que dix hommes seulement seraient gardés, tant pour tenir garnison à Moat-House que pour escorter le prêtre à travers le bois. En outre, comme Bennet devait rester, le commandement du renfort devait être pris par maître Shelton. Il n’y avait, d’ailleurs, pas autre chose à faire ; les hommes étaient des lourdauds, stupides et maladroits en guerre, tandis que Dick, non seulement était populaire, mais était sérieux et résolu plus que son âge ne le comportait. Bien que sa jeunesse se fût passée dans ces rudes campagnes, il avait reçu de Sir Olivier un bon enseignement pour les lettres, et Hatch lui-même lui avait appris le maniement des armes et les premiers principes du commandement. Bennet avait toujours été bon et obligeant ; il était de ces hommes qui sont cruels comme la tombe envers ceux qu’ils appellent leurs ennemis, mais brutalement fidèles et dévoués envers ceux qu’ils appellent leurs amis ; et, pendant que Sir Olivier entrait dans la maison voisine pour adresser, de son élégante et rapide écriture, un mémoire des derniers événements à son maître, Sir Daniel Brackley, Bennet se rapprocha de son élève, pour lui souhaiter bonne chance au départ.
– Il faut prendre le plus long, maître Shelton, dit-il ; faire le tour par le pont ; il y va de la vie ! Ayez un homme sûr cinquante pas devant vous pour attirer les coups ; et allez doucement jusqu’à ce que vous ayez passé le bois. Si les gredins tombent sur vous, galopez ; il ne sert à rien de leur faire face. Et toujours en avant, maître Shelton ; ne me revenez pas, si vous tenez à la vie ; il n’y a rien de bon à espérer dans Tunstall, souvenez-vous-en. Et, maintenant, puisque vous allez aux grandes guerres, et que je continue à demeurer ici au grand péril de ma vie, en sorte que les saints peuvent seuls savoir si nous nous rencontrerons ici-bas, je veux vous donner mes derniers conseils au moment du départ. Ayez l’œil sur Sir Daniel ; il n’est pas sûr. Ne mettez pas votre confiance dans ce faquin de prêtre ; il n’a pas de mauvaises intentions, mais il fait la volonté d’autres ; Sir Daniel le manie comme il veut ! Faites-vous de bons protecteurs partout où vous irez ; faites-vous des amis forts ; veillez à cela. Et tâchez de trouver toujours le temps d’un pater noster pour penser à Bennet Hatch. Il y a sur terre des gredins pires que lui. Et Dieu vous aide !
– Et le ciel soit avec vous, Bennet ! répondit Richard. Vous avez été un bon ami pour votre élève, et je le dirai toujours.
– Et, voyez-vous, maître, ajouta Hatch avec un certain embarras, si ce Répare-tout m’envoyait une flèche, vous pourriez, peut-être, disposer d’un marc d’or, ou, peut-être même d’une livre pour ma pauvre âme ; car il est probable que ça sera dur pour moi dans le purgatoire.
– Je ferai ce que vous voulez, répondit Dick. Mais qu’y a-t-il, mon brave ? Nous nous rencontrerons encore, et alors vous aurez plus besoin de bière que de messes.
– Les saints le veuillent, maître Dick, répliqua l’autre, mais voici Sir Olivier. S’il était aussi prompt avec l’arc qu’avec la plume, ce serait un brave homme d’armes.
Sir Olivier donna à Dick, un paquet scellé avec la suscription : « À mon très vénéré maître, Sir Daniel Brackley, chevalier, que ceci soit promptement remis. »
Et Dick serra le paquet dans sa jaque, donna ses ordres et partit vers l’ouest par le haut du village.
LIVRE PREMIER
LES DEUX GARÇONS
CHAPITRE PREMIER
À L’ENSEIGNE DU SOLEIL, À KETTLEY
Sir Daniel et ses hommes passèrent cette nuit-là à Kettley, logés chaudement et bien gardés. Mais le chevalier de Tunstall était un homme en qui jamais ne se reposait le désir du gain ; et même à ce moment où il allait se lancer dans une aventure qui pouvait faire sa fortune ou la perdre, il était sur pieds une heure après minuit pour pressurer ses pauvres voisins. Il était de ceux qui trafiquent en grand dans les héritages contestés ; sa manière consistait à acheter les droits du prétendant le plus invraisemblable, puis, en captant la bienveillance des grands lords de l’entourage du roi, à obtenir d’injustes arrêts en sa faveur ; ou, si cela était trop compliqué, il s’emparait par la force des armes du manoir disputé, et se fiait à son influence et à l’habileté de Sir Olivier dans la chicane pour garder ce qu’il avait pris. Tel était le cas de Kettley, tombé tout récemment dans ses griffes ; il rencontrait encore de l’opposition de la part des tenanciers ; et c’était pour décourager le mécontentement qu’il avait conduit ses troupes par là.
