étendus sur le tapis du salon de la rue Lombard Ouest
j’ai pris mon temps
autant de temps qu’avec Bartell d’Arcy celui dont il se moquait tant
quand il s’est mis à m’embrasser dans les marches qui menaient au balcon du chœur
où je venais de chanter l’Ave Maria de Gounod
assez fougueux merci malgré sa voix aiguë de ténor
j’avais toujours aimé la façon dont il se servait de sa bouche en chantant
ensuite il me demande en chuchotant si je trouvais pas ça épouvantable de le faire là
je vois pas ce qu’il y a d’épouvantable que je lui réponds
je vais lui raconter ça un jour pas maintenant mais un jour
ouais puis je l’emmènerai là pour lui montrer l’endroit exact aussi où on l’a fait
puis v’lan c’est ça qui est ça puis tant pis pour toi si t’aimes pas ça
monsieur est tellement convaincu que rien peut se passer sans qu’il le sache
pourtant il avait aucune idée à propos de ma mère juive avant qu’on se soit fiancés
de toute façon il était dix fois pire que moi
je le revois qui me supplie de lui faire cadeau d’un petit bout de ma culotte
le soir qu’on marchait le long du square Kenilworth
sa manie des dessous
il est toujours en train de zyeuter les jeunes filles sur leurs vélos
les dévergondées avec les jupes qui leur remontent jusqu’au nombril
même en se promenant avec Milly et moi
comme la fois à la kermesse en plein air
la fois de la fille debout en contrejour qui portait la jupe en mousseline couleur crème
qui savait très bien qu’elle était placée de façon à lui permettre de se rincer l’œil
ou la fois où il m’a vue en me suivant sous la pluie
sauf que moi je l’avais aperçu avant
avec son nouveau manteau de pluie voulant impressionner comme d’habitude le ratoureux
ça faisait un moment qu’il osait pas s’approcher trop de la maison
la situation se corsait un peu trop puis il le savait
c’est pour ça que je me suis tournée vers lui en m’arrêtant
tout de suite il s’est mis après moi pour que j’accepte que je lui dise oui
jusqu’à ce que je retire mon gant lentement
c’est là qu’il me dit que mes manches en dentelle sont trop minces pour la pluie
en profitant pour poser sa main sur moi pour la placer près de mes dessous
près de ma culotte tout était toujours à propos de ma culotte
une vraie obsession jusqu’à ce que je lui promette celle de ma poupée pour qu’il puisse la garder dans sa poche de veston
Ô Maria Santissima
il avait don’ l’air d’un grand niaiseux tout dégoulinant dans la pluie
quand il m’a suppliée de relever mon jupon orangé avec le plissé soleil
en menaçant de se mettre à genoux de salir son beau manteau
on sait jamais ce qu’ils peuvent faire jusqu’où quelle folie va les prendre
quand on se retrouve seule avec eux autres
ils peuvent agir en vrais sauvages ça les obsède tellement sauf
comme quelqu’un pouvait passer
d’une main j’ai relevé un peu mon jupon puis j’ai posé l’autre sur ses pantalons
comme je l’avais fait avec Gardner
ensuite avec ma main gauche pour l’empêcher de faire pire dans un endroit public
j’avais tellement envie de savoir s’il était circoncis
sauf là il s’est mis tout à coup à trembler comme un bol de gélatine
sont toujours si pressés
pas moyen de leur faire comprendre que ça vaut la peine de le faire durer
puis papa qui attendait son dîner pendant tout ce temps-là
sauf lui me dit de lui expliquer que j’avais oublié mon porte-monnaie chez le boucher
qu’il avait fallu que j’y retourne pour le chercher
Maudit menteur
j’avoue que j’aimais sa façon de faire la cour dans ce temps-là
il savait comment s’y prendre avec une femme
j’espère que Boylan va revenir lundi comme promis
à la même heure quatre
j’haïs ça quand les gens débarquent sans avertir
tu réponds en pensant que c’est les légumes mais c’est de la visite
puis t’es même pas habillée
la semaine prochaine on est censés aller à Belfast
ça tombe bien que Popold doive se rendre à Ennis
pour l’anniversaire de la mort de son père le 27
s’il venait ça gâcherait tout
imagine si nos chambres à l’hôtel étaient adjacentes
que celle de Boylan était à côté de la nôtre
si on se mettait Popold et moi à faire quelque chose dans le nouveau lit
je pourrais pas lui dire d’arrêter de me laisser tranquille
le lendemain matin Boylan me croirait jamais qu’on n’avait rien fait
si mentir à son mari c’est facile c’est une autre paire de manches avec un amant
surtout après lui avoir conté qu’on ne faisait plus rien
c’est vrai qu’il m’a pas crue
non c’est mieux qu’il vienne pas
il y a toujours quelque chose qui arrive quand il est là
comme la fois à la gare de Maryborough en chemin pour le concert de Mallow
il venait de nous commander deux soupes
quand la cloche sonne
le voilà qui part vers la plateforme avec sa soupe bouillante
qui la mange avec sa cuillère en marchant
y a rien qui le dérange lui
le serveur lui court après en criant
la locomotive se met à bouger
