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    2. L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde
    3. Chapitre 11
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    de leurs portes, aucun d’eux n’avait de longtemps été ouvert. La cave, il est vrai, était encombrée d’un amas d’objets hétéroclites, datant pour la plupart de l’époque du chirurgien prédécesseur de Jekyll ; mais rien qu’en ouvrant la porte ils furent avertis de l’inutilité de plus amples recherches, par la chute d’un revêtement compact de toiles d’araignées qui avaient depuis des ans condamné l’entrée. Nulle part on ne voyait trace de Henry Jekyll, ni mort ni vivant.

    Poole frappa du pied les dalles du corridor.

    – Il doit être enterré là, dit-il en prêtant l’oreille à la résonance.

    – À moins qu’il se soit enfui, dit Utterson.

    Et il s’en alla examiner la porte de la petite rue. Elle était fermée à clef ; et tout auprès, gisant sur les dalles, se trouvait la clef, déjà tachée de rouille.

    – Elle n’a pas l’air de servir beaucoup, remarqua le notaire.

    – De servir ! répéta Poole. Ne voyez-vous donc pas, monsieur, qu’elle est brisée comme si quelqu’un avait donné un coup de talon dessus ?

    – C’est juste, fit Utterson, et même les cassures sont rouillées.

    Les deux hommes s’entre-regardèrent, ébahis.

    – Ceci me dépasse, Poole, dit le notaire. Retournons dans le cabinet.

    Ils gravirent l’escalier en silence, et non sans jeter par intervalles au cadavre un regard terrifié, se mirent à examiner plus en détail le contenu de la pièce. Sur une table se voyaient des traces d’opérations chimiques, plusieurs tas dosés d’un sel blanchâtre étaient préparés sur des soucoupes de verre, comme pour une expérience au milieu de laquelle le malheureux avait été interrompu.

    – C’est là ce même produit que j’allais tout le temps lui chercher, dit Poole.

    Et il n’avait pas achevé sa phrase que la bouilloire déborda à grand bruit.

    Ceci les amena vers la cheminée, auprès de laquelle le fauteuil était frileusement tiré, avec le nécessaire à thé tout disposé à portée de la main, jusqu’à la tasse garnie de sucre. Un rayonnage supportait quelques volumes ; l’un d’eux gisait ouvert à côté du plateau à thé, et Utterson y reconnut avec stupeur un exemplaire d’un ouvrage édifiant, pour lequel Jekyll avait maintes fois exprimé une vive estime, et qui se trouvait ici annoté de scandaleux blasphèmes écrits de sa propre main.

    Continuant de passer en revue la pièce, les deux perquisiteurs arrivèrent à la psyché, et ils regardèrent dans ses profondeurs avec un effroi involontaire ; mais elle était tournée de façon à ne leur montrer que la rose lueur se jouant au plafond, le feu scintillant en multiples reflets sur les vitres des étagères, et leurs propres physionomies pâles et terrifiées, penchées sur leur image.

    – Ce miroir a vu d’étranges choses, monsieur, chuchota Poole.

    – Il ne peut avoir rien vu de plus étrange que ne l’est sa présence ici, répliqua le notaire sur le même ton. Car que faisait Jekyll…

    Il s’interrompit avec un sursaut, et puis surmontant sa faiblesse :

    – Quel besoin d’une psyché pouvait bien avoir Jekyll ?

    – Vous avez raison de le dire, dit Poole.

    Ils s’occupèrent ensuite de la table de travail. Sur le pupitre, au milieu des papiers rangés avec soin, s’étalait par-dessus tout une grande enveloppe qui portait, écrit de la main du docteur, le nom de M. Utterson. Le notaire la décacheta, et plusieurs plis s’en échappèrent et tombèrent sur plancher. Le premier contenait une déclaration rédigée dans les mêmes termes extravagants que celle restituée six mois plus tôt, et destinée à servir de testament en cas de mort, et d’acte de donation en cas de disparition, mais remplaçant le nom de Hyde, le notaire y lut, avec un étonnement indescriptible, le nom de Gabriel-John Utterson. Il regarda successivement Poole, puis de nouveau le papier, et enfin le défunt criminel étendu sur le parquet.

    – La tête m’en tourne, dit-il. Il a eu ceci à sa disposition tous ces derniers jours, il n’avait aucune raison de m’aimer, il devait être furieux de se voir évincé, et il n’a pas détruit ce document !

    Il passa au pli suivant : c’était un court billet de la main du docteur et daté dans le haut.

    – Oh, Poole, s’écria le notaire, il était ici, et vivant, aujourd’hui même. On ne peut l’avoir fait disparaître en aussi peu de temps : il doit être encore vivant, il doit s’être enfui ?… Au reste, pourquoi fuir ? et comment ? et dans ce cas peut-on se hasarder à appeler cela un suicide ? Oh, il nous faut être circonspects. Je pressens que nous pouvons encore entraîner votre maître dans quelque déplorable catastrophe.

    – Pourquoi ne lisez-vous pas, monsieur ? demanda Poole.

    – Parce que j’ai peur, répondit le notaire d’un ton tragique, Dieu veuille que je n’en aie pas de motif !