Vers deux heures du matin, Sir Daniel était assis dans la salle d’auberge, tout près du feu, car il faisait froid, la nuit, dans ce pays de marais. À portée de sa main, un pot d’ale épicée. Il avait ôté son casque à visière, et était assis, sa tête chauve au long visage sombre, appuyée sur une main, chaudement enveloppé dans un manteau couleur de sang. À l’autre bout de la salle, une douzaine de ses hommes environ étaient en sentinelles près de la porte ou dormaient sur des bancs ; et, plus près de lui, un jeune garçon, paraissant âgé de douze ou treize ans, était étendu dans un manteau sur le plancher. L’hôtelier du Soleil était debout devant le grand personnage.
– Écoutez-moi bien, l’hôtelier, disait Sir Daniel, si vous suivez bien mes ordres, je serai toujours pour vous un bon maître. Il me faut de solides gaillards pour les principaux bourgs, et je veux Adam-a-More, comme connétable ; veillez-y. Si l’on en choisit d’autres, vous n’y gagnerez rien ; ou plutôt, il vous en cuira. Quant à ceux qui ont payé l’impôt à Walsingham, je saurai prendre des mesures… cela vous concerne aussi, l’hôtelier.
– Bon chevalier, dit l’hôtelier, je vous jure sur la croix de Holywood que je n’ai payé à Walsingham que par contrainte. Non, puissant chevalier, je n’aime pas les bandits Walsingham ; ils étaient pauvres, comme des voleurs, puissant chevalier. Donnez-moi un grand seigneur comme vous. Non, demandez-le aux voisins, je suis ferme pour Brackley.
– Possible, dit Sir Daniel sèchement. Alors vous paierez deux fois.
L’aubergiste fit une horrible grimace ; mais ceci était une malechance qui pouvait facilement tomber sur un tenancier en ces temps troublés, et il était peut-être content de faire sa paix si facilement.
– Amenez l’homme, Selden, cria le chevalier.
Et quelqu’un de sa suite amena un pauvre vieux affaissé, pâle comme une chandelle, tremblant de la fièvre des marais.
– Maraud, dit Sir Daniel, ton nom ?
– Plaise à Votre Seigneurie, répondit l’homme, je m’appelle Condall… Condall de Shoreby, au service de Votre Seigneurie.
– J’ai eu de mauvais renseignements sur vous, répliqua le chevalier. Vous trahissez, coquin ; vous chapardez dans tout le pays ; vous êtes fortement soupçonné de plusieurs meurtres. C’est de l’audace, mon gaillard ! mais je vais y mettre bon ordre.
– Mon très honorable et très révéré seigneur, s’écria l’homme, il y a là quelque méli-mélo, sauf votre respect. Je ne suis qu’un pauvre homme, et n’ai fait de mal à personne.
– Le sous-sheriff a donné sur vous les plus mauvais renseignements, dit le chevalier. Saisissez-moi, dit-il, ce Tyndal de Shoreby.
– Condall, mon bon seigneur ; Condall est mon pauvre nom, dit le malheureux.
– Condall ou Tyndal, c’est tout un, répliqua tranquillement Sir Daniel. Car, par ma foi, je vous tiens, et j’ai les plus grands doutes sur votre honnêteté. Si vous voulez sauver votre tête, écrivez-moi vite une reconnaissance de vingt livres.
– De vingt livres, mon bon seigneur ! s’écria Condall. C’est de la folie ! Tout mon avoir ne monte pas à soixante-dix shillings.
– Condall ou Tyndal, répliqua Sir Daniel en ricanant, je courrai le risque de cette perte. Écrivez-moi vingt, et, quand j’aurai recouvré tout ce que je pourrai, je serai un bon maître pour vous, et je vous ferai grâce du reste.
– Hélas ! mon bon seigneur, ce n’est pas possible ; je ne sais pas écrire, dit Condall.
– Bon, répliqua le chevalier, alors il n’y a pas de remède. Pourtant, j’aurais voulu vous épargner, Tyndal, si ma conscience l’avait permis. Selden, portez-moi ce vieux sorcier doucement jusqu’au premier orme, et pendez-le-moi gentiment par le cou, que je le voie en montant à cheval. Au revoir, bon maître Condall, cher maître Tyndal ; vous voilà en route pour le paradis ; portez-vous bien.
– Oh, mon très gracieux seigneur, répondit Condall en s’efforçant de sourire, si vous le prenez de si haut, et ça vous convient très bien, tout de même, je ferai tout ce que je pourrai pour vous obéir.
– Ami, dit Sir Daniel, vous écrirez maintenant le double. Allez ! vous êtes trop malin pour ne vivre que sur soixante-dix shillings. Selden, vois à ce qu’il m’écrive ça en due forme, et devant témoins.
Et Sir Daniel, qui était un très joyeux chevalier, le plus joyeux d’Angleterre, prit une gorgée de son ale tiède, et se renversa en souriant.
Cependant le garçon sur le plancher se mit à remuer, et aussitôt s’assit, et regarda autour de lui d’un air effaré.
– Ici, dit Sir Daniel ; et, comme l’autre se levait à son commandement, et s’avançait lentement vers lui, il s’appuya en arrière et éclata de rire. Par la croix, cria-t-il, quel hardi garçon !
Le garçon devint rouge de colère, et lança de ses yeux noirs un regard de haine. Maintenant qu’il était debout, il était plus difficile de déterminer son âge. Sa figure avait une expression plus âgée, mais