plus à sortir du gymnase !
On ne se l’est pas fait dire deux fois. On est partis après tout un tas de « oui m’dame », « oui m’sieur » et de saluts militaires, qui semblaient de circonstance.
Grover nous a entraînés vers le fond du hall, en direction de la musique.
Je sentais le regard des professeurs dans mon dos, mais je me suis rapproché de Thalia et lui ai demandé dans un murmure :
— C’est quoi, ton coup du claquement de doigts ?
— La Brume, tu veux dire ? Chiron ne t’a pas encore appris à le faire ?
J’ai senti une boule désagréable se former dans ma gorge. Chiron était notre directeur d’activités à la colonie, mais il ne m’avait jamais rien enseigné de tel. Pourquoi l’avait-il montré à Thalia et pas à moi ?
Grover nous a emmenés en toute hâte devant une porte vitrée qui portait l’inscription : GYM. J’avais beau être dyslexique, j’arrivais tout de même à lire ça.
— Vous l’avez échappé belle ! s’est écrié Grover. Loués soient les dieux, vous êtes arrivés !
Annabeth et Thalia ont embrassé Grover ; je lui ai topé dans la main.
Ça me faisait vraiment plaisir de le voir après tous ces mois. Il avait un peu grandi et sa moustache s’était légèrement étoffée, mais à part ça il avait la dégaine qu’il adoptait toujours quand il voulait se faire passer pour un humain : une casquette rouge sur ses boucles brunes pour cacher ses cornes de chèvre, un jean très large et des baskets avec de faux pieds pour dissimuler ses pattes couvertes de fourrure et ses sabots. Il portait un tee-shirt noir avec une inscription que j’ai mis quelques secondes à déchiffrer : WESTOVER HALL : TROUFIONS. Était-ce le « grade » de Grover ou juste la devise de l’école ?
— Alors, lui ai-je demandé, où est l’urgence ?
Grover a pris une grande inspiration avant d’annoncer.
— J’en ai trouvé deux.
— Deux sang-mêlé ? a répété Thalia, stupéfaite. Ici ?
Pour toute réponse, Grover a hoché la tête.
Trouver un sang-mêlé était quelque chose de rare en soi. Cette année, Chiron avait demandé aux satyres de faire des patrouilles supplémentaires et il les avait envoyés d’urgence dans tous les collèges et lycées à la recherche de recrues potentielles. L’heure était grave. Nous perdions des pensionnaires. Or nous avions besoin de tous les nouveaux combattants que nous pouvions trouver. Le problème, c’était que les demi-dieux n’étaient pas si nombreux que ça.
— Un frère et une sœur, a repris Grover. Ils ont dix et douze ans. J’ignore qui sont leurs parents, mais ils sont forts. Seulement le temps presse. J’ai besoin de votre aide.
— Des monstres ?
— Un. (Grover paraissait sur le qui-vive.) Il soupçonne quelque chose. Je ne crois pas qu’il ait de certitude pour le moment, mais c’est le dernier jour du trimestre, aujourd’hui. Je suis sûr qu’il ne les laissera pas quitter l’internat avant d’avoir découvert la vérité. C’est peut-être notre dernière chance ! Chaque fois que je veux les aborder, il est présent et me barre l’accès. Je ne sais pas quoi faire !
Grover a lancé un regard désespéré à Thalia. J’ai essayé de ne pas me vexer. Avant, c’était auprès de moi qu’il recherchait les solutions, mais Thalia avait le bénéfice de l’ancienneté. Et pas seulement parce que son père était Zeus. Pour ce qui était de repousser des monstres dans le monde réel, Thalia avait plus d’expérience que n’importe lequel d’entre nous.
— Bien, a-t-elle dit. Ces sang-mêlé sont-ils à la soirée dansante ?
Grover a fait oui de la tête.
— Alors allons danser. Qui est le monstre ?
— Oh, vous venez de le rencontrer. C’est le principal adjoint, le professeur Thorn.
Il y a un truc bizarre, dans les écoles militaires : les gamins se lâchent complètement dès qu’il y a une occasion particulière et qu’ils ne sont pas en uniforme. Comme tout est tellement strict le reste du temps, je crois qu’ils ont l’impression de devoir compenser un maximum.
Le sol du gymnase était couvert de ballons fragiles rouges et noirs et les garçons se les envoyaient au visage ou essayaient de s’étrangler avec les banderoles de papier crépon agrafées au mur. Les filles déambulaient en petits groupes, comme elles font toujours, tartinées de maquillage, en petits hauts à fines bretelles et pantalons de couleurs vives, perchées sur des chaussures qui ressemblaient à des instruments de torture. De temps à autre, tel un banc de piranhas, elles encerclaient un pauvre garçon en gloussant et hurlant ; quand elles repartaient enfin, le gars avait des rubans plein les cheveux et le visage couvert de graffitis au rouge à lèvres. Certains des garçons les plus âgés m’ont fait penser à moi : mal à l’aise, ils se tenaient à l’écart, sur le côté de la salle, en essayant de passer inaperçus comme s’ils risquaient à tout instant de devoir se battre pour leur vie. Bien sûr, dans mon cas, c’était vrai…
— Les voici. (D’un coup de menton, Grover a désigné deux enfants plus jeunes qui discutaient dans les gradins.) Bianca et Nico Di Angelo.
