récompense pour votre capture ; oui, je le devrai, moi ! C’est un singulier procédé à employer entre d’aussi bons amis que nous ; mais si je suis rendu responsable de cet affreux malheur, il me faudra me défendre, ami. Le comprenez-vous ?
Il parlait avec une vivacité plaintive, et tenait Alan par le revers de son habit.
– Oui, dit Alan, je le comprends.
– Et il vous faudra quitter le pays, Alan, – oui, et l’Écosse aussi, – vous et votre ami des Basses-Terres également. Car il me faudra faire afficher votre ami des Basses-Terres. Vous le comprenez, Alan, dites que vous le comprenez !
Je crus voir Alan rougir un peu.
– C’est un coup singulièrement rude pour moi qui l’ai amené ici, James, dit-il en rejetant la tête en arrière. – Cela équivaut presque à faire de moi un traître.
– Mais, Alan mon ami ! s’écria James, regardez les choses en face. Il sera affiché de toute façon ; Mungo Campbell ne manquera pas de le faire ; qu’importe si je l’affiche aussi ? Et puis, Alan, je suis chargé de famille.
Il y eut une courte pause ; après quoi il ajouta :
– Et d’ailleurs, Alan, ce sera un jury de Campbells.
– Il y a ceci de bon, dit Alan d’un air pensif, que personne ne sait son nom.
– Et personne ne le saura, Alan ! Je vous en donne ma parole, s’écria James, exactement comme s’il eût en effet connu mon nom et renoncé à un avantage. – Mais seulement quel costume il avait, de quoi il avait l’air, et son âge, et cætera. Je ne puis faire moins.
– Le fils de votre père m’étonne, s’écria Alan avec sévérité. Serait-ce pour le vendre que vous faites un cadeau à ce garçon ? Est-ce pour le livrer ensuite que vous lui avez changé ses habits ?
– Non, non, Alan, dit James. Non, non : le costume qu’il a retiré, – les habits dans lesquels l’a vu Mungo.
Mais il me parut légèrement interdit ; car il se rattachait au moindre fétu, et ne cessait tout le temps, je crois bien, de voir les faces de ses ennemis héréditaires siégeant au tribunal et sur le banc des jurés, avec le gibet à l’arrière-plan.
– Eh bien, monsieur, me dit Alan, que dites-vous de tout cela ? Vous êtes ici sous la sauvegarde de mon honneur, et c’est mon rôle de veiller à ce que rien ne soit fait que ce qui vous plaira.
– Je n’ai qu’un simple mot à dire, répliquai-je, car je suis parfaitement étranger à cette discussion. Mais le vulgaire bon sens nous ordonne de rejeter la responsabilité sur celui à qui elle incombe, c’est-à-dire, dans le cas présent, sur l’homme qui a tué. Affichez-le, comme vous dites, dirigez sur lui le pourchas ; et que d’honnêtes et innocents individus puissent se montrer sans crainte.
Mais à cette proposition, Alan et James se récrièrent d’horreur, m’adjurant de tenir ma langue ; il n’y avait pas à y songer, ajoutèrent-ils ; car que diraient les Camerons ? (ceci me confirma dans l’idée qu’un Cameron avait sans doute fait le coup), et ne voyais-je donc pas que le garçon pourrait être pris ? – « Vous n’y pensiez sûrement pas ? » conclurent-ils, avec un sérieux si ingénu que les bras m’en tombèrent et que je désespérai de les convaincre.
– Très bien donc, dis-je, affichez-moi si cela vous amuse, affichez Alan, affichez le roi George ! Nous sommes tous les trois innocents, et il paraît que c’est justement ce qu’il vous faut. Mais en tout cas, monsieur, dis-je à James, me ressaisissant après ce léger accès d’humeur, je suis l’ami d’Alan, et si je puis être utile à ses amis, je ne renâclerai pas devant le danger.
Je crus d’autant plus opportun de céder de bonne grâce que je voyais le trouble d’Alan ; et de plus (me disais-je en moi-même) sitôt que j’aurais le dos tourné, ils ne manqueraient pas de m’afficher, comme ils parlaient, que j’y consentisse ou non. Mais sur ce point je vis que je me trompais ; car je n’eus pas plus tôt achevé ma phrase que, d’un bond, Mme Stewart se levait de son fauteuil, courait à nous, et venait pleurer d’abord sur mon épaule, puis sur celle d’Alan, remerciant Dieu de notre bonté envers sa famille.
– Quant à vous, Alan, ce n’était rien que votre devoir strict, dit-elle. Mais pour ce garçon qui, en arrivant ici, nous a vus sous un aussi triste jour, et a vu le père faire figure de solliciteur, lui qui aurait plutôt le droit de commander à l’instar d’un roi, – pour vous, mon garçon, reprit-elle, j’ai le cœur navré de ne pas savoir votre nom, mais je me rappelle vos traits ; et aussi longtemps que mon cœur battra dans ma poitrine, je ne cesserai de penser à vous et de vous bénir.
