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    2. Portrait de l'artiste en jeune homme
    3. Chapitre 22
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    Cross, au torrent d’émotions changeantes que cela avait fait ruisseler en lui, au poème qu’il avait écrit sur ce sujet50. Toute la journée, il avait imaginé la nouvelle rencontre avec elle, sachant qu’elle devait assister à la représentation. L’ancienne mélancolie inquiète remplissait de nouveau son cœur, comme à l’époque de cette soirée-là ; mais, cette fois, elle ne s’était pas épanchée en un poème. La maturité et le savoir acquis pendant deux années d’adolescence s’interposaient entre ce jour-là et le présent pour lui interdire un épanchement de ce genre ; et toute la journée, il avait senti le flux de tendresse obscure monter en lui, se replier sur soi-même, en courants, en tourbillons ténébreux, jusqu’à la lassitude et jusqu’au geste d’impatience qui lui fut arraché enfin par le badinage du préfet avec le petit garçon maquillé.

    « Donc, tu feras bien d’avouer, poursuivait Héron, que nous t’avons percé à jour, cette fois-ci. Tu ne te feras plus passer pour un saint à mes yeux, je te le garantis ! »

    Un petit ricanement sans gaieté s’échappa de ses lèvres et, se penchant comme tout à l’heure, il frappa légèrement Stephen au mollet avec sa canne, en manière de réprobation facétieuse.

    L’élan de colère, chez Stephen, s’était déjà arrêté. Il n’était ni flatté ni confus, il en avait simplement assez de cette plaisanterie. Il n’y voyait qu’une stupide indélicatesse qui ne l’atteignait guère, car son aventure intérieure ne courait aucun danger du fait de ces propos. Il le savait bien et son visage refléta le faux sourire de son rival.

    « Avoue ! » répéta Héron, lui frappant de nouveau le mollet avec sa canne.

    Ce coup, donné pour rire, était pourtant moins léger que le premier. Stephen sentit sur sa peau un picotement, une brûlure presque indolore ; et, s’inclinant avec soumission, comme pour se prêter aux facéties de son camarade, il se mit à réciter le Confiteor. L’incident finit bien, car Héron et Wallis rirent avec indulgence de cet acte irrévérencieux.

    La confession ne venait que des lèvres de Stephen ; tandis que sa bouche en murmurait les paroles, une soudaine réminiscence le transporta vers une autre scène, qui venait de surgir comme par enchantement, à l’instant même où il observait les petits plis cruels aux coins des lèvres souriantes de Héron, et où il recevait le coup familier de la canne sur son mollet, pendant que sonnait l’admonition familière :

    « Avoue ! »

    Cette scène avait eu lieu vers la fin de son premier trimestre au collège, lorsqu’il était en sixième. Sa nature sensitive souffrait encore sous les coups de fouet brûlants d’une existence incomprise et sordide. Son âme était encore troublée et déprimée par ce terne phénomène qui avait nom Dublin. Au sortir de deux années de rêve, il se trouvait au milieu d’un décor nouveau, où chaque événement, chaque forme l’affectait profondément, le décourageait ou l’attirait et, attrayant ou décourageant, l’emplissait toujours de pensées inquiètes et amères. Tous les loisirs que lui laissait l’école, il les passait en compagnie d’écrivains subversifs51 dont les sarcasmes et les violences verbales introduisaient un ferment dans son cerveau, avant de pénétrer dans ses écrits frustes.

    La composition de littérature constituait pour lui la besogne capitale de la semaine52 ; tous les mardis, pendant le trajet de la maison à l’école, il lisait sa destinée dans les accidents de la route ; il se repérait sur quelque silhouette aperçue devant lui et pressait le pas pour la dépasser avant d’avoir atteint tel point fixé ; ou bien il s’appliquait à ne pas poser les pieds sur les interstices du trottoir dallé, tantôt se disant qu’il serait premier en composition, tantôt qu’il ne le serait pas.

    Un certain mardi, le cours de ses triomphes fut rudement interrompu. M. Tate, le professeur d’anglais53, le montra du doigt et dit à brûle-pourpoint :

    « La composition de cet élève tient de l’hérésie54. »

    Un silence tomba sur la classe. M. Tate ne le rompit point, mais enfonça sa main entre ses cuisses croisées, tandis que son linge fortement empesé craquait autour de son cou et de ses poignets. Stephen ne leva pas les yeux. C’était un aigre matin de printemps et ses yeux étaient toujours faibles et douloureux. Il comprit qu’il avait échoué, qu’il était démasqué ; il eut conscience de la médiocrité de son esprit, de son foyer ; il sentit contre sa nuque le bord râpeux de son col retourné et élimé.

    Le rire bruyant et bref de M. Tate remit les élèves à l’aise.

    « Peut-être ne le saviez-vous pas ? dit le professeur.

    – À quel endroit ? » demanda Stephen.

    M. Tate retira sa main d’entre ses jambes et déplia la composition.

    « Voici. Il s’agit du Créateur et de l’âme. Hem… hem… hem… Ah ! sans aucune possibilité de s’en approcher jamais. Ceci est de l’hérésie. »

    Stephen murmura :

    « Je voulais dire : sans aucune possibilité d’atteindre jamais. »

    C’était un acte de soumission. M. Tate, apaisé, replia la composition et la lui tendit, disant :

    « Oh !… ah ! d’atteindre jamais… Ceci est une autre histoire. »

    Mais les élèves ne s’apaisèrent pas de sitôt. Bien que personne ne lui parlât de cette affaire après la classe, il sentait partout autour de lui une vague joie maligne.

