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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 24
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    lentement l’air âcre et lourd.

    « C’est de la pisse de cheval73 et de la paille pourrie, pensa-t-il. C’est excellent. Cela va me calmer le cœur. Mon cœur est tout à fait calme à présent. Je vais rentrer. »

    *

    De nouveau, Stephen était assis à côté de son père, dans le coin d’un compartiment de chemin de fer, à Kingsbridge74. Ils se rendaient à Cork par le train poste de nuit. Comme le train quittait la gare, il se rappela ses étonnements puérils d’autrefois et tous les événements de sa première journée à Clongowes. Aujourd’hui, il ne s’étonnait plus. Il voyait les paysages de plus en plus obscurcis glisser en arrière, les poteaux muets du télégraphe passer rapidement sur la vitre toutes les quatre secondes, et, gardées par quelques sentinelles silencieuses, les petites gares mal éclairées que le train poste rejetait derrière lui et qui clignotaient un instant dans la nuit, comme des grains de feu qu’un coureur sèmerait sur ses traces.

    Il écoutait sans la moindre sympathie le récit de son père évoquant des souvenirs de Cork et des scènes de sa jeunesse, récit coupé de soupirs et de gorgées bues à la gourde de poche, chaque fois que l’image de quelque ami défunt apparaissait dans l’histoire ou que l’évoqueur75 se rappelait soudain le motif de son voyage actuel. Stephen écoutait, mais n’éprouvait aucune compassion. Les images des morts lui étaient toutes étrangères, sauf celle de son oncle Charles, à moitié effacée déjà. Cependant, il savait que les biens de son père allaient être vendus aux enchères et sentit qu’en le dépossédant76 lui-même de cette manière, le monde donnait un démenti brutal à ses imaginations.

    À Maryborough77, il s’assoupit. Lorsqu’il s’éveilla, le train avait dépassé Mallow78 ; son père dormait, étendu sur l’autre banquette. La lumière froide de l’aube se répandait sur la campagne, sur les champs dépeuplés et les chaumières closes. La terreur du sommeil subjuguait son esprit cependant qu’il regardait la campagne silencieuse ou entendait, par instants, la respiration profonde de son père ou bien quelque brusque mouvement du dormeur. Le voisinage d’autres dormeurs invisibles le remplissait d’une étrange frayeur, comme s’ils eussent pu lui faire du mal ; il se mit à prier pour que le jour vînt promptement. Sa prière, qui ne s’adressait ni à Dieu ni à un saint, débuta par un frisson, car la brise glacée du matin s’insinuait par la fente de la portière jusqu’à ses pieds ; elle se termina par une suite de paroles insensées, qu’il adapta au rythme obsédant du train ; cependant, en silence, à quatre secondes d’intervalle, les poteaux télégraphiques retenaient les notes galopantes de la musique entre leurs barres ponctuelles. Cette musique furieuse calma sa frayeur, et, s’appuyant au bord de la fenêtre, il laissa ses paupières se fermer de nouveau.

    Ils traversèrent Cork en carriole, avant qu’il fît grand jour, et Stephen acheva son somme dans une chambre de l’hôtel Victoria. Un soleil brillant et chaud ruisselait par la fenêtre ; le tintamarre de la rue parvenait jusqu’à lui. Son père était debout devant la toilette, examinant avec soin ses cheveux, son visage, sa moustache, tendant le cou, à la manière d’un oiseau, pardessus le pot à eau, puis le ramenant de côté pour mieux voir. Tout en faisant cela, il chantonnait en sourdine avec un accent et une élocution surannés79 :

    C’est la jeunesse et la folie,

    Qui veulent que l’on se marie.

    Donc ici, mon amour,

    Je ne m’attarde point.

    Ce qui ne peut guérir, bien sûr,

    Doit dépérir, bien sûr,

    Et je m’embarque pour

    Le sol américain.

    Ma mie, elle est belle,

    Ma mie est rebelle,

    Comme le bon whisky

    Quand il est nouveau.

    Mais quand il vieillit,

    C’en est fait de lui,

    Comme de la rosée

    Sur les monts là-haut.

    La présence de la ville, chaude et ensoleillée, au-dehors, et les tendres trémolos dont la voix de son père festonnait cette mélodie étrange, triste et gaie à la fois, chassèrent de l’esprit de Stephen toutes les brumes de la mauvaise humeur nocturne. Il se leva vivement pour s’habiller et, lorsque la chanson fut terminée, il dit :

    « C’est beaucoup plus joli que toutes tes autres come-all-yous80.

    – Tu trouves ? dit M. Dedalus.

    – J’aime bien ça, répondit Stephen.

    – C’est une jolie vieille romance, dit M. Dedalus roulant les pointes de sa moustache. – Ah ! si tu avais entendu Mick Lacy chanter ça ! Pauvre Mick Lacy ! Il avait de petites façons à lui, de petites fioritures dont je n’ai pas le chic, moi ! En voilà un qui savait vous débiter un come-all-you, tu parles ! »

    M. Dedalus avait commandé du boudin blanc81 pour le déjeuner ; pendant ce repas, il fit subir au garçon de l’hôtel un véritable interrogatoire sur les nouvelles locales. Le plus souvent, un nom prononcé par l’un d’eux donnait lieu à quiproquo : le garçon parlait du porteur actuel de ce nom, tandis que M. Dedalus entendait le père ou même le grand-père de celui-ci.