Et là-dessus elle m’embrassa et de nouveau éclata en sanglots, au point que j’en demeurai confus.
– Allons, allons, dit Alan, d’un air un peu sot. Le jour vient de très bonne heure en ce mois de juillet ; et demain il y aura un joli remue-ménage en Appin, une jolie cavalcade de dragons, et on criera : « Cruachan[28] » et les habits-rouges courront ; cela doit nous engager, vous et moi, à partir au plus vite.
On se sépara donc, et nous nous remîmes en route, appuyant un peu à l’est, par une belle nuit douce et obscure, et à travers le même pays accidenté que précédemment.
La fuite dans la bruyère :
les rocs
Nous marchions et nous courions alternativement ; et à mesure que le matin approchait, nous marchions moins souvent et courions davantage. Bien que le pays semblât, à première vue, un désert, il s’y trouvait des cabanes et des chaumières habitées. Nous dûmes passer à côté d’au moins vingt d’entre elles, nichées aux lieux les plus secrets des montagnes. En arrivant à l’une de ces maisons, Alan me laissa sur la route et alla lui-même heurter au mur et parler un moment à la fenêtre avec le dormeur qu’il avait réveillé. C’était afin de communiquer les nouvelles ; et la chose était, dans ce pays, si bien considérée comme un devoir, qu’Alan dut faire halte et s’en acquitter au cours même de sa fuite pour la vie ; et chacun s’en acquittait si bien que dans plus de la moitié des logis où il s’adressa, on était déjà au courant du meurtre. Dans les autres, autant que je pus comprendre (car je restais à distance et l’on parlait une langue étrangère), la nouvelle était reçue avec plus de consternation que d’étonnement.
En dépit de notre hâte, le jour pointait, que nous étions encore loin de tout asile. Il nous trouva dans une vallée fantastique, parsemée de rochers, où courait une rivière torrentueuse. Des montagnes farouches l’encaissaient ; il n’y venait ni herbes ni arbres ; et j’ai souvent imaginé, depuis, que cette vallée pouvait bien être celle de Glencoe[29], où eut lieu le massacre au temps du roi Guillaume. Mais quant au détail de notre itinéraire, je l’ignore absolument ; notre chemin suivait tantôt des raccourcis, tantôt de grands détours ; notre allure était précipitée, nous voyagions surtout de nuit ; et les noms de lieux par lesquels on répondait à mes questions étant en gaélique, je les ai oubliés depuis longtemps.
Les premières lueurs du matin, donc, nous découvrirent cet affreux paysage, et je vis le front d’Alan se plisser.
– Ce n’est pas l’endroit qui nous convient, me dit-il. On viendra forcément par ici.
Et il se mit à courir plus vite jusqu’au bord de l’eau, en un point où la rivière était coupée en deux bras par trois rochers. Elle se précipitait avec un épouvantable bruit de tonnerre qui me résonnait dans le ventre ; et un nuage d’embrun flottait sur le courant. Sans regarder ni à droite ni à gauche, Alan s’élança d’un bond sur le rocher du milieu, s’y laissa retomber à quatre pattes pour se retenir, car le rocher n’était pas large, et il aurait pu facilement passer par-dessus. Je n’avais pas encore eu le loisir d’évaluer la distance ou de comprendre le danger, que je l’avais suivi, et qu’il m’avait empoigné et arrêté.
Nous étions donc là, côte à côte sur un étroit rocher tout glissant d’embrun ; il nous restait un bras encore plus large à sauter, et la rivière mugissait tout alentour de nous. Quand je me vis là, une affreuse nausée de crainte m’envahit, et je me cachai les yeux, de la main. Alan me secoua ; je le voyais parler, mais le bruit du rapide et le trouble de mon esprit m’empêchaient de l’entendre ; je m’aperçus toutefois que son visage rougissait de colère, et qu’il frappait du pied le rocher. Le même coup d’œil me montra les eaux profondes, et l’embrun suspendu dans l’air ; aussi je me voilai de nouveau la face, en frissonnant.
L’instant d’après, Alan m’avait mis aux lèvres la gourde d’eau-de-vie et il m’obligeait d’en boire la valeur d’un gobelet, ce qui me fit remonter le sang au cerveau. Puis, se faisant un porte-voix de ses mains qu’il appliqua contre mon oreille, il cria : « Pendu ou noyé ! » et, me tournant le dos, il sauta par-dessus le deuxième bras du courant, et prit terre sans encombre.
J’étais alors sur le rocher, ce qui me laissait plus de place ; l’eau-de-vie chantait à mes oreilles ; j’avais encore sous les yeux ce bon exemple, et juste assez de raison pour discerner que si je ne sautais pas sans retard, je ne sauterais pas du tout. Je fléchis sur mes