Titre de l’édition originale
Fifty Shades Darker
Publiée par the Writer’s Coffee Shop Publishing House,
Australie, 2011
Couverture : Atelier Didier Thimonier, d’après le design de Jennifer McGuire
Illustration : © E. Spek/Dreamstime.com
© Fifty Shades Ltd, 2011.
L’auteur a publié précédemment sur Internet Master of the Universe, une version en feuilleton de cette histoire, avec d’autres personnages, sous le pseudonyme Snowqueen’s Icedragon.
Tous droits réservés.
© 2013, éditions Jean-Claude Lattès pour la traduction française.
(Première édition janvier 2013.)
ISBN : 978-2-7096-41937
Du même auteur
Cinquante nuances de Grey, Lattès, 2012.
www.editions-jclattes.fr
Pour Z et J
Avec mon amour inconditionnel, pour toujours
Prologue
Il est revenu. Maman dort ou bien elle est de nouveau malade.
Je me recroqueville sous la table de la cuisine pour me cacher. Je vois maman à travers mes doigts. Elle est endormie sur le canapé. Sa main repose sur le tapis vert poisseux, et lui porte ses grosses bottes avec la boucle qui brille. Il crie sur maman en se tenant au-dessus d’elle.
Il la frappe avec un ceinturon. Debout ! Debout ! Tu n’es qu’une traînée défoncée. Tu n’es qu’une traînée défoncée. Tu n’es qu’une traînée défoncée. Tu n’es qu’une traînée défoncée. Tu n’es qu’une traînée défoncée. Tu n’es qu’une traînée défoncée.
Maman sanglote. Arrête. Je t’en prie, arrête. Maman ne crie pas. Maman se met en boule.
Je me bouche les oreilles et je ferme les yeux. Le bruit cesse.
Il se tourne et je vois ses bottes lorsqu’il entre en tapant des pieds dans la cuisine. Il a toujours le ceinturon. Il me cherche.
Il s’accroupit en souriant. Il sent mauvais. Il pue la cigarette et l’alcool. Te voilà, petit merdeux.
Il se réveille dans un gémissement effrayant. Seigneur ! Il est trempé de sueur et son cœur bat à tout rompre. Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ? Assis droit dans le lit, il se prend la tête dans les mains. Bordel. Ils sont de retour. Ce bruit, c’était moi. Il inspire profondément pour se calmer et s’efforce de vider son esprit et ses narines de l’odeur du bourbon bas de gamme et de la puanteur froide des Camel.
1.
J’ai survécu au Troisième Jour Après Christian et à mon premier jour au bureau. Toute distraction a été bienvenue. Le temps a filé dans une brume de nouveaux visages, de nouvelles tâches à accomplir, et de M. Jack Hyde. M. Jack Hyde… Il se penche au-dessus de moi en souriant. Il est appuyé contre mon bureau et ses yeux bleus brillent.
— Excellent travail, Ana. Je pense que nous allons former une bonne équipe.
Je ne sais comment je parviens à esquisser un semblant de sourire.
— Je vais y aller, si vous êtes d’accord, je murmure.
— Bien sûr, il est 17 h 30. On se voit demain.
— Bonne soirée, Jack.
— Bonne soirée, Ana.
Je ramasse mon sac à main, j’enfile ma veste dans un haussement d’épaules et je me dirige vers la porte. Dehors, je prends une profonde inspiration de l’air du soir de Seattle. Cela ne comble en rien le vide dans ma poitrine, un vide qui s’est installé depuis samedi matin, un creux douloureux qui me rappelle ce que j’ai perdu. Je marche vers l’arrêt de bus, tête baissée, les yeux rivés à mes pieds, en songeant au fait que je ne peux plus utiliser ma Wanda adorée, ma vieille Coccinelle… ou l’Audi.
Je claque aussitôt la porte sur cette pensée. Non. Ne pense pas à lui. Bien sûr, je peux me payer une voiture – une belle voiture neuve. Je le soupçonne d’avoir été trop généreux dans son paiement et cette idée me laisse un goût amer dans la bouche, mais je m’en débarrasse très vite et m’efforce de garder mon esprit aussi engourdi et vide que possible. Il ne faut pas que je pense à lui. Je n’ai aucune envie de me remettre à pleurer – pas dans la rue.
L’appartement est vide. Kate me manque, je l’imagine allongée sur une plage de la Barbarde en train de siroter un cocktail frais. J’allume le téléviseur à écran plat pour que le bruit remplisse le vide et me procure un semblant de compagnie. Mais je n’écoute pas ni ne regarde. Assise, je fixe le mur de briques d’un air absent. Je suis hébétée. Je ne ressens rien d’autre que la douleur. Combien de temps me faudra-t-il endurer cet état ?
La sonnette de la porte qui retentit me tire de mon angoisse et mon cœur marque un arrêt. Qui cela peut-il bien être ? J’appuie sur le bouton de l’interphone.
