hâte et blancs de leurs chutes dans la neige.
Cela dura longtemps, avant que cette grande invasion de la ville par le port fût terminée ; et longtemps encore, avant que le silence fût restauré. Longtemps on entendit des matelots perdus qui battaient la ville en criant dans toutes les directions et dans tous les quartiers. Il y eut des querelles quelquefois entre eux, quelquefois avec des patrouilles, les couteaux furent tirés, des coups donnés et reçus, et plus d’un cadavre resta sur la neige.
Quand, une grande heure plus tard, le dernier matelot retourna en grommelant vers le port et sa taverne favorite, on peut se demander s’il avait jamais su quelle espèce d’homme il avait poursuivi, mais ce qui était absolument sûr, c’est qu’il l’avait oublié. Le matin suivant, bien des histoires étranges circulèrent, et, un peu plus tard, après, la légende d’une visite nocturne du diable devint un article de foi pour tous les garçons de Shoreby.
Mais le retour du dernier matelot ne permit pas encore au jeune Shelton de quitter sa froide prison dans l’embrasure de la porte.
Pendant quelque temps, il y eut une grande activité de patrouilles, et des troupes furent spécialement envoyées pour faire le tour de la place, et rendre compte à l’un ou l’autre des grands seigneurs dont le sommeil avait été troublé d’une façon inusitée.
La nuit était déjà bien avancée quand Dick s’aventura hors de sa cachette et arriva, sain et sauf, mais endolori par le froid et les coups, à la porte de « La Chèvre et la Musette ». Comme l’exigeait la loi, il n’y avait ni feu, ni lumière dans la maison ; mais il trouva son chemin en tâtonnant jusqu’à un coin de la chambre glacée des voyageurs, attrapa un bout de couverture qu’il attacha autour de ses épaules, et, se glissant contre le plus proche dormeur, il fut bientôt profondément endormi.
LIVRE V
LE BOSSU
CHAPITRE PREMIER
LA TROMPETTE PERÇANTE
De très bonne heure le lendemain matin, avant la première pointe du jour, Dick se leva, changea de vêtements, s’arma de nouveau comme un gentilhomme, et se mit en route pour la caverne de Lawless dans la forêt. On se souvient que c’est là qu’il avait laissé les papiers de lord Foxham ; aller les reprendre et être de retour à temps pour le rendez-vous avec le jeune duc de Gloucester ne pouvait se faire qu’en partant tôt et marchant bien.
Le froid était plus rigoureux que jamais, l’air, sans vent et sec, vous pinçait les narines. La lune était couchée, mais les étoiles étaient toujours brillantes et nombreuses, et le reflet de la neige était clair et joyeux. Il n’était pas besoin de lanterne pour marcher, et, avec cet air tranquille et sonore, on n’avait pas la moindre tentation de flâner.
Dick avait traversé la plus grande partie du terrain découvert entre Shoreby et la forêt, et était arrivé au pied de la petite colline, à quelques centaines de mètres plus bas que la croix de Sainte-Bride, quand, à travers le calme du sombre matin, résonna le son d’une trompette, si aigu, si clair et perçant, qu’il pensa n’avoir jamais rien entendu de pareil. Elle résonna une fois, puis, très vite, une seconde, puis suivit le froissement de l’acier.
À ce bruit, le jeune Shelton dressa l’oreille, et, tirant son épée, courut vers le haut de la colline.
Bientôt il aperçut la croix, et là, sur la route, il fut témoin d’une rencontre acharnée. Il y avait sept ou huit assaillants, et un seul homme pour leur tenir tête ; mais si actif et si habile, chargeant et dispersant ses ennemis si désespérément, gardant si adroitement son équilibre sur la glace, que déjà, avant que Dick pût intervenir, il en avait tué un, blessé un autre et tenu tous en respect.
Cependant c’était un miracle qu’il continuât à se défendre, car à tout instant, quelque accident, le moindre faux pas ou une déviation de la main, pouvait lui faire perdre la vie.
– Tenez bon, Monsieur ! Voici du secours ! cria Richard ; et oubliant qu’il était seul et que ce cri était plutôt hors de saison : Aux flèches ! Aux flèches ! s’écria-t-il en tombant sur le derrière des assaillants.
Ceux-ci étaient également de solides gaillards, car ils ne faiblirent pas à cette surprise, mais se retournèrent et tombèrent sur Dick avec une furie étonnante. Quatre contre un, l’acier flamboyait autour de lui à la lueur des étoiles, les étincelles jaillissaient ; un homme devant lui tomba… dans le feu du combat, il sut à peine comment ; il fut alors frappé lui-même ; frappé sur la tête, et, quoique le bonnet d’acier sous son capuchon le protégeât, le coup le fit tomber sur un genou, et la tête lui tourna comme une aile de moulin à vent.