mais lui pas question qu’il paie avant d’avoir fini son bol
les deux hommes en troisième classe lui ont donné raison d’ailleurs
c’est vrai qu’il avait raison aussi
il peut être tellement tête de cochon quand il veut
je me demande si Boylan va m’offrir une place en première
peut-être qu’il va vouloir qu’on le fasse là dans le compartiment du train
en refilant des pourboires aux employés
jusqu’à Belfast
mon dernier concert
où est-ce que j’ai chanté
ça fait plus d’un an c’était quand
la salle Sainte-Thérèse rue Clarendon
quand je pense aux petites saintes nitouches sans talent qu’on laisse chanter maintenant
les Kathleen Kearney de ce monde qui montent sur scène au lieu de moi pourquoi
parce que papa était dans l’armée britannique
parce que Popold est pas assez irlandais
j’ai entendu dire qu’il se tenait ces jours-ci avec certains de ces nationaleux du Sinn Fein
Shawn Fine Sin Fin ou je sais pas trop comment ils veulent qu’on le prononce
il doit leur déballer ses niaiseries comme d’habitude
de toute façon je veux rien savoir je veux plus entendre parler de politique
depuis la guerre celle de Prétoria
celle où Gardner
le lieutenant Stanley G. du huitième bataillon du deuxième régiment des East Lancers
de la dysenterie
un si joli garçon en kaki juste un peu plus grand que moi il devait être brave aussi
je l’entends me dire comment j’étais belle le soir de son départ
quand on s’est embrassés près des écluses
ma beauté irlandaise
il était tout pâle excité à l’idée de partir
ou pâle de peur fallait surtout pas nous voir du chemin
lui il avait du mal à rester bandé et moi j’avais jamais été aussi excitée de ma vie
ils auraient pas pu faire la paix avant de commencer
en obligeant le vieux schnock Paul puis les autres du clan Kruger à se battre entre eux
au lieu que ça dure des années puis des années
puis qu’on finisse par tuer tous les beaux garçons
avec leur maudite fièvre
si au moins il avait reçu une balle au cœur me semble ça aurait été moins pire
je suis toujours émue en voyant parader un régiment
comme la première fois que j’ai vu la cavalerie espagnole à La Roque
ensuite c’était tellement magnifique
la vue de l’autre côté de la baie d’Algésiras
toutes les lumières de Gibraltar comme des lucioles
paraît que le père de Boylan a fait tout son argent en vendant des chevaux à la cavalerie
en tout cas il pourrait m’acheter un cadeau à Belfast après ce que je lui ai offert
du linge de maison c’est une de leurs spécialités
ou un de ces beaux kimonos
ce serait plaisant de pouvoir me promener avec lui dans une ville où on nous connaît pas
d’aller dans les magasins de dépenser son argent
il en a plein
puis comme c’est pas un homme qui veut se marier faut bien que quelqu’un en profite
la question c’est est-ce qu’il me trouve de son goût
je me suis trouvée un peu fanée
quand je me suis regardée dans mon miroir pour me poudrer
faut dire qu’un miroir c’est pas toujours flatteur et que c’est surtout l’expression qui compte
puis qu’est-ce que tu veux avec lui penché sur moi avec ses gros os du bassin
lourd comme il est avec sa poitrine poilue
dans cette chaleur-là
pourquoi faut toujours se mettre sur le dos pour eux autres
ç’aurait été mieux qu’il me prenne par-derrière
comme madame Mastiansky m’a dit que son mari l’obligeait à faire
comme les chiens en sortant sa langue
puis lui un monsieur si discret avec sa cithare ting a ting
on sait jamais avec les hommes quand ça leur prend
il était quand même chic dans son complet bleu
je trouvais qu’il avait du style sa cravate ses bas avec le motif en soie bleu ciel
oui ça se voit tout de suite qu’il est plein aux as
comme tous ceux qu’il faut remercier pour la moindre bouchée qu’on avale
quand on va au restaurant
même pour notre pauvre petite tasse de thé de rien du tout
oublie surtout pas de leur faire un grand compliment sinon
le monde est divisé en deux c’est comme ça on n’y peut rien
si c’est pour continuer je veux au moins deux autres chemisiers
je sais pas quelle sorte de dessous qu’il aime par exemple
aucun c’est pas ça qu’il m’a dit
oui la plupart des filles à Gibraltar en portaient jamais non plus
j’ai grossi du ventre dernièrement
va falloir que je laisse tomber la bière le midi
ou est-ce que je commence à trop aimer ça
je devrais faire mes exercices de respiration aussi
je me demande si ça marche leur pilule pour maigrir
faudrait quand même pas exagérer
les minces sont pas tellement à la mode
des jarretières par contre j’en ai assez
la paire violette que j’ai portée aujourd’hui
c’est tout ce qu’il m’a acheté avec l’argent du chèque qu’il a reçu le premier du mois
ô non il y avait la lotion pour le visage que j’ai finie hier celle qui rajeunit ma peau
une personne qui se respecte peut pas sortir dans le monde sans un minimum de tenues
mais je suis censée faire