    Un soir, peu après cette réprimande publique, il suivait, une lettre à la main, la route de Drumcondra55, quand il entendit crier :

    « Halte ! »

    Il se retourna et vit trois élèves de sa classe venir à lui dans le crépuscule. Celui qui l’avait interpellé était Héron ; marchant entre ses deux acolytes, il pourfendait l’air de sa canne mince, scandant leurs pas. Boland, son ami, s’avançait à côté de lui, la face largement ricanante, tandis que Nash les suivait, essoufflé par la course et balançant sa grosse tête rouge.

    Aussitôt après avoir obliqué ensemble vers la route de Clonliffe, les garçons se mirent à parler de livres et d’écrivains, de ce qu’ils étaient en train de lire et des quantités de volumes qu’il y avait chez eux, dans les bibliothèques de leurs pères. Stephen les écoutait non sans étonnement, car Boland était le cancre et Nash le fainéant de la classe. En effet, après quelques propos échangés sur leurs auteurs préférés, Nash se prononça pour le capitaine Marryat56, qui, selon lui, était le plus grand écrivain.

    « Tu dérailles ! dit Héron ; demande à Dedalus. Qui est le plus grand écrivain, Dedalus ? »

    Stephen remarqua une raillerie sous cette question, et dit :

    « En prose ?

    – Oui.

    – Newman, je pense57.

    – Newman le cardinal ? demanda Boland.

    – Oui », répondit Stephen.

    Le ricanement s’élargit sur la figure de Nash, parsemée de taches de rousseur, tandis qu’il se tournait vers Stephen, disant :

    « Est-ce que tu aimes le cardinal Newman, Dedalus ?

    – Oh, bien des gens trouvent que le style de Newman est le meilleur, en prose, expliqua Héron aux deux autres ; naturellement, ce n’est pas un poète58.

    – Et qui est le meilleur poète, Héron ? demanda Boland.

    – Lord Tennyson, naturellement, répondit Héron.

    – Ah oui, Lord Tennyson, dit Nash. Nous avons tous ses poèmes à la maison, dans un livre. »

    Là-dessus, Stephen, oubliant la promesse tacite qu’il s’était faite, éclata :

    « Tennyson poète ! un rimailleur tout au plus !

    – Allons donc ! dit Héron. Chacun sait que Tennyson est le plus grand des poètes.

    – Et qui donc est le plus grand des poètes, à ton avis ? interrogea Boland, poussant du coude son voisin.

    – Byron59, naturellement », répondit Stephen.

    Héron donna le signal et tous trois ensemble partirent d’un éclat de rire méprisant.

    « De quoi riez-vous ? demanda Stephen.

    – De toi, dit Héron. Byron, le plus grand poète ? poète pour gens sans éducation, voilà tout.

    – Joli poète ! fit Boland.

    – Tu ferais mieux de fermer ça, dit Stephen se retournant crânement vers lui. Tout ce que tu sais de la poésie, toi, c’est ce que tu as écrit sur les ardoises des cabinets, quand tu as failli te faire corriger par le préfet. »

    Boland, en effet, passait pour avoir écrit sur les ardoises des cabinets ce distique sur un camarade de classe qui souvent montait un poney pour rentrer chez lui :

    Tyson, entrant dans Jérusalem sur sa monture,

    Tomba et mit son patapouf en confiture60.

    Cette botte coupa la parole aux deux lieutenants, mais Héron reprit :

    « En tout cas, Byron était un hérétique, et, de plus, un homme immoral61.

    – Ça m’est bien égal, ce qu’il était ! cria Stephen avec chaleur.

    – Ça t’est égal qu’il ait été un hérétique ? demanda Nash.

    – Qu’est-ce que tu en sais ? hurla Stephen. Tu n’as jamais lu une ligne de quoi que ce soit, sauf des tradals ! Ni Boland non plus.

    – Je sais que Byron était un vilain personnage, dit Boland.

    – Allons, empoignez-moi cet hérétique », commanda Héron.

    Aussitôt, Stephen fut prisonnier.

    « Tate t’a fait bisquer, l’autre jour, poursuivit Héron, à propos de l’hérésie de ta composition !

    – Je lui raconterai demain, dit Boland.

    – Ah ! vraiment ? dit Stephen. Tu aurais peur d’ouvrir la bouche.

    – J’aurais peur ?

    – Bien sûr. Peur pour ta peau.

    – Gare à toi ! » cria Héron, cinglant les jambes de Stephen avec sa canne.

    Ce fut le signal de l’assaut. Nash lui lia les bras derrière le dos, tandis que Boland saisissait un gros trognon de chou qui traînait dans le ruisseau. Luttant et se débattant sous les volées de la canne et les coups du trognon noueux, Stephen fut acculé contre un grillage de fil de fer barbelé.

    « Avoue que Byron ne valait rien.

    – Non.

    – Avoue.

    – Non.

    – Avoue.

    – Non. Non. »

    Enfin, après une série de ruades furieuses, il se dégagea violemment. Ses bourreaux s’enfuirent vers Jones’s Road, riant et le narguant, tandis que lui, les vêtements déchirés, le

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