plus solide et la plus durable, pouvant être emportée dans un tablier, magnifique par elle-même et dispersant la lumière du soleil en des millions d’étincelles prismatiques.
« Grand Dieu ! dit Harry ; je suis perdu ! »
Son esprit, avec l’incalculable rapidité de la pensée, se reporta vers les aventures de la journée ; il commença vaguement à comprendre, à grouper les événements et à reconnaître le fatal imbroglio dans lequel sa propre personne avait été enveloppée. Regardant autour de lui, il parut chercher du secours ; mais non, il était dans le jardin, seul avec les diamants répandus et un redoutable interlocuteur ; en prêtant l’oreille, il n’entendit plus aucun son, sauf le bruissement des feuilles et les battements précipités de son cœur. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que le jeune homme se sentît à bout de courage et répétât d’une voix brisée sa dernière exclamation.
« Je suis perdu ! »
Le jardinier regarda dans toutes les directions d’un air anxieux ; mais aucune tête ne paraissait à aucune fenêtre et il sembla respirer plus à l’aise.
« Reprenez courage, idiot que vous êtes ! dit-il enfin. Le pire est passé. Ne pouviez-vous dire tout de suite, qu’il y en avait suffisamment pour deux ? Pour deux ? répéta-t-il ; bah ! pour deux cents plutôt. Mais partons d’ici où nous pouvons être observés, et, vite remettez votre chapeau droit sur votre tête, brossez un peu vos habits. Vous ne pourriez faire deux pas, dans la tenue ridicule que vous avez en ce moment. »
Pendant que Harry suivait machinalement ses conseils, le jardinier, à genoux, rassembla les joyaux épars et les remit dans le carton. Toucher ces pierres précieuses fit passer un frisson d’émotion dans l’enveloppe épaisse du rustre ; sa physionomie se transfigura et ses yeux brillèrent de convoitise ; en vérité, il semblait qu’il prolongeât voluptueusement son occupation et qu’il caressât chaque diamant en le ramassant avec soin. À la fin, il cacha le carton sous sa blouse, fit signe à Harry, puis, en le précédant, se dirigea vers la maison.
Près de la porte, ils rencontrèrent un jeune clergyman, brun et d’une beauté remarquable, très correctement vêtu, selon la coutume de ceux de son état. Le jardinier fut visiblement contrarié de cette rencontre, mais il aborda l’ecclésiastique d’un air obséquieux.
« Une belle journée, Mr. Rolles ! commença-t-il ; une belle journée, aussi sûr que Dieu la fit ! Et voici un ami à moi qui a eu la fantaisie de venir admirer mes roses. J’ai pris la liberté de le faire entrer, pensant que les locataires n’y verraient pas d’inconvénient.
– Quant à moi, répondit le Révérend Mr. Rolles, je n’en vois aucun, cela va sans dire. Le jardin vous appartient, Mr. Raeburn, vos locataires ne doivent pas l’oublier, et, parce que vous nous avez permis de nous y promener, il serait singulier de vous empêcher de recevoir qui bon vous semble. Mais, en réfléchissant, ajouta-t-il, je crois que monsieur et moi, nous nous sommes déjà rencontrés. Mr. Hartley, n’est-ce pas ? Je vois avec regret que vous avez fait une chute. »
Et il tendit la main à Harry.
Une sorte de dignité craintive, jointe au désir de retarder le plus possible les explications, poussa celui-ci à refuser une chance inespérée de secours et à nier sa propre identité. Il préféra la pitié clémente du jardinier, qui, du moins, lui était inconnu, à la curiosité et peut-être au soupçon de quelqu’un de sa connaissance.
« Vous faites erreur, dit-il. Mon nom est Thomlinson et je suis un ami de Raeburn.
– Vraiment ? s’écria Mr. Rolles. La ressemblance est frappante ! »
Raeburn, qui avait été sur les épines pendant ce colloque, jugea qu’il était grand temps de le terminer.
« Je vous souhaite une promenade agréable, monsieur, dit-il ».
En prononçant ces mots, il entraîna Harry vers la maison et ensuite dans une chambre qui donnait sur le jardin. Là, son premier soin fut de baisser les jalousies, car Mr. Rolles était resté à l’endroit où ils l’avaient laissé, dans une attitude de perplexité et de réflexion. Puis il vida le carton rompu sur une table, et, se frottant les mains, demeura en contemplation devant le trésor ainsi étalé aux regards, avec une expression d’avidité extatique. La vue de cette ignoble figure devenue tout à fait bestiale, sous l’influence de sa basse passion, ajouta une nouvelle torture à celles dont Harry souffrait déjà. Il lui semblait impossible, que, de sa vie de frivolité innocente et douce, il fut ainsi subitement jeté dans des relations criminelles. Il ne pouvait reprocher à sa conscience aucun acte coupable, et cependant la punition du péché sous sa forme la plus aiguë et la plus cruelle s’appesantissait sur lui : l’effroi du châtiment, les soupçons des bons et la promiscuité flétrissante avec des natures inférieures. Il sentit qu’il donnerait sa vie avec joie pour sortir de la chambre et pour échapper à la société d’un Raeburn.
