▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
Recherche avancée
Sign in Sign up
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
    Sign in Sign up
    1. Home
    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 36
    Prev
    Next

    cacha de nouveau son visage dans ses mains. Il avait péché. Il avait péché si gravement contre le ciel et devant Dieu, qu’il n’était plus digne d’être appelé enfant de Dieu45.

    Se pouvait-il que lui, Stephen Dedalus, eût fait ces choses-là ? Sa conscience répondit par un soupir. Oui, il les avait faites, secrètement, ignoblement, à plusieurs reprises, et, endurci dans sa coupable impénitence, il avait osé porter le masque de piété jusque devant le tabernacle, alors que son âme était un vivant amas de pourriture. Comment se faisait-il que Dieu ne l’eût pas frappé d’une mort foudroyante ? La foule lépreuse de ses péchés se resserrait autour de lui ; ils soufflaient sur lui, ils se penchaient sur lui de tous côtés. Il essayait de les oublier au moyen d’une prière, en recroquevillant ses membres, en forçant ses paupières à se fermer ; mais les sens de son âme46 ne se laisaient pas maîtriser et, bien que ses yeux fussent hermétiquement clos, il voyait les endroits où il avait péché ; et, bien que ses oreilles fussent bouchées, il entendait. De toute sa volonté, il désirait ne pas entendre, ne pas voir. Son désir s’obstina jusqu’à ce que tout son corps se mît à trembler sous l’effort de ce désir, jusqu’à ce que les sens de son âme se fussent refermés. Ils se refermèrent un instant, puis se rouvrirent. Il vit.

    Un champ hérissé de mauvaises herbes47, de chardons, d’orties touffues. De toutes parts, entre les touffes de cette végétation drue et raide, il y avait de vieilles boîtes cabossées et des tas en spirale d’excréments durcis. Une vague lumière de feu follet cherchait à s’élever de toutes ces immondices à travers le vert-gris des broussailles. Une odeur viciée, vague et ignoble comme cette clarté, montait, en volutes paresseuses, des vieilles boîtes, des fientes rancies et encroûtées.

    Il y avait des créatures dans ce champ : un, trois, six… Des créatures remuaient dans le champ, de-ci, delà. Des créatures semblables à des boucs, avec des figures humaines, aux fronts cornus, aux barbes rares, gris comme du caoutchouc. La malignité du vice luisait dans leurs yeux durs, tandis qu’ils remuaient de-ci, de-là, traînant derrière eux leurs longues queues. Un rictus de malignité cruelle éclairait de gris leurs vieux visages osseux. Un d’eux serrait autour de ses côtes un gilet de flanelle déchiré, un autre se plaignait d’une voix monotone, lorsque sa barbe s’accrochait aux touffes d’herbe. Un doux langage s’exhalait de leurs lèvres dépourvues de salive, tandis qu’ils tournoyaient avec un bruit sifflant, en cercles lents, tout autour du champ, serpentant de-ci, de-là, dans les broussailles, traînant leurs longues queues parmi les boîtes de fer bruyantes. Ils évoluaient en cercles lents, de plus en plus étroits, pour enfermer, pour enfermer, un doux langage s’exhalant de leurs lèvres, leurs longues queues sifflantes barbouillées de fiente rancie, leurs visages terrifiants projetés vers le ciel…

    Au secours !

    D’un geste dément, il arracha les couvertures pour libérer son visage et son cou. C’était là son enfer. Dieu lui avait permis de voir l’enfer réservé à ses péchés : un enfer puant, bestial, plein de malignité, un enfer de démons pareils à des boucs lubriques. Pour lui ! Pour lui !

    Il sauta hors du lit ; les bouffées de puanteur coulaient au fond de sa gorge, envahissaient ses entrailles en révolte. De l’air ! L’air du ciel ! Il s’avança vers la fenêtre, chancelant, gémissant, prêt à s’évanouir de nausée. Près du lavabo, une convulsion interne s’empara de lui ; alors, serrant avec fureur son front glacé, il vomit abondamment, au comble de l’agonie.

    Lorsque la crise se fut dissipée, il marcha, affaibli, jusqu’à la fenêtre, leva le store, s’assit dans l’angle de l’embrasure, le coude appuyé au rebord. La pluie avait cessé, et parmi les vapeurs mouvantes, d’un point de lumière à un autre, la ville tissait autour d’elle un tendre cocon de brume jaunâtre. Les cieux étaient calmes et vaguement lumineux, l’air doux à respirer, comme dans un fourré baigné par les ondées. Alors, parmi cette paix, ces lumières miroitantes, cette odeur paisible, il conclut un pacte avec son cœur.

    Il pria :

    Jadis, Il avait voulu venir sur terre dans sa gloire céleste, mais nous péchâmes, il ne put alors nous visiter à coup sûr sans avoir voilé Sa majesté et obscurci Sa splendeur, car Il était Dieu. Alors Il se montra dans Sa faiblesse et non dans Sa puissance, et Il t’envoya à sa place, toi, une créature, avec ton charme et ton éclat de créature, conformes à notre condition. Et maintenant ton visage et ta forme même, mère chérie, nous parlent de l’Éternel, non point comme le ferait la beauté terrestre, dangereuse à contempler, mais comme l’étoile du matin qui est ton emblème, brillante et musicale, respirant la pureté, nous parlant du ciel et répandant en nous la paix. Ô avant-courrière du jour ! ô lumière du pèlerin ! guide-nous comme tu nous guidas toujours. Dans la nuit noire, à travers le désert triste et froid, guide-nous jusqu’à notre Seigneur Jésus, guide-nous jusqu’à notre patrie48.

    Ses yeux étaient voilés de larmes, et levant humblement son regard au ciel, il pleura sur l’innocence qu’il avait perdue.

