de moi ; et je ne fus plus que malade, triste, hagard, et m’étonnant de moi-même. J’aurais donné tout au monde pour reprendre ce que j’avais dit ; mais, une parole une fois lâchée, qui peut la rattraper ? Je me rappelai toute la bonté et le courage passés d’Alan, comment il m’avait aidé, ranimé et soutenu durant nos mauvais jours ; et puis mes insultes me revinrent, et je vis que j’avais perdu pour jamais cet ami si dévoué. En même temps, le malaise qui pesait sur moi me parut redoubler, et ma douleur au côté devint aiguë comme un glaive. Je pensai m’évanouir sur place.
Alors, il me vint une idée. Nulle excuse ne pouvait effacer ce que j’avais dit ; inutile d’y songer, aucune ne couvrirait l’offense ; mais là où une excuse était vaine, un simple cri d’appel au secours était capable de me ramener Alan. J’abdiquai mon amour-propre :
– Alan ! dis-je ; si vous ne me secourez pas, je vais mourir ici même. Il se dressa d’un bond, et me regarda.
– C’est la vérité, repris-je. J’en suis à ce point. Oh ! être sous un toit… j’y mourrais plus content.
Je n’avais pas à jouer la comédie ; que je le voulusse ou non, je parlais d’une voix larmoyante capable d’attendrir un cœur de pierre.
– Pouvez-vous marcher ? demanda Alan.
– Non, dis-je, pas tout seul. Cette dernière heure, mes jambes faiblissaient sous moi ; j’ai au côté un point pareil à un fer rouge ; je respire à peine. Si je meurs, me pardonnerez-vous, Alan ? Au fond du cœur, je vous aimais toujours… même quand j’étais le plus en colère.
– Chut ! chut ! dit Alan. Ne dites pas cela ! David, mon ami, vous savez bien… (Il ravala un sanglot). – Je vais vous passer mon bras autour de la taille, continua-t-il, oui, c’est cela même qu’il faut faire ! Maintenant, appuyez-vous sur moi, fort. Dieu sait où il y a une habitation ! Nous sommes en Balquhidder, pourtant ; il n’y doit pas manquer de maisons, ni voire de maisons amies… Cela va-t-il mieux comme ça, David ?
– Oui, dis-je, je peux marcher ainsi ; et je pressai son bras de ma main.
Il faillit de nouveau sangloter.
– David, dit-il, je suis un très méchant homme ; je n’ai ni raison ni bonté ; j’avais oublié que vous n’étiez qu’un enfant ; je ne voyais pas que vous alliez mourir tout debout. David, vous tâcherez de me pardonner, n’est-ce pas ?
– Oh ! ami, ne parlons plus de cela ! dis-je. Nous n’avons ni l’un ni l’autre à nous faire de reproches, voilà tout. Il nous faut souffrir et supporter, ami Alan… Oh ! mais que mon point me fait mal ! N’y a-t-il pas de maison quelque part ?
– Je vous trouverai une maison. David, dit-il avec force. Nous allons descendre ce ravin ; il doit à coup sûr s’y trouver des maisons. Mon pauvre petit, ne seriez-vous pas mieux sur mon dos ?
– Oh ! Alan ! dis-je ; avec mes douze bons pouces de plus que vous !
– Pas tant que cela, s’écria-t-il, avec un sursaut. Peut-être l’affaire d’un pouce ou deux… Je ne veux pas dire toutefois que je suis réellement ce qu’on appelle un homme grand… Et après tout, ajouta-t-il, en baissant le ton d’une manière risible, quand j’y réfléchis, je crois que vous pourriez avoir raison… Oui, ce peut être un pied, ou pas loin… ou même davantage, peut-être, qui sait !
Il était délicieusement drôle d’entendre Alan ravaler ses mots par crainte d’une nouvelle dispute. J’aurais ri, si mon point ne m’en eût empêché ; mais si j’avais ri, je pense que j’aurais pleuré en même temps.
– Alan ! m’écriai-je, pourquoi êtes-vous si bon avec moi ? Pourquoi vous souciez-vous d’un si ingrat individu ?
– Ma foi, je ne sais, dit Alan. Car je me figurais précisément vous aimer à cause que vous ne vous disputiez jamais… et voilà qu’à présent je vous en aime davantage !
En Balquhidder
À la porte de la première maison que nous rencontrâmes, Alan frappa, geste qui était peu sûr dans une telle région des Highlands, que les Bruyères de Balquhidder. Nul grand clan n’y prédominait ; rien qu’une foule de petites branches et de débris sans cohésion, et ce qu’on nomme « des gens sans chef », refoulés par l’avance des Campbells dans le pays sauvage qui s’étend vers les sources du Forth et de la Teith. Il s’y trouvait et des Stewarts et des Maclarens, ce qui revenait au même, car les Maclarens suivaient à la guerre le chef d’Appin et ne faisaient qu’un avec ce dernier clan. Beaucoup aussi appartenaient à ce vieux clan proscrit et sans nom des Macgregors à tête rouge. Ils avaient toujours été mal vus, et alors pis que jamais, car ils se trouvaient isolés de tous les partis et factions de l’Écosse entière. Leur chef, Macgregor de Macgregor, était en exil ; son plus immédiat successeur pour cette partie du clan habitant Balquhidder, James More, le fils aîné de Rob Roy, était prisonnier dans le château d’Édimbourg, et attendait son procès, ils étaient en dissension avec Hautes et Basses-Terres, avec les Grahames, les Maclarens et les Stewarts ; et Alan, qui embrassait la querelle de tout ami, voire éloigné, désirait vivement les éviter.
