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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 39
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    l’exaltation spirituelle et s’interdisait de manquer à la moindre, à la plus humble pratique, s’efforçant, d’autre part, au moyen de constantes mortifications, de défaire son passé de pécheur plutôt que d’acquérir une sainteté lourde de périls. Chacun de ses sens était soumis à une rigoureuse discipline. Pour mortifier le sens de la vue, il se fit une règle de marcher dans la rue les yeux baissés, ne regardant ni à droite ni à gauche et jamais en arrière. Ses yeux évitaient toute rencontre avec des yeux de femme. Parfois aussi il les contrariait par un brusque effort de volonté, par exemple en les levant subitement au milieu d’une phrase inachevée et en fermant le livre. Pour mortifier son ouïe, il n’exerçait aucun contrôle sur sa voix qui était alors en train de muer ; il ne chantait ni ne sifflait, il n’essayait pas de fuir les bruits qui lui causaient une pénible irritation nerveuse, tels que celui des couteaux qu’on repasse, des cendres qu’on ramasse sur la pelle, des tapis que l’on bat. Il était plus difficile de mortifier son odorat, car il n’éprouvait pas de répugnance instinctive des mauvaises odeurs, qu’il s’agît des odeurs du dehors, comme celles du fumier, du goudron, ou bien des odeurs de sa propre personne, parmi lesquelles il avait fait maintes comparaisons ou expériences curieuses. À la fin, il trouva que la seule odeur qui révoltât son odorat était une certaine puanteur croupie avec un relent de poisson, comme celle de l’urine stagnante8 ; et, toutes les fois que cela lui était possible, il s’obligeait à respirer cette odeur rebutante. Afin de mortifier son goût, il pratiquait la frugalité aux repas, observait à la lettre tous les jeûnes de l’Église, cherchait à distraire et à détourner son attention de la saveur des mets différents. Mais c’était à la mortification du toucher qu’il apportait l’ingéniosité et l’invention la plus assidue. Jamais il ne changeait volontairement de position au lit ; il restait assis dans les poses les plus incommodes, il souffrait patiemment toute démangeaison et toute douleur, il se tenait loin du feu, il demeurait à genoux durant toute la messe, excepté pendant la lecture des évangiles, il s’abstenait d’essuyer une partie de son visage et de son cou afin de les laisser mordre par l’air, et, dans les moments où il ne disait pas son chapelet, il tenait les bras raidis à ses côtés à la manière d’un coureur9, sans jamais mettre ses mains dans ses poches ou derrière le dos.

    Il n’éprouvait aucune tentation de péché mortel. Cependant il était surpris de découvrir qu’à la fin de son programme de piété compliquée, de discipline intérieure, il restait à la merci d’imperfections puériles et indignes. Ses prières et ses jeûnes ne l’empêchaient guère de se mettre en colère quand il entendait sa mère éternuer, ou bien quand on le dérangeait dans ses dévotions. Il lui fallait un immense effort de volonté pour maîtriser l’instinct qui le poussait à donner libre cours à de telles irritations. L’image des accès de colère triviale qu’il avait souvent remarqués chez ses professeurs – bouches tordues, lèvres pincées, joues empourprées – lui revenait à l’esprit et le décourageait par comparaison, malgré toute l’humilité acquise. Immerger sa vie dans le flot commun des autres existences lui paraissait plus difficile que n’importe quel jeûne ou quelle prière et il n’y réussissait jamais à sa propre satisfaction, ce qui finissait par créer dans son âme la sensation d’une sécheresse spirituelle, où les doutes et les scrupules allaient s’accentuant. Son âme traversa une période de désolation pendant laquelle les sacrements eux-mêmes semblaient s’être transformés en sources taries. Sa confession devint l’exutoire d’imperfections scrupuleuses et dont il ne se repentait pas. La réception effective de l’eucharistie n’amenait pas ces moments de dissolution de l’être et d’abandon virginal, comme certaines communions spirituelles qu’il faisait parfois, à la fin de quelque visite au Saint-Sacrement. Le livre qu’il employait pour ces visites était un vieux volume désuet, de saint Alphonse de Liguori10, aux caractères effacés, aux feuillets flétris et piqués. Tout un monde suranné d’amour fervent, de réponses virginales semblait évoqué pour son âme par la lecture de ces pages où l’imagerie des cantiques s’entremêlait avec les prières du communiant. Une voix inaudible caressait l’âme, disant ses noms et ses gloires, lui ordonnant de se lever et de venir comme pour des noces, lui ordonnant de regarder au loin, épouse, du haut d’Amana et des montagnes des léopards ; et l’âme, avec la même inaudible voix, répondait en s’abandonnant : Inter ubera mea commorabitur11.