    Le soir tombé, il quitta la maison ; le premier contact de l’air humide et sombre, le bruit de la porte se refermant sur lui, heurtèrent douloureusement sa conscience apaisée par la prière et par les larmes. Confesse-toi ! Confesse-toi ! Il ne suffisait pas d’apaiser sa conscience par une larme et une prière. Il fallait s’agenouiller devant le ministre du Saint-Esprit et répéter ses péchés secrets dans leur vérité et avec repentir. Avant d’entendre à nouveau le bas de la porte frotter le seuil en s’ouvrant pour le laisser entrer, avant de revoir la table mise pour le souper dans la cuisine, il se serait agenouillé et confessé. C’était bien simple.

    La douleur de sa conscience cessa ; il se mit à marcher rapidement par les rues obscures. Il y avait tant de dalles au trottoir de cette rue, tant de rues dans cette ville, tant de villes au monde. Cependant l’éternité n’avait pas de fin. Il était en état de péché mortel. Même un péché commis une seule fois était un péché mortel. Cela pouvait se produire en un instant. Mais comment si vite ? En voyant, ou en croyant voir. Les yeux voient l’objet, sans avoir désiré le voir. Alors, en un instant, cela se produit. Mais enfin, cette partie du corps est donc capable de comprendre, ou quoi ? Le serpent, le plus subtil des animaux de la terre. Cela doit comprendre, puisque cela conçoit un désir, instantanément, puis prolonge ce désir qui lui est propre, d’instant en instant, dans le péché. Cela sent, cela comprend, cela désire. Quelle horrible chose ! Qui donc l’a ainsi faite cette partie bestiale du corps, capable de comprendre bestialement et de désirer bestialement ? Était-ce donc lui, ou bien était-ce une chose non humaine, mue par une âme inférieure à la sienne ? Son âme défaillit à l’idée de cette existence torpide, serpentesque, se nourrissant de la tendre moelle de sa vie, s’engraissant avec la bave de la luxure. Oh, pourquoi cela était-il ainsi ? Oh, pourquoi ?

    Il se réfugia misérablement dans l’ombre de sa pensée, se prosterna avec terreur devant Dieu, créateur de toutes les choses et de tous les hommes. Folie ! qui pouvait admettre une telle pensée ? Et, tapi dans les ténèbres et la prostration, il pria en silence son ange gardien de chasser avec son épée le démon qui chuchotait dans son cerveau.

    Le chuchotement cessa ; alors il comprit nettement que c’était son âme elle-même qui avait péché par pensée, par parole et par action, volontairement, par l’intermédiaire de son corps. Confesse-toi ! Il fallait confesser jusqu’au moindre de ses péchés. Comment exprimerait-il avec des mots, devant le prêtre, ce qu’il avait fait ? Il le fallait, il le fallait. Et comment expliquer sans mourir de honte ? Et comment avait-il fait de telles choses sans honte ? Un fou ! Un fou répugnant. Confesse-toi ! Oh oui, il se confesserait pour être de nouveau libre et sans péché ! Peut-être le prêtre saurait-il. Oh, grand Dieu !

    Il marchait, marchait toujours par les rues mal éclairées, n’osant s’arrêter un instant, de peur de paraître reculer devant ce qui l’attendait, redoutant d’arriver à ce but auquel il aspirait toujours passionnément. Combien belle doit être l’âme en état de grâce lorsque Dieu la regarde avec amour !

    Des filles dépenaillées étaient assises au bord du trottoir, devant leurs paniers. Leurs cheveux humides pendaient sur leur front. Elles n’étaient pas belles à voir, accroupies ainsi dans la boue, mais Dieu voyait leurs âmes ; et si leurs âmes étaient en état de grâce, elles étaient resplendissantes, et Dieu les aimait en les voyant.

    Un souffle d’humiliation, dévastateur, glacial, traversa son âme à la pensée de sa déchéance, à l’idée que ces âmes-là étaient plus chères à Dieu que la sienne. Le vent soufflait sur lui, puis s’en allait vers les myriades et les myriades d’autres âmes sur lesquelles la faveur de Dieu rayonnait tantôt plus, tantôt moins, – étoiles tour à tour plus brillantes ou plus troubles, soutenues ou défaillantes. Et les âmes clignotantes s’en allaient, soutenues ou défaillantes, fondues dans ce souffle mouvant. Une seule âme était perdue ; une toute petite âme : la sienne. Elle avait jeté une lueur vacillante, puis s’était éteinte, oubliée, perdue. La fin : une noire, froide, vide dévastation.

    La conscience du lieu reflua lentement vers lui pardessus un long laps de temps dépourvu de lumière, de sensation, de vie ; le décor sordide se recomposa autour de

    Prev
    Next
    SHARE THIS MANGA
    Share on Facebook Share
    0
    Share on TwitterTweet
    Share on Pinterest Share
    0
    Share on LinkedIn Share
    Share on Digg Share
    0
    Total Shares

    YOU MAY ALSO LIKE

    Gens de Dublin – James Joyce
    Gens de Dublin
    August 17, 2020
    Ulysses – James Joyce
    Ulysses
    August 17, 2020
    Molly Bloom – James Joyce
    Molly Bloom
    August 17, 2020
    Brouillons d’un baiser – James Joyce
    Brouillons d’un baiser
    August 17, 2020
    Tags:
    Classique, Fiction, Littérature, Roman
    • Privacy Policy
    • ABOUT US
    • Contact Us
    • Copyright
    • DMCA Notice

    © 2020 Copyright par l'auteur des livres. Tous les droits sont réservés.

    Sign in

    Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Sign Up

    Register For This Site.

    Log in | Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Lost your password?

    Please enter your username or email address. You will receive a link to create a new password via email.

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!