    « Allons, j’espère tout de même qu’on n’a pas déménagé le collège de la Reine82, dit M. Dedalus, je tiens à le montrer à mon blanc-bec que voici. »

    Le long du Mardyke83, les arbres étaient en fleurs. Ils entrèrent dans l’enceinte du collège et traversèrent la cour d’honneur en compagnie d’un portier loquace ; mais, à peu près tous les douze pas, leur cheminement sur le gravier était arrêté par quelque réplique de cet homme.

    « Que me dites-vous là ? Alors ce pauvre Gros-Bedon, il est mort lui aussi ?

    – Oui, monsieur. Mort, monsieur. »

    Pendant ces arrêts, Stephen se tenait d’un air gauche derrière les deux hommes, las de ce sujet, impatient de reprendre la lente promenade. Le temps de traverser la cour d’honneur, son impatience s’était transformée en fièvre. Il se demandait comment son père, qu’il savait être un homme fin et peu crédule, pouvait se laisser duper par les manières serviles du portier ; la vivacité du parler méridional, qui l’avait amusé toute la matinée, agaçait maintenant ses oreilles.

    Ils pénétrèrent dans l’amphithéâtre d’anatomie où M. Dedalus, avec l’aide du portier, explora les pupitres, à la recherche de ses initiales. Stephen resta dans le fond, plus déprimé que jamais par l’obscurité et le silence de l’amphithéâtre, par son atmosphère d’études desséchées et formelles. Sur le pupitre, il lut le mot Fœtus gravé à plusieurs endroits dans le bois noir et maculé. Cette légende tout à coup surgie mit tout son sang en mouvement ; il lui sembla que tous les étudiants absents du collège étaient là, autour de lui, et que son être se rétractait devant leur présence. La vision de leur existence, que les paroles de son père n’avaient pas eu le pouvoir d’évoquer, jaillit devant lui par l’effet du mot gravé sur le pupitre. Un étudiant, large d’épaules, moustachu, gravait ces lettres avec un couteau, d’un air recueilli. D’autres étudiants étaient debout ou assis près de lui, se moquant de son œuvre. L’un d’eux lui poussait le coude. Le grand étudiant se retournait, furieux. Il portait un ample vêtement gris et des bottines jaunes.

    On l’appela par son nom. Il descendit précipitamment les marches de l’amphithéâtre pour fuir le plus loin possible de cette vision et, se penchant pour examiner les initiales de son père, il dissimula le feu de son visage.

    Mais le mot et la vision dansaient devant ses yeux tandis qu’il s’en revenait à travers la cour d’honneur vers la grille du collège. Il était bouleversé d’avoir rencontré, dans le monde extérieur, un signe de ce qu’il avait pris jusque-là pour quelque ignoble maladie particulière à son propre cerveau. Ses rêveries monstrueuses des derniers temps revinrent en foule à sa mémoire. Elles aussi, elles avaient surgi devant lui avec une soudaine furie, par l’effet de simples mots. Il leur avait vite cédé, il leur avait permis d’envahir, d’avilir son esprit, se demandant toujours d’où ils pouvaient venir, de quel repaire d’images monstrueuses ; et après leur passage, il demeurait toujours humble et faible devant les autres, inquiet et écœuré de sa propre personne.

    « Tiens, parbleu ! Voici l’Épicerie, c’est bien elle ! Tu m’as souvent entendu parler de l’Épicerie, n’est-ce pas, Stephen ? Que de fois nous y sommes allés quand nos noms étaient inscrits84 ; toute une bande : Harry Peard et le petit Jack Mountain, et Bob Dyas et Maurice Moriarty, le Français, et Tom O’Grady et Mick Lacy dont je te parlais ce matin, et Joey Corbett, et ce pauvre brave cœur de Johnny Keevers, des Tantiles85. »

    Les feuilles des arbres du Mardyke remuaient et murmuraient dans la lumière. Une équipe de joueurs de cricket passa, jeunes gens alertes en pantalons de flanelle et chandails de couleur, l’un d’eux portant le long sac vert. Dans une ruelle tranquille, un orchestre de cinq musiciens allemands en uniformes déteints, avec des instruments de cuivre cabossés, jouait devant un auditoire de gamins et de petits coursiers désœuvrés. Une bonne en tablier et bonnet blancs arrosait une caisse de plantes sur l’appui d’une fenêtre brillant comme une dalle de calcaire dans la tiède clarté. Par une autre fenêtre, grande ouverte, on entendait des gammes de piano monter l’une après l’autre jusqu’aux notes aiguës.

    Stephen poursuivait son chemin à côté de son père, écoutant des histoires déjà entendues, entendant à nouveau les noms des joyeux lurons, dispersés ou morts, compagnons de jeunesse de son père. Et un vague malaise soupirait en son cœur. Il se rappela sa propre situation équivoque à Belvédère86 : externe libre, chef de file intimidé par sa propre autorité, fier, sensitif, soupçonneux, en lutte contre la misère de son existence et contre les débordements de son esprit. Les lettres gravées dans le bois maculé du pupitre semblaient le regarder fixement, raillant la faiblesse de son corps, ses enthousiasmes

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