n’êtes guère sages.
– Hé, dit Tom, maintenant que vous êtes ficelé, vous voudriez nous attraper.
– Vous attraper ! répéta Dick. Si vous étiez des sots ce serait facile. Mais si vous êtes malins, comme je le crois, vous pouvez voir clairement quel est votre intérêt. Quand je vous ai pris votre bateau, nous étions bien habillés, et armés ; mais maintenant, réfléchissez un peu, qui a rassemblé cette troupe ? certainement quelqu’un qui avait beaucoup d’or. Et si celui-là, étant déjà riche, continue à courir après plus encore, même à travers les orages… réfléchissez bien… ne faut-il pas qu’il y ait un trésor caché quelque part ?
– Qu’est-ce qu’il veut dire ? demanda un des hommes.
– Oui, si vous avez perdu un vieux bateau et quelques cruches de vin tourné, continua Dick, oubliez-les comme les bagatelles qu’ils étaient, et préparez-vous plutôt pour une aventure qui en vaut la peine, qui, en douze heures, fera votre fortune ou votre perte. Mais relevez-moi, et allons quelque part, près d’ici, causer devant une bouteille, car je suis endolori et gelé, et ma bouche est à moitié dans la neige.
– Il ne cherche qu’à nous attraper, dit Tom avec mépris.
– Attraper ! Attraper ! cria le troisième individu. Je voudrais voir celui qui pourrait m’attraper ! Ce serait un bel attrapeur ! Non, je ne suis pas né d’hier. Je peux voir une église quand elle a un clocher ; et, pour ma part, compère Arblaster, je pense qu’il y a quelque bon sens dans ce jeune homme. Irons-nous l’entendre ? Dites, irons-nous l’entendre ?
– Je verrai avec plaisir un pot d’ale forte, brave maître Pirret, répliqua Arblaster. Que dites-vous, Tom ? Mais l’escarcelle est vide.
– Je paierai, dit l’autre… Je paierai. Je voudrais voir ce qu’il en retourne, je crois sur ma conscience qu’il y a de l’or là-dedans.
– Non, si vous recommencez à boire, tout est perdu ! cria Tom.
– Compère Arblaster, vous permettez trop de liberté à votre homme, répliqua maître Pirret. Vous laisserez-vous mener par un homme à gages ? Fi ! fi !
– Paix, garçon ! dit Arblaster, s’adressant à Tom. Rengaine ton aviron. Une belle passe vraiment, quand l’équipage corrige le capitaine !
– Eh bien, allez votre chemin, dit Tom. Je m’en lave les mains.
– Alors, mettez-le sur pieds, dit maître Pirret. Je connais un endroit écarté, où nous pourrons boire et causer.
– Si je dois marcher, mes amis, il faut me détacher les pieds, dit Dick, quand il eut été de nouveau planté droit comme un piquet.
– Il a raison, dit Pirret en riant. Vraiment il ne pourrait pas marcher, arrangé comme le voilà. Coupez-moi ça… votre couteau, et coupez, compère.
Arblaster lui-même s’arrêta à cette proposition, mais comme son compagnon insistait toujours, et que Dick eut le bon sens d’affecter l’indifférence d’une souche, et se contenta de hausser les épaules devant cette hésitation, le capitaine consentit enfin, et coupa les cordes qui attachaient les pieds et les jambes de son prisonnier. Cela ne permit pas seulement à Dick de marcher, mais tout l’enlacement de ses attaches étant relâché d’autant, il sentit que le bras derrière son dos commençait à remuer plus librement, et il espéra pouvoir, avec du temps et de la patience, se dégager entièrement. Il devait déjà cela à la bêtise aveugle et à la convoitise de maître Pirret.
Ce digne personnage prit la tête et les conduisit à la même taverne grossière où Lawless avait conduit Arblaster la nuit de la tempête. Elle était alors complètement déserte, le feu était une pile de tisons ardents, et répandait une chaleur torride ; et, quand ils eurent choisi leurs places, et que l’aubergiste eut posé devant eux une cruche d’ale chaude et épicée, Pirret et Arblaster étendirent leurs jambes et installèrent leurs coudes comme des gens disposés à passer un bon moment.
La table à laquelle ils étaient assis, comme toutes celles de la taverne, consistait en une forte planche carrée placée sur deux barriques ; et chacun des quatre compères si bizarrement assortis s’assit d’un côté du carré, Pirret faisant face à Arblaster, et Dick opposé au matelot.
– Et à présent, jeune homme, dit Pirret, à votre histoire. Il paraît vraiment que vous avez quelque peu maltraité notre compère Arblaster ; mais quoi ? Dédommagez-le, montrez-lui cette chance de devenir riche… et je me porte garant qu’il vous pardonnera.
Jusque-là, Dick avait parlé à tort et à travers : mais il fallait maintenant, sous la surveillance de six yeux, inventer et raconter quelque histoire merveilleuse, et, s’il était possible, de reprendre le très précieux cachet. Gagner du temps était la première nécessité. Plus longtemps il resterait, plus ses geôliers boiraient, et il serait d’autant plus sûr de réussir, quand il tenterait son évasion.