Le hasard nous favorisa, car la maison que nous rencontrâmes appartenait aux Maclarens. Alan y fut non seulement le bienvenu à cause de son nom, mais on l’y connaissait de réputation. On me mit au lit sans plus tarder, et un docteur fut mandé, qui me trouva dans un bien triste état. Était-ce un bon docteur, ou faut-il l’attribuer à ma robuste jeunesse, – mais je ne fus alité qu’une semaine, et, dès la fin du mois, j’étais tout disposé à reprendre la route.
Cependant mon ami refusa de m’abandonner, malgré toutes mes instances ; et à vrai dire, la témérité de son séjour prolongé faisait un sujet d’étonnement pour les deux ou trois amis qui étaient dans le secret. Il se cachait de jour dans un creux de bruyère, sous un petit bois ; et de nuit, quand la voie était libre, il venait me rendre visite dans la maison. Inutile de dire que j’étais heureux de le voir ; notre hôtesse, Mme Maclaren, n’estimait rien de trop bon pour un tel hôte ; et comme Duncan Dhu (c’était le nom de notre hôte) possédait chez lui une cornemuse, et qu’il aimait beaucoup la musique, ma convalescence fut pour ainsi dire une longue fête, et nous avions pris l’habitude de faire de la nuit le jour.
Les soldats nous laissaient tranquilles ; une seule fois, une colonne de deux compagnies et quelques dragons passa dans le bas de la vallée, où je pus les percevoir de mon lit, par la fenêtre. Le plus étonnant, c’est qu’aucun magistrat ne vint m’interroger, et qu’on ne me posa aucune question sur l’endroit d’où je venais ni celui où j’allais ; et en ces temps agités, on ne s’inquiéta pas plus de moi que si j’avais été dans le désert. Pourtant, bien avant mon départ, ma présence était connue de tous les habitants de Balquhidder et des hameaux avoisinants ; beaucoup venaient me voir, et ceux-ci (à la mode du pays) communiquaient les nouvelles à leurs voisins. Les affiches, d’ailleurs, avaient été imprimées. Il y en avait une d’épinglée au pied de mon lit, où je pouvais lire mon propre portrait, si peu flatteur, et, en gros caractères, le prix du sang auquel était estimée ma vie. Duncan Dhu, avec tous ceux au courant de mon arrivée en compagnie d’Alan, ne pouvaient garder aucun doute sur ma personnalité ; et les autres avaient certainement leurs soupçons. Car j’avais bien pu changer de vêtements, mais non d’âge et de figure ; et les garçons des Basses-Terres âgés de dix-huit ans n’étaient pas si communs dans cette partie du monde, et surtout dans ces temps-là, pour qu’on pût manquer d’établir un lien entre les choses, et de me retrouver sur l’affiche. C’était bien le cas, du reste. Ailleurs, on garde un secret entre deux ou trois amis intimes, et quelquefois il transpire ; mais chez ces membres de clan, un secret dit à toute une région sera gardé tout un siècle.
Il n’arriva qu’un incident digne d’être mentionné ; ce fut la visite que je reçus de Robin Oig, l’un des fils du notoire Rob Roy. On le recherchait de tous côtés sous l’inculpation d’avoir enlevé une jeune femme de Balfron et de l’avoir épousée (affirmait-on) de force. Il ne s’en promenait pas moins dans Balquhidder, à l’instar d’un gentilhomme entre les quatre murs de sa propriété. C’était lui qui avait tué James Maclaren aux brancards de sa charrue, et la querelle n’était pas vidée ; néanmoins il pénétrait sous le toit de ses ennemis comme un voyageur de commerce entre dans une auberge publique.
Duncan eut le temps de me glisser le nom du visiteur ; et nous nous entre-regardâmes avec inquiétude. Il faut savoir que l’heure approchait de la venue d’Alan ; il était peu probable que l’un et l’autre se convinssent ; et toutefois si nous cherchions à l’avertir ou à lui faire un signe, nous ne manquerions pas de mettre sur ses gardes un homme aussi compromis que le Macgregor.
Il déploya en entrant beaucoup de politesse, mais comme s’il les adressait à des inférieurs ; il tira son bonnet à Mme Maclaren, mais le renfonça sur sa tête pour parler à Duncan ; puis, ayant ainsi bien établi les distances (croyait-il) il s’approcha de mon lit et s’inclina.
– On