mon domaine, laissaient trop voir que nous étions plus près des larmes que du rire.
Nous arrivâmes sur la colline de Corstorphine, et quand nous fûmes près du lieu dit le Repos-bien-gagné, d’où l’on découvre les étangs de Corstorphine et au loin la ville avec son château sur la hauteur, nous fîmes halte, car nous comprîmes tacitement que c’était là où nos chemins divergeaient. Il me répéta encore une fois ce qui avait été convenu entre nous : l’adresse du notaire, l’heure à laquelle je pourrais trouver Alan chaque jour, et la façon dont devrait s’annoncer quiconque s’en viendrait vers lui. Je lui donnai ensuite tout l’argent que j’avais (deux ou trois guinées reçues de Rankeillor) afin qu’il ne mourût pas de faim dans l’intervalle, et nous restâmes un moment à regarder Édimbourg en silence.
– Allons, au revoir, dit Alan, qui me tendit sa main gauche.
– Au revoir, dis-je.
Et je donnai à sa main une légère pression, puis redescendis la côte.
Aucun de nous ne regarda l’autre en face, et aussi longtemps qu’il resta en vue je ne jetai pas un seul regard sur l’ami que je laissais derrière moi. Mais en me dirigeant vers la ville, je me sentis infiniment perdu et esseulé et dus résister à la tentation de m’asseoir au bord du fossé et de pleurer comme un enfant.
Il était près de midi lorsque je passai devant l’église de l’Ouest et le Marché-aux-Herbes pour pénétrer dans les rues de la capitale. La hauteur démesurée des bâtiments, élevés de dix à quinze étages, les étroites voûtes d’entrées qui vomissaient à chaque instant du monde, les marchandises aux étalages des boutiques, la circulation et la rumeur incessantes, les mauvaises odeurs et les beaux habits, et cent autres détails trop infimes pour les mentionner, me frappaient d’une sorte d’hébétude, au point que je laissais la foule m’emporter de çà de là ; mais tout le temps je ne cessais de penser à Alan, resté là-bas au Repos-bien-gagné, et tout le temps (bien qu’on dût me croire plutôt enchanté de ces belles choses et de leur nouveauté), le remords, eût-on dit, comme d’une mauvaise action me rongeait le cœur, telle une dent de glace.
La main de la Providence conduisit ma dérive, et je me trouvai aux portes de la Société des Lins Britanniques.
NOTE DU TRADUCTEUR
Ainsi se termine, de façon en apparence quelque peu abrupte, l’ouvrage de Robert Louis Stevenson qui porte en anglais le titre de Kidnapped !
Sans le scrupuleux respect du texte que j’ai toujours observé à l’égard du Maître écossais et dont je ne puis me départir ici plus qu’ailleurs, il eût été facile de modifier le dernier chapitre et d’adapter la fin du volume aux habitudes courantes du lecteur français. Quelques pages auraient suffi, pour montrer David Balfour accueilli à la banque avec les honneurs dus à son rang et remis en possession de sa fortune, tandis que l’ami Alan était embarqué à prix d’or et passé en sûreté de l’autre côté de l’eau.
Mais le respect de Stevenson n’est pas seul en cause, et un autre motif m’a encore engagé à donner ce chapitre tel quel. Les pages que je viens d’esquisser en un sec schéma, l’auteur lui-même les a écrites, avec sa magie coutumière… Seulement, cette « conclusion » forme le début d’un autre livre ; car, à peine sorti de la banque, David Balfour va entrevoir l’aimable Catriona, fille d’un chef highlander proscrit, et cette simple rencontre remet tout en cause. Être un riche « laird » terrien ne compte pas, devant l’amour qui naît. L’entrée en possession de l’héritage et du titre n’est plus de la sorte un dénouement, mais bien un point de départ nouveau : l’intérêt rebondit… et les admirateurs de Stevenson – tous ceux donc qui viennent de lire le présent volume – ne peuvent manquer d’aller chercher la continuation des Aventures de David Balfour dans Catriona publié dans la même collection. Avec quantité d’épisodes passionnants, amoureux ou terribles, où reparaît en premier plan la curieuse et attachante figure d’Alan, on y trouvera, comme l’annonce le sous-titre :
« Les tribulations de David Balfour relatives à l’assassinat d’Appin ; ses démêlés avec le lord Avocat-Général Grant ; sa captivité sur la Roche de Bass ; son voyage en Hollande et en France ; plus ses rapports singuliers avec James More Drummond ou Mac Gregor, fils du fameux Rob Roy, et avec sa fille Catriona, – le tout écrit par lui-même et mis aujourd’hui en lumière par Robert Louis Stevenson. »
T. V.
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Septembre 2007
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Notes de bas de page
Titre du lord, en Écosse.
