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    2. Molly Bloom
    3. Chapitre 3
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    étendus sur le tapis du salon de la rue Lombard Ouest

    j’ai pris mon temps

    autant de temps qu’avec Bartell d’Arcy celui dont il se moquait tant

    quand il s’est mis à m’embrasser dans les marches qui menaient au balcon du chœur

    où je venais de chanter l’Ave Maria de Gounod

    assez fougueux merci malgré sa voix aiguë de ténor

    j’avais toujours aimé la façon dont il se servait de sa bouche en chantant

    ensuite il me demande en chuchotant si je trouvais pas ça épouvantable de le faire là

    je vois pas ce qu’il y a d’épouvantable que je lui réponds

    je vais lui raconter ça un jour pas maintenant mais un jour

    ouais puis je l’emmènerai là pour lui montrer l’endroit exact aussi où on l’a fait

    puis v’lan c’est ça qui est ça puis tant pis pour toi si t’aimes pas ça

    monsieur est tellement convaincu que rien peut se passer sans qu’il le sache

    pourtant il avait aucune idée à propos de ma mère juive avant qu’on se soit fiancés

    de toute façon il était dix fois pire que moi

    je le revois qui me supplie de lui faire cadeau d’un petit bout de ma culotte

    le soir qu’on marchait le long du square Kenilworth

    sa manie des dessous

    il est toujours en train de zyeuter les jeunes filles sur leurs vélos

    les dévergondées avec les jupes qui leur remontent jusqu’au nombril

    même en se promenant avec Milly et moi

    comme la fois à la kermesse en plein air

    la fois de la fille debout en contrejour qui portait la jupe en mousseline couleur crème

    qui savait très bien qu’elle était placée de façon à lui permettre de se rincer l’œil

    ou la fois où il m’a vue en me suivant sous la pluie

    sauf que moi je l’avais aperçu avant

    avec son nouveau manteau de pluie voulant impressionner comme d’habitude le ratoureux

    ça faisait un moment qu’il osait pas s’approcher trop de la maison

    la situation se corsait un peu trop puis il le savait

    c’est pour ça que je me suis tournée vers lui en m’arrêtant

    tout de suite il s’est mis après moi pour que j’accepte que je lui dise oui

    jusqu’à ce que je retire mon gant lentement

    c’est là qu’il me dit que mes manches en dentelle sont trop minces pour la pluie

    en profitant pour poser sa main sur moi pour la placer près de mes dessous

    près de ma culotte tout était toujours à propos de ma culotte

    une vraie obsession jusqu’à ce que je lui promette celle de ma poupée pour qu’il puisse la garder dans sa poche de veston

    Ô Maria Santissima

    il avait don’ l’air d’un grand niaiseux tout dégoulinant dans la pluie

    quand il m’a suppliée de relever mon jupon orangé avec le plissé soleil

    en menaçant de se mettre à genoux de salir son beau manteau

    on sait jamais ce qu’ils peuvent faire jusqu’où quelle folie va les prendre

    quand on se retrouve seule avec eux autres

    ils peuvent agir en vrais sauvages ça les obsède tellement sauf

    comme quelqu’un pouvait passer

    d’une main j’ai relevé un peu mon jupon puis j’ai posé l’autre sur ses pantalons

    comme je l’avais fait avec Gardner

    ensuite avec ma main gauche pour l’empêcher de faire pire dans un endroit public

    j’avais tellement envie de savoir s’il était circoncis

    sauf là il s’est mis tout à coup à trembler comme un bol de gélatine

    sont toujours si pressés

    pas moyen de leur faire comprendre que ça vaut la peine de le faire durer

    puis papa qui attendait son dîner pendant tout ce temps-là

    sauf lui me dit de lui expliquer que j’avais oublié mon porte-monnaie chez le boucher

    qu’il avait fallu que j’y retourne pour le chercher

    Maudit menteur

    j’avoue que j’aimais sa façon de faire la cour dans ce temps-là

    il savait comment s’y prendre avec une femme

    j’espère que Boylan va revenir lundi comme promis

    à la même heure quatre

    j’haïs ça quand les gens débarquent sans avertir

    tu réponds en pensant que c’est les légumes mais c’est de la visite

    puis t’es même pas habillée

    la semaine prochaine on est censés aller à Belfast

    ça tombe bien que Popold doive se rendre à Ennis

    pour l’anniversaire de la mort de son père le 27

    s’il venait ça gâcherait tout

    imagine si nos chambres à l’hôtel étaient adjacentes

    que celle de Boylan était à côté de la nôtre

    si on se mettait Popold et moi à faire quelque chose dans le nouveau lit

    je pourrais pas lui dire d’arrêter de me laisser tranquille

    le lendemain matin Boylan me croirait jamais qu’on n’avait rien fait

    si mentir à son mari c’est facile c’est une autre paire de manches avec un amant

    surtout après lui avoir conté qu’on ne faisait plus rien

    c’est vrai qu’il m’a pas crue

    non c’est mieux qu’il vienne pas

    il y a toujours quelque chose qui arrive quand il est là

    comme la fois à la gare de Maryborough en chemin pour le concert de Mallow

    il venait de nous commander deux soupes

    quand la cloche sonne

    le voilà qui part vers la plateforme avec sa soupe bouillante

    qui la mange avec sa cuillère en marchant

    y a rien qui le dérange lui

    le serveur lui court après en criant

    la locomotive se met à bouger

    mais lui pas question qu’il paie avant d’avoir fini son bol

    les deux hommes en troisième classe lui ont donné raison d’ailleurs

    c’est vrai qu’il avait raison aussi

    il peut être tellement tête de cochon quand il veut

    je me demande si Boylan va m’offrir une place en première

    peut-être qu’il va vouloir qu’on le fasse là dans le compartiment du train

    en refilant des pourboires aux employés

    jusqu’à Belfast

    mon dernier concert

    où est-ce que j’ai chanté

    ça fait plus d’un an c’était quand

    la salle Sainte-Thérèse rue Clarendon

    quand je pense aux petites saintes nitouches sans talent qu’on laisse chanter maintenant