La fille portait une casquette verte très large, comme si elle tentait de cacher son visage. Manifestement, le garçon était son petit frère. Ils avaient tous les deux les cheveux châtain foncé et soyeux, le même teint mat, et ils gesticulaient en parlant. Le garçon tenait à la main des cartes à échanger, semblait-il, et sa sœur le grondait pour une raison quelconque. Elle jetait sans cesse des coups d’œil autour d’elle comme si elle se sentait menacée.
— Est-ce qu’ils… a commencé Annabeth. Je veux dire, tu leur as dit ?
— Non, a répondu Grover. Tu sais comment c’est. Ça risquerait de les mettre encore plus en danger. Lorsqu’ils réalisent qui ils sont véritablement, ils dégagent une odeur plus forte.
Il m’a regardé et j’ai hoché la tête.
Je n’avais jamais vraiment compris quelle « odeur » les sang-mêlé avaient pour les monstres et les satyres, mais je savais que cette odeur pouvait vous faire tuer. En tant que demi-dieu, plus vous acquériez du pouvoir, plus vous dégagiez des effluves de quatre-heures pour monstres.
— Alors allons les chercher et filons, ai-je suggéré.
Je m’élançais déjà, mais Thalia a posé la main sur mon épaule. Le principal adjoint, le professeur Thorn, était entré par une porte proche des gradins et se tenait à proximité des petits Di Angelo. Il a fait un geste dans notre direction, le regard sévère. Son œil bleu étincelait.
À en juger par son expression, Thorn n’avait pas été berné par la Brume de Thalia. Il avait des soupçons sur notre identité, mais il voulait savoir ce qui nous amenait ici.
— Ne regardez pas les enfants, a ordonné Thalia. Nous devons attendre une bonne occasion pour les emmener. Il faut qu’on fasse semblant de ne pas s’intéresser à eux. Qu’on écarte Thorn de leur piste.
— Comment ?
— Nous sommes trois puissants sang-mêlé. Notre présence devrait le dérouter. On se mélange, on se comporte avec naturel, on danse. Mais on garde l’œil sur ces deux enfants.
— On danse ? a répété Annabeth.
Thalia a hoché la tête. Elle a tendu l’oreille pour écouter la musique et fait la grimace.
— Beurk. Qui a choisi Jesse McCartney ?
— Moi ! a répondu Grover, l’air blessé.
— Par les dieux, Grover, c’est tellement ringard ! T’aurais pas pu mettre, je sais pas, moi, Green Day, par exemple ?
— Green quoi ?
— Laisse tomber. Viens danser.
— Mais je ne sais pas danser !
— Si, tu sais, quand c’est moi qui mène ! Allez, viens, biquet !
Là-dessus, Thalia a attrapé Grover par la main et l’a traîné vers la piste, malgré ses glapissements.
Annabeth a souri.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui ai-je demandé.
— Rien. Juste que c’est trop cool que Thalia soit revenue.
Depuis l’été dernier, Annabeth me dépassait en taille et je trouvais ça assez perturbant. Avant, elle ne portait aucun bijou, à part son collier de la Colonie des Sang-Mêlé, mais à présent elle avait de petites boucles d’oreilles en argent en forme de chouette – symbole de sa mère, Athéna. Elle a retiré son bonnet de ski et ses longs cheveux blonds sont tombés en cascade sur ses épaules. Je ne sais pas pourquoi, mais ça lui donnait l’air plus âgée.
— Alors… (Je cherchais un sujet de conversation. On se comporte avec naturel, nous avait dit Thalia. Qu’est-ce que ça peut bien signifier, avec naturel, pour un sang-mêlé lancé dans une mission dangereuse ?) Euh… tu as dessiné des bâtiments intéressants, récemment ?
Les yeux d’Annabeth se sont éclairés, comme toujours quand elle parle d’architecture.
— Ah, par les dieux, Percy ! Dans ma nouvelle école, j’ai pris l’option « conception 3D » et ils ont un logiciel super qui…
Elle a entrepris de m’expliquer qu’elle avait dessiné les plans d’un immense monument qu’elle voulait construire sur l’ancien emplacement du World Trade Center à New York. Elle me parlait de structures de soutien et de façade, et je m’efforçais d’écouter. Je savais qu’elle voulait devenir une brillante architecte plus tard – elle adore les maths et les bâtiments historiques, tout