    Cette idée d’abandon12 exerçait une attraction périlleuse sur son esprit, maintenant qu’il se sentait de nouveau l’âme obsédée par les voix insistantes de la chair dont le murmure se levait pendant ses prières et ses méditations. Il éprouva une sensation intense de sa propre puissance, à l’idée qu’il pouvait, par un seul acte de consentement, par une seule pensée d’un seul instant, défaire tout ce qu’il avait fait. Il lui semblait sentir un flot qui s’avançait lentement vers ses pieds nus, et attendre la première, faible, timide, silencieuse petite vague qui viendrait effleurer sa peau enfiévrée. Puis, presque au moment de ce contact, presque au bord du coupable consentement, il se retrouvait debout loin du flot, sur la terre ferme, sauvé par un acte soudain de volonté ou par une prière jaculatoire. Et, lorsqu’il voyait la lisière argentée du flot, au loin, recommencer sa lente progression vers ses pieds, un nouveau frisson de puissance et de satisfaction secouait son âme à l’idée qu’il ne s’était pas rendu et n’avait pas tout défait.

    Après avoir ainsi maintes fois échappé au flot de la tentation, il devint inquiet et se demanda si la grâce qu’il s’était refusé à perdre ne lui était pas subtilisée petit à petit. La certitude si claire de sa propre immunité se troubla et fut remplacée par la vague crainte que son âme ne fût réellement tombée à son insu. Il lui fallut beaucoup d’efforts pour reconquérir la conscience de son état de grâce, en se redisant qu’il avait prié Dieu à chacune de ses tentations et que la grâce qu’il avait implorée devait lui être accordée, attendu que Dieu était obligé de la donner. La fréquence et la violence même des tentations lui attestaient enfin la vérité de ce qu’il avait appris au sujet des épreuves des saints. Les tentations fréquentes et violentes prouvaient que la citadelle de l’âme n’était pas tombée et que le diable redoublait de rage pour la faire tomber.

    Souvent, après qu’il eut confessé ses doutes et ses scrupules – quelque distraction momentanée pendant les prières, un mouvement de colère insignifiant, une subtile intervention de la volonté en parole ou en action –, son confesseur, avant de lui donner l’absolution, lui demandait de citer quelque péché de sa vie passée. Il le citait avec humilité et honte, il s’en repentait à nouveau. Il se sentait humilié et honteux à la pensée qu’il n’en serait jamais délivré totalement, si sainte que fût sa vie, si grandes que fussent les vertus et les perfections qu’il pouvait atteindre. Une sensation inquiète de culpabilité l’accompagnerait toujours : il se confesserait, se repentirait, obtiendrait l’absolution, il se confesserait et se repentirait à nouveau, obtiendrait une nouvelle absolution, – toujours en vain. Peut-être cette première confession hâtive, arrachée par la peur de l’enfer, n’avait-elle pas été bonne ? Peut-être, préoccupé seulement de son imminent passage en jugement n’avait-il pas éprouvé un regret sincère de ses péchés ? Mais le signe le plus sûr de l’excellence de sa confession, de la sincérité de son regret, c’était, il le savait, l’amendement de sa vie.

    « Voyons : j’ai bien amendé ma vie13, n’est-ce pas ? » se demandait-il.

    *

    Le directeur14 se tenait debout dans l’embrasure de la fenêtre, le dos à la lumière, un coude appuyé à l’écran brun et, tout en parlant et en souriant, balançait et roulait en boucles, d’un geste lent, le cordon du store. Stephen était devant lui, suivant des yeux tantôt le déclin du long jour d’été par-dessus les toits, tantôt les mouvements lents et habiles des doigts sacerdotaux. Le visage du prêtre se trouvait dans l’ombre absolue, mais le jour déclinant effleurait par-derrière les tempes profondément creusées et les courbes du crâne. Stephen suivait aussi, de l’oreille, les accents et les intervalles de la voix du prêtre à mesure que celui-ci parlait gravement et cordialement de choses quelconques, des vacances qui venaient de finir, des collèges de l’ordre à l’étranger, des déplacements de maîtres. La voix grave et cordiale poursuivait son discours avec aisance, et pendant les pauses Stephen se sentait obligé de le faire rebondir par des questions respectueuses. Il savait que ce discours était un prélude et son esprit attendait la suite. Depuis l’instant où on lui avait transmis la convocation du directeur, son esprit s’était efforcé de trouver le sens de ce message ; pendant sa longue et anxieuse attente au parloir du collège, avant l’entrée du directeur, ses yeux avaient erré de l’un à l’autre des tableaux discrets accrochés aux murs, tandis que sa pensée errait d’une conjecture à une autre jusqu’à ce que le sens de la convocation lui apparût presque clairement. Puis, au moment même où il souhaitait qu’une cause imprévue empêchât la venue du directeur, il entendit la poignée de la porte que l’on tournait et le bruit sifflant d’une soutane.

    Le directeur se mit à parler des dominicains et des franciscains, de l’amitié entre saint Thomas et saint Bonaventure15. L’habit de capucin, à son avis, était un peu trop…

    Le visage de Stephen refléta le sourire indulgent du prêtre, et n’ayant pas envie d’exprimer une opinion, il esquissa

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