect les anges et les saints ! Son âme s’était plu à rêver en secret sur ce désir. Il s’était vu, jeune prêtre aux manières silencieuses, entrant avec vivacité dans un confessionnal, montant les degrés de l’autel, balançant l’encensoir, faisant des génuflexions, accomplissant les actes vagues du sacerdoce qui lui plaisaient en raison de leur apparence de réalité et de la distance qui les séparait de celle-ci. Dans cette existence indécise vécue au cours de ses rêveries, il avait adopté les voix et les gestes observés chez divers prêtres. Il avait plié le genou obliquement comme un tel, s’était contenté de secouer l’encensoir très légèrement, comme tel autre, sa chasuble, lorsqu’il s’était retourné vers l’autel après avoir béni la foule, s’était ouverte comme celle d’un troisième. Et, par-dessus tout, il s’était plu à occuper la seconde place dans ces scènes indécises imaginées par lui. Il renonçait à la dignité de célébrant, n’aimant pas que toute cette pompe vague trouvât son achèvement dans sa propre personne ou que le rituel lui assignât un office si précis et si définitif. Il aspirait aux ordres mineurs : à revêtir la tunique du sous-diacre à la grand’messe, à se tenir à l’écart de l’autel, oublié par l’assistance, les épaules recouvertes de l’amict dans le pli duquel il tiendrait la patène : ou bien, le sacrifice accompli, à se dresser, diacre en dalmatique de drap d’or, sur un degré au-dessous de l’officiant, les mains jointes, le visage tourné vers le peuple, entonnant le plain-chant : Ite missa est. Si jamais il s’était vu en qualité de célébrant, c’était comme sur les images du paroissien de son enfance, dans une église sans autres fidèles que l’ange du sacrifice, devant un autel nu où il était assisté par un acolyte à peine plus juvénile que lui-même. Seuls des actes vagues du sacrifice ou des sacrements

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