Dick n’était pas très inventif, et ce qu’il leur raconta ressemblait assez à l’histoire d’Ali Baba, avec Shoreby et la forêt de Tunstall substitués à l’Orient, et les trésors de la caverne plutôt exagérés que diminués. Comme le lecteur sait, c’est un conte excellent, qui n’a qu’un défaut… c’est de n’être pas vrai ; mais comme ces trois simples marins l’entendaient pour la première fois, les yeux leurs sortaient de la tête, et ils ouvraient la bouche comme une morue à l’étal d’un marchand de poisson.
Bientôt une seconde cruche d’ale épicée fut demandée, et, pendant que Dick continuait à raconter avec art les incidents de son histoire, une troisième suivit.
Voici quelle était vers la fin leur situation respective :
Arblaster aux trois quarts gris et à moitié endormi, flottait impuissant sur son escabeau. Tom lui-même avait été ravi par l’histoire, et sa vigilance en était diminuée. Pendant ce temps, Dick avait peu à peu dégagé son bras droit de ses liens, et était prêt à risquer le tout.
– Et ainsi, dit Pirret, vous êtes sûr d’eux.
– On m’a pris, répliqua Dick, malgré moi, mais si je pouvais avoir un sac d’or ou deux pour ma part, je serais vraiment bien bête de continuer à vivre dans une cave fangeuse, et à recevoir des décharges et, des coups comme un soldat. Nous voici quatre bons ! Allons donc dans la forêt demain, avant le lever du soleil. Si nous pouvions nous procurer honnêtement un âne, cela vaudrait mieux, mais si nous ne pouvons pas, nous avons quatre bons dos et je vous garantis que nous reviendrons en chancelant sous le poids.
Pirret se léchait les lèvres.
– Et cette magie, dit-il… ce mot de passe qui fait ouvrir la cave… quel est-il, ami ?
– Personne ne le sait que les trois chefs, répliqua Dick ; mais voyez votre grande bonne fortune, ce soir même j’étais porteur d’un charme pour l’ouvrir. C’est une chose qui ne sort pas deux fois par an de l’escarcelle du capitaine.
– Un charme ! dit Arblaster, s’éveillant à demi et louchant d’un œil sur Dick. Arrière ! pas de charmes ! Je suis un bon chrétien. Demandez plutôt à mon matelot Tom.
– Mais ce n’est que de la magie blanche, dit Dick. Cela n’a rien à faire avec le diable, c’est seulement la puissance des nombres, des herbes et des planètes.
– Oui, oui, dit Pirret, c’est seulement de la magie blanche, compère. Il n’y a pas là de péché, je vous l’assure. Mais continuez, brave homme. Ce charme… en quoi consiste-il ?
– Je vais vous le montrer immédiatement, répondit Dick. Avez-vous là la bague que vous avez prise à mon doigt ? Bien ! À présent tenez-la devant vous par l’extrémité des doigts à bras tendu à la lumière de ces tisons. C’est cela exactement. Voici le charme.
D’un regard égaré, Dick vit que le chemin était libre entre lui et la porte, il fit mentalement une prière. Alors, avançant vivement le bras, il arracha la bague, et, en même temps, souleva la table, et la renversa sur le matelot Tom. Celui-ci, le pauvre, tomba dessous, hurlant sous les ruines, et avant qu’Arblaster eût compris que quelque chose allait mal, ou que Pirret eût repris ses esprits éblouis, Dick avait couru à la porte et s’était échappé dans la nuit, au clair de lune.
La lune, qui était alors au milieu du ciel, et l’extrême blancheur de la neige, rendaient le terrain dégagé aux abords du port, aussi clair que le jour, et le jeune Shelton, sautant, sa robe aux genoux, parmi les décombres, était nettement visible, même de loin.
Tom et Pirret le suivirent en criant, de chaque cabaret ils furent rejoints par d’autres, que leurs cris attirèrent ; et bientôt, toute une flotte de marins furent à sa poursuite. Mais le matelot à terre était un mauvais coureur, déjà au XVe siècle, et Dick, de plus, avait une avance, qu’il augmenta rapidement, jusqu’à ce que, près de l’entrée d’une ruelle étroite, il s’arrêta pour regarder en riant derrière lui.
Sur le beau tapis de neige, tous les matelots de Shoreby venaient, essaim qui faisait tache d’encre, avec une queue en groupes isolés. Chacun criait ou braillait, chacun gesticulait, les deux bras en l’air ; quelqu’un tombait à chaque instant, et, pour achever le tableau, quand un tombait, une douzaine tombaient sur lui.
Cette masse confuse de bruit qui s’élevait jusqu’à la lune était moitié comique, moitié effrayante pour le fugitif qu’elle poursuivait. En soi, elle était impuissante, car il était sûr qu’aucun matelot du port ne pourrait l’atteindre. Mais le seul bruit, rien qu’en réveillant tous les dormeurs de Shoreby, et en amenant dans la rue toutes les sentinelles cachées, le menaçait réellement d’un danger en avant. Aussi, ayant aperçu une entrée de porte sombre à un tournant, il s’y jeta violemment, et laissa passer la cohue bizarre de ses poursuivants, qui criaient toujours et gesticulaient, tous rouges de