À quelqu’un de votre savoir spécial et de votre incontestable expérience, la vente du diamant donnerait peu d’embarras, tandis que pour moi, c’est une chose de toute impossibilité. D’autre part, j’ai réfléchi que la somme que je perdrais en coupant le diamant, et cela probablement d’une main maladroite, me permettrait de vous payer très généreusement votre aide. Le sujet était délicat à entamer et je manque peut-être de tact. Mais je dois vous prier de vous souvenir que, pour moi, la situation est absolument nouvelle et que je suis entièrement ignorant de l’étiquette en usage. Je crois, sans vanité, que j’eusse pu vous marier ou vous baptiser d’une manière très acceptable ; mais chacun a ses aptitudes en ce monde, cette sorte de marché ne figurait pas sur la liste de mes talents.
– Je n’ai pas l’intention de vous flatter, répondit Vandeleur, mais, sur ma foi, vous montrez des dispositions extraordinaires pour la vie criminelle… Vous possédez plus de talents que vous ne pouvez l’imaginer, et, quoique j’aie vu nombre de coquins dans les différentes parties du monde, je n’en ai jamais rencontré un qui fût aussi cynique que vous. Réjouissez-vous, monsieur, vous êtes enfin dans votre véritable voie ! Quant à vous aider, vous pouvez me commander à votre volonté. Je dois simplement passer une journée à Édimburg, pour des affaires qui concernent mon frère ; ceci terminé, je retourne à Paris, où je réside habituellement. Libre à vous de m’accompagner. Et, avant un mois, j’aurai amené, je pense, notre petite besogne à une conclusion satisfaisante. »
Ici, contrairement à toutes les règles de son art, notre auteur arabe arrête l’Histoire du jeune clergyman. Je regrette et je condamne de tels procédés ; mais je dois suivre mon original, et renvoyer le lecteur, pour la fin des aventures de Mr. Simon Rolles, au prochain numéro de la série, l’Histoire de la maison aux persiennes vertes.
Histoire de la maison aux persiennes vertes
Francis Scrymgeour, domicilié à Édimbourg, employé à la banque Écossaise, avait atteint ses vingt-cinq ans dans l’atmosphère d’une vie paisible, honorable et toute de famille. En bas âge, il perdit sa mère ; son père, homme de sens et d’une extrême probité, lui fit donner une excellente éducation scolaire, en même temps qu’il lui inculquait des habitudes d’ordre et d’économie. Affectueux et docile, Francis profita avec zèle de ces avantages et, dans la suite, se consacra cœur et âme à des fonctions assez ingrates. Ses distractions principales consistaient en une promenade chaque samedi, un dîner de famille de temps à autre et une excursion annuelle d’une quinzaine de jours dans les montagnes ou même sur le continent. Il gagnait à vue d’œil dans l’estime de ses supérieurs et jouissait déjà d’un traitement de deux cents livres sterling, avec espérance de le voir s’élever ultérieurement jusqu’au double de cette somme. Peu de jeunes gens étaient plus satisfaits de leur sort que Francis Scrymgeour, peu, il faut le dire, aussi laborieux et, aussi remplis de bonne volonté. Le soir, après avoir lu le journal, il jouait quelquefois de la flûte pour amuser son père, qui lui inspirait le plus tendre respect.
Un jour, il reçut d’une étude d’avoué très connue dans la ville un billet réclamant la faveur d’une entrevue immédiate. La lettre portait sur son enveloppe les mots « personnelle et confidentielle », et lui était adressée non pas chez lui, mais à la banque ; deux détails insolites qui excitèrent au plus haut point sa curiosité.
Il se rendit donc avec empressement à cette sommation. L’avoué l’accueillit gravement, le pria de s’asseoir et, dans le langage ardu d’un homme d’affaires consommé, procéda, sans plus de préambules, à l’exposé de la question.
Une personne qui devait rester inconnue, mais qu’il avait toutes les raisons possibles de considérer, bref, un personnage de quelque notoriété dans le pays, désirait faire à Francis une pension annuelle de cinq cents livres sterling, le capital étant confié aux soins de l’étude et de deux dépositaires qui devaient également garder l’anonyme. Cette libéralité était subordonnée à de certaines conditions, dont aucune, d’ailleurs, n’impliquait rien d’excessif ni de déshonorant.
L’avoué répéta ces derniers mots avec une emphase qui semblait indiquer le désir de ne pas s’engager davantage.
Francis lui demanda de quelle nature étaient ces conditions.
« Comme je vous l’ai deux fois fait remarquer, répondit-il, elles ne sont ni excessives ni déshonorantes ; mais en même temps je ne puis vous dissimuler qu’elles sont d’une espèce peu commune. En vérité, le cas est dans l’ensemble si parfaitement en dehors de nos pratiques ordinaires que si j’ai consenti à m’en charger, c’est par égard pour la réputation du gentleman qui me le confiait et, permettez-moi d’ajouter, Mr. Scrymgeour, poussé par l’estime que des rapports, bien fondés, je n’en doute pas, m’ont inspirée pour votre personne. »
Francis le supplia d’être plus explicite.