— Livraison pour Mlle Steele, m’annonce une voix lasse et désincarnée.
La déception s’abat sur moi. Je descends sans enthousiasme au rez-de-chaussée. Un jeune homme mâchonnant bruyamment un chewing-gum est appuyé contre la porte d’entrée et tient une grande boîte en carton. Je signe et j’emporte le paquet à l’étage. La boîte est énorme et étonnamment légère. Elle contient deux douzaines de roses blanches et une carte.
Félicitations pour ton premier jour de travail.
J’espère que ta journée s’est bien passée.
Et merci pour le planeur. C’était une charmante attention.
Il trône fièrement sur mon bureau.
Christian
J’examine la carte dactylographiée et le creux dans ma poitrine s’agrandit. Aucun doute, c’est son assistante qui s’est chargée de cet envoi. Christian n’a certainement rien à voir avec cette délicatesse. C’est trop douloureux d’y penser. J’examine les roses – elles sont magnifiques et je ne peux me résoudre à les jeter à la poubelle. Je vais chercher un vase à la cuisine.
C’est ainsi qu’une routine se met en place : se réveiller, aller travailler, pleurer, dormir. Enfin, essayer de dormir. Je ne peux même pas lui échapper dans mes rêves. Son regard gris brûlant, son air perdu, ses cheveux cuivrés, tout en lui me hante. Et la musique… toute cette musique – je ne la supporte plus. Je prends bien soin de l’éviter à tout prix. Même les jingles des publicités me donnent le frisson.
Je n’en ai parlé à personne, pas même à ma mère ou à Ray. Je n’ai pas la force de discuter pour le moment. Non, je ne veux pas de ça. Je suis devenue une sorte d’État insulaire, un territoire ravagé et déchiré par la guerre où rien ne pousse et où l’horizon est désolé. Voilà, c’est moi. Je peux être en interaction avec les autres au travail, mais ça s’arrête là. Si je parle à maman, je sais que je me briserai davantage – et il ne reste plus rien à briser en moi.
Manger m’est difficile. Au déjeuner, mercredi, je parviens à ingurgiter un yaourt et c’est la première fois que je m’alimente depuis vendredi. Je survis grâce à une toute récente tolérance aux latte et au Coca Light. Je tiens grâce à la caféine, mais je suis tendue.
Jack a commencé à me tourner autour. Il me pose des questions personnelles. Il m’agace. Qu’est-ce qu’il veut ? Je reste polie mais je dois le garder à distance.
Je m’assois et j’entreprends de traiter une pile de courriers qui lui sont adressés, ravie de la distraction apportée par cette basse besogne. Ma boîte mail m’annonce l’arrivée d’un nouveau message et je vérifie aussitôt de qui il provient.
Bordel. Un message de Christian. Oh non, pas ici… pas au bureau.
De : Christian Grey
Objet : Demain
Date : 8 juin 2011 14:05
À : Anastasia Steele
Chère Anastasia,
Pardonne-moi cette intrusion à ton travail. J’espère que cela se passe bien. As-tu reçu mes fleurs ?
Je constate que le vernissage de l’exposition de ton ami a lieu demain. Je suis certain que tu n’as pas eu le temps de t’acheter une voiture, et c’est assez loin. Je serais plus qu’heureux de t’accompagner – si tu le souhaites.
Tiens-moi au courant.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holding, Inc.
Mes yeux s’emplissent de larmes. Je quitte mon bureau à la hâte pour me précipiter aux toilettes où je me réfugie dans une des cabines. L’exposition de José. Je lui avais promis d’être là et j’ai complètement oublié. Merde, Christian a raison : comment vais-je y aller ?
Je prends mon front dans mes mains. Pourquoi José n’a-t-il pas téléphoné ? Maintenant que j’y pense, pourquoi personne ne m’a appelée ? J’avais tellement la tête ailleurs que je ne me suis même pas étonnée du silence de mon portable.
Merde ! Quelle idiote ! J’ai laissé le programme de renvoi d’appel vers le BlackBerry. Quel bordel. Christian doit recevoir mes appels – à moins qu’il n’ait balancé le BlackBerry. Comment s’est-il procuré mon adresse de messagerie ?
Il connaît bien ma pointure, une adresse de messagerie électronique n’a pas dû lui poser de problèmes.
Suis-je capable de le revoir ? Pourrai-je le supporter ? Ai-je envie de le voir ? Les yeux clos, je rejette la tête en arrière tandis que le chagrin et le désir me transpercent. Bien sûr que j’en ai envie.
Peut-être – peut-être puis-je lui dire que j’ai changé d’avis… Non, non, non. Je ne peux pas sortir avec un homme qui prend du plaisir à me faire souffrir, un homme qui est incapable de m’aimer.
Des souvenirs pénibles traversent mon esprit : le vol en planeur, nos mains qui se tiennent, les baisers, la baignoire, sa douceur, son humour et son regard sombre, menaçant et sexy. Il me manque. Cela fait cinq jours,