je vais te dire un peu ma façon de penser. Je t’ai toujours estimé comme un garçon d’esprit et comme mon propre portrait lorsque j’étais jeune et de bonne mine. J’ai toujours désiré que tu t’enrôles avec nous, pour recevoir ta part et mourir en gentilhomme. Et maintenant, mon brave, tu vas y venir. Le capitaine Smollett est un bon marin, je le reconnaîtrai toujours, mais à cheval sur la discipline. « Le devoir avant tout », qu’il dit, et il a raison. Il faut te garer du capitaine. Le docteur lui-même est fâché à mort contre toi. « Un ingrat chenapan », voilà ses paroles ; et le résumé de l’histoire est à peu près celui-ci : tu ne peux plus retourner chez tes gens, car ils ne voudraient plus de toi ; et à moins que tu ne formes à toi tout seul un troisième équipage, ce qui manquerait un peu de société, il va falloir t’enrôler avec le capitaine Silver.
Tout allait bien jusque-là. Mes amis, donc, étaient encore vivants, et bien que je crusse vraie en partie l’affirmation de Silver que ceux de la cabine m’en voulaient pour ma désertion, j’étais plus réconforté qu’abattu par ce que je venais d’entendre.
– Et quoique tu sois en notre pouvoir, reprit Silver, et que tu y sois bien, crois-moi, je n’en parlerai pas. Je suis uniquement pour la persuasion ; la menace n’a jamais produit rien de bon. Si le service te plaît, eh bien, tu t’enrôleras avec nous : et dans le cas contraire, Jim, ma foi, tu es libre de répondre non… libre comme l’air, camarade ; et je veux périr s’il est en ce monde un marin pour parler mieux que cela !
À travers tout ce persiflage, j’avais bien discerné la menace de mort suspendue sur moi ; mes joues étaient brûlantes et mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine. Je demandai d’une voix tremblante :
– Alors, il faut que je réponde ?
– Mon gars, repartit Silver, personne ne te presse. Relève ta position. Personne ici ne voudrait te presser, camarade : le temps passe trop agréablement en ta société, vois-tu.
– Eh bien, fis-je, quelque peu enhardi, si je dois choisir, je déclare que j’ai le droit de savoir ce qu’il en est, pourquoi vous êtes ici, et où sont mes amis.
– Ce qu’il en est, répéta l’un des flibustiers avec un sourd grognement ; ah ! il aurait de la chance, celui qui le saurait.
– Tu pourrais peut-être fermer tes écoutilles en attendant qu’on te parle, mon ami ! lança farouchement Silver à l’interrupteur.
Puis, reprenant son ton aimable, il me répondit :
– Hier matin, maître Hawkins, durant le quart de quatre heures à huit heures, voilà que nous arrive le docteur Livesey, muni du pavillon parlementaire. Il me dit : « Capitaine Silver, vous êtes trahi : le navire n’est plus là… » Eh bien, peut-être avions-nous pris un verre et chanté un peu pour le faire passer. Je ne dirais pas non. En tout cas, personne d’entre nous n’avait remarqué la chose. Nous regardons et, cré tonnerre ! ce vieux bâtiment n’était plus là ! Je n’ai jamais vu bande de jocrisses avoir l’air plus stupides, crois-moi. « Eh bien, dit le docteur, faisons un marché… » Nous avons traité, lui et moi, et nous sommes ici avec provisions, eau-de-vie, blockhaus, le bois à brûler que vous avez eu la prévoyance de couper, et, pour ainsi dire, avec tout le sacré bateau, de la quille à la pomme des mâts. Quant à eux, ils se sont trottés ; je ne sais pas où ils sont.
De nouveau, il tira placidement sur sa pipe et reprit :
– Et afin que tu ne te mettes pas dans la tête que tu es compris dans le traité, voici les derniers mots qui furent prononcés : « Combien êtes-vous, que je dis, à partir ? – Quatre, qu’il dit, dont un blessé ; quant à ce garçon, je ne sais pas où il est, qu’il aille au diable, qu’il dit, je n’en ai cure : nous sommes fatigués de lui… » Ce sont là ses paroles.
– Est-ce tout ?
– Oui, c’est tout ce que tu dois savoir, mon fils.
– Et maintenant, il me faut choisir ?
– Et maintenant, il te faut choisir, crois-moi.