« Vous ne sauriez croire, dit-il, à quel point ces conditions m’inquiètent.
– Elles sont au nombre de deux, répliqua l’homme de loi, de deux seulement, et vous vous rappellerez que la somme dont il s’agit s’élève à cinq cents livres par an, sans frais ; j’avais omis d’ajouter, sans frais. »
L’avoué fixa sur son nouveau client un regard solennel.
« La première, poursuivit-il, est extrêmement simple. Vous vous trouverez à Paris dans l’après-midi du dimanche 15 de ce mois ; vous vous présenterez au bureau de location de la Comédie-Française, où vous trouverez un coupon pris en votre nom, qui vous attend. Vous êtes prié de rester assis tout le temps du spectacle à la place retenue ; voilà pour la première condition.
– J’aurais certainement préféré que ce fût un jour de semaine, répondit Francis, qui était très religieux, mais après tout, pour une fois…
– Et à Paris, cher monsieur, ajouta l’avoué d’un ton conciliant ; je suis moi-même quelque peu timoré, mais dans les circonstances présentes, et à Paris, je n’hésiterais pas un instant. »
Et tous les deux de rire ensemble.
« L’autre condition est plus importante. Il s’agit d’un mariage. Mon client, prenant à votre bonheur un intérêt profond, désire vous guider dans le choix d’une épouse. Il désire vous guider absolument, entendez-le bien.
– Expliquons-nous, je vous prie, interrompit Francis. Dois-je épouser quiconque il plaira à cette invisible personne de me présenter, fille ou veuve, blanche ou noire ?
– Je puis vous assurer, répondit l’avoué, que votre bienfaiteur tiendra compte des rapports d’âge et de position. Quant à la race, j’avoue que ce point m’a échappé et que j’ai omis de m’en informer ; qu’à cela ne tienne, je vais, si vous le désirez, en prendre note, et vous en serez avisé à bref délai.
– Monsieur, dit Francis, il reste à savoir si tout ceci n’est pas une indigne mystification. Ce que vous m’exposez est inexplicable, invraisemblable. Tant que je ne pourrai voir plus clair, ni découvrir quelque motif plausible, je vous déclare que je refuse de me prêter à cette opération. Si vous ne connaissez pas le fond des choses, si vous ne le devinez pas ou si vous n’êtes pas autorisé à le dire, je prends mon chapeau et je retourne à ma banque.
– Je ne sais rien, répondit l’avoué, mais je devine souvent assez juste. Pour moi, votre père seul est à la source de ce mystère.
– Mon père ! s’écria Francis avec un geste de dédain. Le digne homme n’a jamais rien eu de caché pour moi, ni une pensée ni un sou !
– Vous ne m’avez pas compris, dit l’avoué. Ce n’est pas à M. Scrymgeour aîné que je fais allusion, car il n’est pas votre père. Quand sa femme et lui s’établirent à Édimbourg, vous aviez déjà près d’un an et il y avait trois mois à peine que vous étiez confié à leurs soins. Le secret a été bien gardé, mais tel est le fait. Votre père est inconnu et, encore une fois, je suis persuadé qu’il est l’auteur des offres que je suis chargé de vous transmettre. »
Il serait difficile de peindre la stupéfaction de Francis à cette communication imprévue.
« Monsieur, dit-il, confondu, après des révélations aussi foudroyantes, vous voudrez bien m’accorder quelques heures de réflexion. Vous saurez ce soir ce que j’aurai décidé. »
L’avoué loua sa prudence, et Francis, s’étant excusé à la banque sous un prétexte quelconque, gagna la campagne, où il fit une longue promenade solitaire pour mieux passer en revue les différents aspects de cette curieuse aventure. Le sentiment, agréable à tout prendre, de son importance personnelle le rendait d’autant plus circonspect, mais cependant le résultat de ses méditations ne pouvait être douteux. La chair est faible ; la rente de cinq cents livres sterling et les conditions singulières qui y étaient attachées, tout cela avait un attrait irrésistible. Il se découvrit une répugnance extrême pour ce nom de Scrymgeour auquel longtemps il n’avait rien reproché, puis il commença à trouver bien méprisables les horizons bornés de sa vie d’autrefois, et, quand enfin son parti fut pris, il marcha avec un sentiment de liberté et de force jusqu’alors inconnu ; les perspectives les plus joyeuses s’ouvraient devant lui. Il n’eut qu’un mot à dire à l’avoué et immédiatement un chèque représentant deux trimestres arriérés lui fut remis, car, par une attention délicate, la rente était antidatée du 1er janvier. Avec ce chiffon de papier en poche, il revint chez lui ; l’entresol de Scotland street lui parut mesquin ; pour la première fois ses narines se révoltèrent contre l’odeur de la cuisine ; il observa chez son père adoptif quelques insuffisances de manières, quelques manques de distinction qui le surprirent et le choquèrent. Bref, il se décida à partir dès le lendemain pour Paris.
Arrivant dans cette ville bien avant la date indiquée,