Cependant, l’homme au secours duquel il était venu, au lieu de se joindre au combat, au premier signal d’une intervention avait sauté en arrière et sonné de nouveau, d’une manière plus pressante, et plus forte, de cette même trompette aiguë qui avait commencé le combat. La minute suivante ses ennemis l’attaquaient, et lui, de nouveau, chargea et se déroba, sauta, frappa, tomba sur les genoux, se servant indifféremment de l’épée et de la dague, du pied et de la main, avec le même courage indompté, la même énergie fiévreuse et la même soudaineté.
Mais cet appel perçant avait enfin été entendu. Il y eut une charge étouffée par la neige ; et, à un moment heureux pour Dick qui voyait déjà les pointes des épées briller près de sa gorge, il sortit de chaque côté du bois un torrent désordonné d’hommes d’armes montés, vêtus de fer, et la visière baissée, tous la lance en arrêt ou l’épée nue levée, et tous portant, pour ainsi dire un passager, sous forme d’archers ou de pages, qui sautèrent l’un après l’autre de leurs perchoirs et doublèrent ainsi la troupe.
Les premiers assaillants se voyant entourés par un plus grand nombre, jetèrent leurs armes sans mot dire.
– Emparez-vous de ces gens ! dit le héros à la trompette ; et quand son ordre eût été obéi, il s’avança vers Dick et le fixa. Dick, l’examinant à son tour, fut surpris de trouver en quelqu’un qui avait déployé tant de force, d’habileté et d’énergie, un jeune homme, pas plus âgé que lui… légèrement déformé, avec une épaule plus haute que l’autre, et à la physionomie pâle, triste et grimaçante(3). Les yeux cependant étaient clairs et hardis.
– Monsieur, dit ce jeune homme, vous êtes venu à temps pour moi et pas trop tôt.
– Monseigneur, répliqua Dick avec une légère idée qu’il était en présence d’un grand personnage, vous êtes vous-même si étonnamment habile à l’épée, que je crois que vous en seriez venu à bout tout seul. Cependant, ç’a été certainement heureux pour moi que vos hommes ne se soient pas fait attendre plus longtemps.
– Comment avez-vous su qui j’étais ? demanda l’étranger.
– Encore maintenant, Monseigneur, j’ignore à qui je parle.
– Vraiment ? demanda l’autre. Et pourtant vous vous êtes jeté ainsi tête baissée dans ce combat inégal.
– J’ai vu un homme qui se battait vaillamment contre plusieurs, répliqua Dick, et je me serais cru déshonoré, si je ne lui avais porté secours.
Un sourire railleur parut sur les lèvres du jeune seigneur, quand il répondit :
– Voilà de braves paroles. Mais venons au plus important… êtes-vous York ou Lancastre ?
– Monseigneur, je n’en fais pas un secret. Je suis tout à fait pour York.
– Par la messe ! répliqua l’autre, c’est heureux pour vous.
Et, à ces mots, il se tourna vers un de ses suivants.
– Qu’on en finisse, continua-t-il du même ton moqueur et cruel… qu’on en finisse proprement avec ces braves messieurs. Qu’on me les pende.
Des assaillants, cinq seulement restaient. Les archers les saisirent par les bras, et les menèrent rapidement à la lisière du bois, chacun fut placé sous un arbre de hauteur convenable ; la corde fut ajustée ; un archer, portant le bout, vivement grimpa au dessus, et en moins d’une minute, sans un mot de part ni d’autre, les cinq hommes se balançaient, attachés par le cou.
– Et maintenant, s’écria le chef difforme, retournez à vos postes, et la première fois que je vous appellerai, soyez plus prompts à répondre.
– Seigneur duc, dit un homme, je vous en supplie, ne restez pas ici seul. Gardez une poignée de lances à portée.
– Garçon, dit le duc, j’ai négligé de vous reprocher votre lenteur. Ne me contredites donc pas. J’ai confiance en mon bras et en ma main, quoique je sois bossu. Vous étiez en arrière quand la trompette a sonné ; et vous êtes à présent trop en avant avec vos conseils. Mais il en est toujours ainsi ; le dernier avec la lance et, le premier avec la langue. Que ce soit le contraire !
Et d’un geste qui ne manquait pas d’une sorte d’inquiétante noblesse, il les éloigna.
Les piétons regrimpèrent sur leurs sièges, derrière les hommes d’armes, et toute la troupe s’éloigna lentement et disparut en vingt directions différentes, sous le couvert de la forêt.
Le jour commençait alors à poindre et les étoiles à disparaître. La première teinte grise de l’aurore brillait sur les deux jeunes gens qui, de nouveau, se regardèrent.
– Eh bien, dit le duc, vous avez vu ma vengeance, qui est, comme ma lame, prompte et bonne. Mais je ne voudrais pas, pour toute la chrétienté, que vous me croyiez ingrat. Vous qui êtes venu à mon aide avec une bonne épée et un meilleur courage… à moins que ma forme ne vous rebute… venez sur mon cœur.
Et, ce disant, le jeune chef ouvrit les bras.
Au fond du cœur,