    Et là-dessus il approcha le papier de ses yeux et lut ce qui suit :

    « Mon cher Utterson,

    « Lorsque ce mot tombera entre vos mains, j’aurai disparu, d’une façon que je n’ai pas la clairvoyance de prévoir, mais mon instinct, comme la nature de la situation sans nom dans laquelle je me trouve, me disent que ma fin est assurée et qu’elle ne tardera plus. Adieu donc, et lisez d’abord le récit que Lanyon m’a promis de vous faire parvenir ; puis si vous désirez en savoir davantage passez à la confession de

    « Votre ami indigne et infortuné,

    « HENRY JEKYLL. »

    – Il y avait un troisième pli ? demanda Utterson.

    – Le voici, monsieur, répondit Poole.

    Et il lui tendit un paquet volumineux revêtu de plusieurs cachets.

    Le notaire le mit dans sa poche.

    – Je ne parlerai pas de ce papier. Que votre maître ait fui ou qu’il soit mort, nous pouvons du moins sauver sa réputation. Il est maintenant dix heures : je vais rentrer chez moi et lire en paix ces documents ; mais je serai de retour avant minuit, c’est alors que nous enverrons chercher la police.

    Ils sortirent, refermant à clef derrière eux la porte de l’amphithéâtre ; et Utterson, laissant encore une fois les serviteurs réunis autour du feu dans le vestibule, se rendit à son bureau pour lire les deux récits où il devait enfin trouver l’explication du mystère.

    Chapitre 9

    La narration du Dr Lanyon

    Le 9 janvier, il y a de cela quatre jours, je reçus par la distribution du soir une lettre recommandée, que m’adressait de sa main mon collègue et ancien camarade de classe, Henry Jekyll. J’en fus très surpris, car nous n’avions pas du tout l’habitude de correspondre ; je l’avais vu, j’avais même dîné avec lui, le soir précédent ; et je ne concevais dans nos rapports rien qui pût justifier la formalité de la recommandation. Le contenu de cette lettre augmenta ma surprise ; car voici ce qu’elle renfermait :

    « Le 10 décembre 18…

    « Mon cher Lanyon,

    « Vous êtes l’un de mes plus anciens amis ; et bien que nous puissions avoir différé parfois d’avis sur des questions scientifiques, je ne me rappelle, du moins de mon côté, aucune infraction à notre bonne entente. Il n’y a pas eu de jour où, si vous m’aviez dit : Jekyll, ma vie, mon honneur, ma raison, dépendent de vous, je n’eusse, pour vous sauver, sacrifié ma fortune, ou ma main gauche. Lanyon, ma vie, mon honneur, ma raison, tout cela est à votre merci : si vous ne venez à mon aide, cette nuit, je suis perdu. Vous pourriez supposer, après cet exorde, que je vais vous demander quelque chose de déshonorant. Jugez-en par vous-même.

    « Je désire que vous renonciez pour ce soir à tous autres engagements… fussiez-vous mandé au chevet d’un empereur ; que vous preniez un cab, à moins que vous n’ayez justement votre voiture à la porte ; et muni de cette lettre-ci comme référence, que vous vous fassiez conduire tout droit à mon domicile. Poole, mon maître d’hôtel, est prévenu ; vous le trouverez vous attendant avec un serrurier. Il vous faut alors faire crocheter la porte de mon cabinet, où vous entrerez seul ; vous ouvrirez la vitrine marquée E, à main gauche, en forçant la serrure au besoin si elle était fermée ; et vous y prendrez, avec son contenu tel quel, le quatrième tiroir à partir du haut, ou (ce qui revient au même) le troisième à partir du bas. Dans mon excessive angoisse, j’ai une peur maladive de vous mal renseigner ; mais même si je suis dans l’erreur, vous reconnaîtrez le bon tiroir à son contenu : des paquets de poudres, une fiole et un cahier de papier. Ce tiroir, je vous conjure de le rapporter avec vous à Cavendish Square exactement comme il se trouve.

    « Telle est la première partie du service ; passons à la seconde. Vous serez de retour, si vous vous mettez en route dès la réception de la présente, bien avant minuit, mais je tiens à vous laisser toute cette marge, non seulement dans la crainte d’un de ces obstacles qu’on ne peut ni empêcher ni prévoir, mais parce qu’il vaut mieux, pour ce qui vous restera à faire, choisir une heure où vos domestiques seront couchés. À minuit donc, je vous prierai de vous trouver seul dans votre cabinet de consultation, d’introduire vous-même chez vous un homme qui se présentera de ma part, et de lui remettre le tiroir que vous serez allé chercher dans mon cabinet.

    « Vous aurez alors joué votre rôle et mérité mon entière gratitude. En cinq minutes de plus, si vous insistez pour avoir une explication, vous aurez compris l’importance capitale de ces dispositions, et qu’il vous suffirait d’en négliger une seule, pour vous mettre sur la conscience ma mort ou le naufrage de ma raison.

    « Malgré ma certitude que vous ne prendrez pas cette requête à la légère, le cœur me manque et ma main

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