« Et maintenant, dit ce dernier, après qu’il eut divisé les bijoux en deux parts à peu près égales et attiré devant lui la plus grosse, et maintenant, toutes choses en ce monde se paient. Vous saurez, Mr. Hartley, si tel est votre nom, que je suis un brave homme d’un caractère très accommodant ; ma bonne nature a été pour moi une pierre d’achoppement en ce monde, depuis le commencement jusqu’à la fin. Je pourrais empocher la totalité de ces jolis cailloux, et vous n’auriez pas un mot à dire ; mais je n’ai pas le cœur de vous tondre de si près. Par pure bonté, je propose donc de partager comme ceci. – Le drôle indiquait les deux tas. – Voilà des proportions qui me semblent justes et amicales. Avez-vous quelque objection à soulever, Mr. Hartley, je vous le demande ? Je ne suis pas homme à discuter pour une broche.
– Mais, monsieur, s’écria Harry, ce que vous me proposez est impossible. Les joyaux ne sont pas à moi ; avec n’importe qui, et en quelque proportion que ce soit, je ne puis partager ce qui appartient à un autre.
– Ils ne sont pas à vous ? Bah !… répliqua Raeburn ; et vous ne sauriez les partager avec personne ? Tant pis ! C’est grand dommage ; car alors je me vois obligé de vous conduire au poste. La police ! réfléchissez-y, continua-t-il. Pensez à la honte pour vos respectables parents ; pensez, poursuivit-il, saisissant Harry par le poignet, pensez aux colonies et au jour du jugement.
– Je n’y puis rien ! gémit Harry. Ce n’est pas ma faute ; vous ne voulez pas venir avec moi à Eaton Place ?
– Non, répondit le jardinier, je ne le veux pas, cela est certain, et j’entends partager ici ces joujoux avec vous. »
Disant cela, très violemment et à l’improviste, il tordit le poignet du jeune homme.
Harry ne put réprimer un cri, et la sueur perla sur son front. Peut-être la souffrance et la peur éveillèrent-elles son intelligence, mais assurément toute l’aventure se révéla à ses yeux sous un nouveau jour ; il vit qu’il n’y avait rien à faire, sauf de céder aux propositions du misérable, en gardant l’espoir de retrouver plus tard sa maison, pour lui faire rendre gorge dans des conditions plus propices, alors que lui-même serait à l’abri de tout soupçon.
« Je consens, dit-il.
– Voilà un agneau, ricana le jardinier ; je pensais bien qu’à la fin vous comprendriez votre intérêt. Ce carton, continua-t-il, je le brûlerai avec mes gravois. C’est une chose que pourraient reconnaître des gens curieux ; quant à vous, ratissez vos splendeurs et fourrez-les dans votre poche. »
Harry se mit à obéir, sous la surveillance de Raeburn ; de temps en temps, celui-ci, tenté par quelque scintillement, enlevait un bijou de la part du secrétaire pour l’ajouter à la sienne.
Quand ce fut terminé, tous les deux se dirigèrent vers la porte de la rue, que Raeburn ouvrit avec précaution pour inspecter les alentours. Ils étaient probablement déserts ; car soudain ce brutal saisit Harry par la nuque, et, lui maintenant la tête baissée de façon à ce qu’il ne pût voir que la route et les marchés des maisons, il le poussa ainsi devant lui, descendant une rue et en remontant une autre pendant peut-être l’espace d’une minute et demie. Harry compta trois tournants avant que son bourreau ne relâchât l’étreinte sous laquelle il fléchissait ; alors, criant : « Filez » le jardinier, d’un coup de pied vigoureux et bien appliqué, l’envoya rouler au loin la tête la première.
Lorsque Harry se releva, à moitié assommé et saignant du nez, Mr. Raeburn avait disparu. Pour la première fois, la colère et la douleur dominèrent tellement le jeune homme, qu’il éclata en une crise de larmes et resta sanglotant au milieu du chemin.
Lorsqu’il eut ainsi un peu calmé ses nerfs, il se mit à regarder autour de lui et à lire les noms des rues au croisement desquelles on l’avait laissé. Il était toujours dans une partie peu fréquentée du quartier ouest de Londres, au milieu de villas et de grands jardins ; mais il aperçut à une fenêtre quelques personnes qui évidemment avaient assisté à son malheur. Une servante sortit en courant de la maison et vint lui offrir un verre d’eau. Au même moment, un vagabond, qui rôdait alentour, s’approcha, de l’autre côté.
« Pauvre garçon ! dit la servante ; comme on vous a traité méchamment ! Vos genoux sont tout percés et vos vêtements en loques ! Connaissez-vous le gredin qui vous a battu ainsi ?
– Oui, certes ! s’écria Harry, un peu rafraîchi par le verre d’eau, et je le poursuivrai en