– Eh bien, je ne suis pas assez sot pour ne pas très bien savoir ce que j’ai à attendre. Quoi qu’il doive m’arriver, cela m’est égal. J’en ai trop vu mourir depuis que je vous ai rencontré. Mais il y a deux ou trois choses que je dois vous raconter, dis-je, très surexcité à ce moment. Voici la première. Vous êtes dans une mauvaise passe : navire perdu, trésor perdu, hommes perdus : toute votre entreprise a fait naufrage ; et si vous voulez savoir à qui vous le devez, eh bien, c’est à moi ! J’étais dans la barrique de pommes le soir de notre arrivée en vue de terre, et je vous ai entendus, vous John, et vous Dick Johnson, et Hands, qui est présentement au fond de la mer, et j’ai répété sur l’heure jusqu’à la dernière de vos paroles. Et quant à la goélette, c’est moi qui ai coupé son câble, et c’est moi qui ai tué les hommes que vous aviez à son bord, et c’est moi qui l’ai menée là où aucun de vous ne la reverra jamais. Les rieurs seront de mon côté ; j’ai eu, dès le début, la haute main sur vous dans cette affaire ; je ne vous crains pas plus qu’un moucheron. Tuez-moi ou épargnez-moi, à votre gré. Mais je vous dirai encore une chose : si vous m’épargnez, j’oublierai le passé, et quand vous passerez tous en jugement pour piraterie, je vous aiderai de tout mon pouvoir. C’est à vous de choisir. Tuez-en un de plus sans profit pour vous, ou épargnez-moi et gardez ainsi un témoin qui vous sauvera de la potence.
Je m’arrêtai, car, en vérité, j’étais à bout de souffle. À mon grand étonnement, pas un d’entre eux ne broncha, et tous restèrent à me considérer tel qu’un troupeau de moutons. Et tandis qu’ils me regardaient encore, je repris :
– Et maintenant, maître Silver, je crois que vous êtes ici le meilleur de tous : si les choses en viennent au pis, je vous serai obligé de faire savoir au docteur la façon dont je me suis comporté.
– Je ne l’oublierai pas, dit Silver avec une intonation si particulière que je n’aurais pu, même au prix de ma vie, décider s’il se raillait de ma requête ou si mon courage l’avait favorablement impressionné.
– J’ajouterai quelque chose à cela, s’écria le vieux marin à teint d’acajou (le nommé Morgan que j’avais vu dans la taverne de Silver, sur les quais de Bristol), c’est lui qui a reconnu Chien-Noir.
– Et tenez, reprit le maître coq, j’ajouterai encore autre chose à cela, cré tonnerre ! c’est ce même garçon qui a subtilisé la carte à Billy Bones. D’un bout à l’autre, nous nous sommes butés contre Jim Hawkins !
– Alors, voici pour lui ! fit Morgan avec un blasphème.
Et il bondit, en tirant son couteau avec une ardeur juvénile.
– Halte-là ! cria Silver. Que te crois-tu donc ici, Tom Morgan ? Capitaine, hein ? Par tous les diables, je t’apprendrai le contraire ! Mets-toi à ma traverse, et tu iras où tant de bons bougres ont été avant toi, du premier au dernier, depuis vingt ans… les uns à bout de vergue, mort de ma vie ! et d’autres par le sabord, et tous à nourrir les poissons. Jamais personne ne m’a regardé entre les deux yeux, qui ait vu ensuite un jour de bonheur, Tom Morgan, je te le garantis.
Morgan se tut, mais les autres firent entendre un rauque murmure.
– Tom a raison, dit quelqu’un.
– J’ai été embêté assez longtemps par un capitaine, dit un second. Que je sois pendu si je me laisse faire encore par toi, John Silver !
– Y en a-t-il un de vous autres, messeigneurs, qui veut venir s’expliquer dehors avec moi ? rugit Silver de dessus son tonnelet, en avançant fortement le haut du corps et agitant vers eux sa pipe brasillante. Si c’est cela que vous voulez, dites-le : vous n’êtes pas muets, je suppose. Celui qui le désire sera servi. Aurai-je donc vécu tant d’années pour me voir finalement braver en face par un fils d’ivrognesse ? Vous connaissez le système, puisque vous êtes tous gentilshommes de fortune, à vous entendre. Eh bien, je suis prêt. Qu’il prenne un coutelas, celui qui ose, et je verrai la couleur de ses tripes, tout béquillard que je suis, avant la fin de cette pipe.
Personne ne broncha ; personne ne répondit.
– Voilà votre genre, n’est-ce pas ? ajouta-t-il, en portant de nouveau sa pipe à sa bouche. Eh bien, vous êtes rigolos à voir, en tout cas. Mais pas bien fameux pour vous battre, ça non. Mais si je parle anglais comme il faut, vous me comprendrez peut-être. Je suis votre capitaine par élection. Je suis votre capitaine parce que je suis le meilleur de tous, d’un bon mille marin. Vous refusez de vous battre comme le devraient des gentilshommes de fortune ; alors, cré tonnerre ! vous obéirez, je ne vous dis que ça ! J’aime ce garçon, à présent : je n’ai jamais vu meilleur garçon que lui. Il est plus crâne que deux quelconques des capons que vous êtes tous ici ; et voici ce que je dis : je voudrais voir désormais que quelqu’un porte la main sur lui. Voilà ce que je dis, et vous pouvez