    les Kathleen Kearney de ce monde qui montent sur scène au lieu de moi pourquoi

    parce que papa était dans l’armée britannique

    parce que Popold est pas assez irlandais

    j’ai entendu dire qu’il se tenait ces jours-ci avec certains de ces nationaleux du Sinn Fein

    Shawn Fine Sin Fin ou je sais pas trop comment ils veulent qu’on le prononce

    il doit leur déballer ses niaiseries comme d’habitude

    de toute façon je veux rien savoir je veux plus entendre parler de politique

    depuis la guerre celle de Prétoria

    celle où Gardner

    le lieutenant Stanley G. du huitième bataillon du deuxième régiment des East Lancers

    de la dysenterie

    un si joli garçon en kaki juste un peu plus grand que moi il devait être brave aussi

    je l’entends me dire comment j’étais belle le soir de son départ

    quand on s’est embrassés près des écluses

    ma beauté irlandaise

    il était tout pâle excité à l’idée de partir

    ou pâle de peur fallait surtout pas nous voir du chemin

    lui il avait du mal à rester bandé et moi j’avais jamais été aussi excitée de ma vie

    ils auraient pas pu faire la paix avant de commencer

    en obligeant le vieux schnock Paul puis les autres du clan Kruger à se battre entre eux

    au lieu que ça dure des années puis des années

    puis qu’on finisse par tuer tous les beaux garçons

    avec leur maudite fièvre

    si au moins il avait reçu une balle au cœur me semble ça aurait été moins pire

    je suis toujours émue en voyant parader un régiment

    comme la première fois que j’ai vu la cavalerie espagnole à La Roque

    ensuite c’était tellement magnifique

    la vue de l’autre côté de la baie d’Algésiras

    toutes les lumières de Gibraltar comme des lucioles

    paraît que le père de Boylan a fait tout son argent en vendant des chevaux à la cavalerie

    en tout cas il pourrait m’acheter un cadeau à Belfast après ce que je lui ai offert

    du linge de maison c’est une de leurs spécialités

    ou un de ces beaux kimonos

    ce serait plaisant de pouvoir me promener avec lui dans une ville où on nous connaît pas

    d’aller dans les magasins de dépenser son argent

    il en a plein

    puis comme c’est pas un homme qui veut se marier faut bien que quelqu’un en profite

    la question c’est est-ce qu’il me trouve de son goût

    je me suis trouvée un peu fanée

    quand je me suis regardée dans mon miroir pour me poudrer

    faut dire qu’un miroir c’est pas toujours flatteur et que c’est surtout l’expression qui compte

    puis qu’est-ce que tu veux avec lui penché sur moi avec ses gros os du bassin

    lourd comme il est avec sa poitrine poilue

    dans cette chaleur-là

    pourquoi faut toujours se mettre sur le dos pour eux autres

    ç’aurait été mieux qu’il me prenne par-derrière

    comme madame Mastiansky m’a dit que son mari l’obligeait à faire

    comme les chiens en sortant sa langue

    puis lui un monsieur si discret avec sa cithare ting a ting

    on sait jamais avec les hommes quand ça leur prend

    il était quand même chic dans son complet bleu

    je trouvais qu’il avait du style sa cravate ses bas avec le motif en soie bleu ciel

    oui ça se voit tout de suite qu’il est plein aux as

    comme tous ceux qu’il faut remercier pour la moindre bouchée qu’on avale

    quand on va au restaurant

    même pour notre pauvre petite tasse de thé de rien du tout

    oublie surtout pas de leur faire un grand compliment sinon

    le monde est divisé en deux c’est comme ça on n’y peut rien

    si c’est pour continuer je veux au moins deux autres chemisiers

    je sais pas quelle sorte de dessous qu’il aime par exemple

    aucun c’est pas ça qu’il m’a dit

    oui la plupart des filles à Gibraltar en portaient jamais non plus

    j’ai grossi du ventre dernièrement

    va falloir que je laisse tomber la bière le midi

    ou est-ce que je commence à trop aimer ça

    je devrais faire mes exercices de respiration aussi

    je me demande si ça marche leur pilule pour maigrir

    faudrait quand même pas exagérer

    les minces sont pas tellement à la mode

    des jarretières par contre j’en ai assez

    la paire violette que j’ai portée aujourd’hui

    c’est tout ce qu’il m’a acheté avec l’argent du chèque qu’il a reçu le premier du mois

    ô non il y avait la lotion pour le visage que j’ai finie hier celle qui rajeunit ma peau

    une personne qui se respecte peut pas sortir dans le monde sans un minimum de tenues

    mais je suis censée faire

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