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Le covenant (1637) était l’acte d’association par lequel les presbytériens s’engageaient à repousser les tentatives de Charles Ier pour introduire en Écosse le rite anglican.
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Kidnapped or trepanned.
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Éclairage des phares d’Angleterre, au XVIIIème siècle.
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Carbonadoed.
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Whig ou whigamore était un terme familier pour désigner ceux qui étaient attachés au roi George (R. L. S.).
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Petite embarcation employée pour la pêche (R. L. S.). À peu près notre « lougre ».
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Ou deuxième insurrection « jacobite » (1745-47), en faveur du prétendant Jacques-Édouard Stuart, exclu du trône par la révolution de 1688.
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Formée après la première insurrection des jacobites écossais (1715-1716).
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George II(1727-1760) ; la reine Caroline, son épouse, princesse allemande ; le duc de Cumberland, leur ministre, mérita son surnom par son effroyable cruauté, à la bataille de Culloden (27 avril 1746) où fut écrasée la deuxième insurrection jacobite.
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Ou plus exactement Preston, à 12 kilomètres à l’Est d’Édimbourg, où Charles-Édouard, fils aîné du Prétendant, à la tête des montagnards écossais, battit les troupes royales, le 2 octobre 1745.
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Les firths sont des golfes étroits et profonds, analogues aux fjords de Norvège, qui indentent le littoral de l’Écosse Dans le nord de ce pays, on les appelle lochs.
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L’étoffe dite « écossais », à carreaux.
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Le jupon court des highlanders.
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La « claymore », espèce de sabre particulière à l’Écosse.
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Buckies, vu leur forme de cornes, sans doute.
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Ou kilt, jupon court des montagnards écossais.
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Espèce de chaussure grossière, généralement en peau de daim, propre aux Highlanders.
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« Lochaber, je ne te verrai plus », chant populaire en Écosse.
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Ce terme désigne, en Écosse, aussi bien un lac qu’un bras de mer étroit et allongé (firth, clans le Sud).
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Cri de ralliement des Campbells (R. L. S.).
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En celtique : Vallée des larmes, où Mac-Jan de Glencoe et sa tribu, au nombre de 50, furent massacrés en trahison par ordre du capitaine Campbell, le 13 janvier 1692, sous le règne de Guillaume III.
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Bouillie cuite, généralement de farine d’avoine.
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Birstle.
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Sorte de fricandeau de venaison.
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Terme générique désignant aussi bien une rivière, un torrent que leur vallée.
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Fleuve dont l’embouchure forme le golfe considérable du Firth of Forth.
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La musette écossaise.
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Le golfe profond, embouchure dudit fleuve.
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Charlie is my darling, chanson jacobite.
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Ne pas faire commencer la guerre de Troie à l’œuf de Léda.
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Au cœur du sujet.
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Je l’ai été et ne le suis plus.
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C’est-à-dire environ 1 fr. 25 (1886), au pair, tandis que la livre anglaise (livre sterling) valait 25 francs de la même époque.
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Imberbe jouvenceau libre de gardien.
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Quel pays au monde.
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Il fut un compagnon de route.
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Il vous emboîta le pas avec des soucis égaux.
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Je te déteste, Sabellus, parce que tu es beau garçon (Catulle).
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Tout en pleurs.
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Chantons de plus hauts sujets (Virgile).
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Un nœud justifiant la vengeance.
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On rappelle que le droit d’aînesse est toujours en vigueur dans le Royaume-Uni.
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Le duc d’Argyll (R. L. S.)
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La guinée valant 21 shillings et la livre sterling 20, ce reste des 40 livres faisait 23 shillings de 1886.
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Je crains les dieux capables de nuire.
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Sorte de poignard.
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Johnnie Raw.
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« Tout-doux » et « jolie-fleur », à peu près pour : Hoseason et Balfour.
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C’est ainsi que je rendrai le lawyer anglais, sans équivalent réel en français.
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