en pente. Quelques moutons blancs broutaient. Tout était muet, sauf le tintement lointain, de la cloche.
– Qu’y a-t-il, Appleyard ? demanda Dick.
– Voyez les oiseaux, dit Appleyard.
Et, en effet, au-dessus de la forêt, à un endroit où elle faisait une pointe dans les champs, et se terminait par deux beaux ormes verts, à peu près à une portée de flèche du champ où ils se trouvaient, une bande d’oiseaux voletait de sommet en sommet, comme effarée.
– Quoi, les oiseaux, dit Bennet ?
– Hé, répondit Appleyard, vous êtes un sage d’aller à la guerre, maître Bennet. Les oiseaux sont de bonnes sentinelles ; dans les forêts, ils sont la première ligne de bataille. Voyez, à présent, si nous étions ici dans un camp ; il pourrait-y avoir par là des archers cachés pour nous observer, et vous seriez ici sans vous en douter.
– Bah, vieux radoteur, dit Hatch, il n’y a personne plus près de nous que Sir Daniel à Kettley ; vous êtes aussi en sûreté ici que dans la Tour de Londres, et vous voulez effrayer un homme avec des moineaux et des pinsons.
– Écoutez-le, grogna Appleyard, combien de vagabonds qui donneraient leurs deux oreilles pour tirer sur un de nous. Par saint Michel, ils nous haïssent comme deux putois.
– C’est vrai qu’ils haïssent Sir Daniel, répondit Hatch un peu calmé.
– Oui, ils haïssent Sir Daniel et ils haïssent tous ceux qui marchent avec lui, dit Appleyard ; et, en première ligne, dans leur haine, il y a Bennet Hatch et le vieil archer Nicolas. Tenez, s’il y avait un homme solide sur la lisière du bois, et vous et moi devant lui comme nous voilà, par saint Georges, qui croyez-vous qu’il choisirait ?
– Vous, je parie, répondit Hatch.
– Mon surcot contre une ceinture de cuir que ce serait vous, cria le vieil archer. Vous avez brûlé Grimstone, Bennet, et ils ne vous pardonneront jamais ça, mon maître. Quant à moi, je serai bientôt dans un bon endroit, Dieu merci, et à l’abri de tous les coups de flèche de leurs rancunes. Je suis un vieillard et je m’approche du lieu de repos où mon lit est prêt. Mais vous, Bennet, vous resterez ici à vos risques, et, si vous arrivez à mon âge sans être pendu, c’est que le loyal vieil esprit anglais sera mort.
– Vous êtes le plus méchant butor de la forêt de Tunstall, répliqua Hatch, visiblement troublé par ces menaces. Allez, prenez vos armes avant l’arrivée de Sir Olivier. Assez bavardé. Si vous aviez parlé aussi longtemps avec Henri V, ses oreilles auraient été plus riches que sa poche.
Une flèche siffla dans l’air comme un énorme bourdon. Elle frappa le vieil Appleyard entre les omoplates et le traversa de part en part. Il tomba, en avant, la face dans les choux. Hatch, avec un cri étouffé, sauta en l’air, puis, le corps plié en deux, courut gagner l’abri de la maison. En même temps, Dick Shelton s’était réfugié derrière un lilas, et avait tendu et épaulé son arc, menaçant la pointe de la forêt.
Pas une feuille ne bougea, les moutons paissaient paisiblement, les oiseaux s’étaient calmés : mais le vieillard était étendu avec une flèche d’une aune dans le dos ; et Bennet se tenait derrière la palissade, et Dick accroupi et prêt derrière le buisson de lilas.
– Voyez-vous quelque chose ? cria Hatch.
– Pas un rameau ne bouge, répondit Dick.
– C’est une honte de le laisser ainsi par terrer dit Bennet très pâle, et revenant d’un pas hésitant. Ayez l’œil sur le bois, maître Shelton, ayez bien l’œil sur le bois. Les saints nous protègent ! C’était un fameux coup.
Bennet releva le vieillard sur ses genoux. Il n’était pas encore mort. Sa figure se contractait, ses paupières s’ouvraient et se fermaient comme mécaniquement, et il avait un horrible regard de souffrance.
– Pouvez-vous entendre, vieux Nick ? demanda Hatch. Avez-vous un dernier souhait avant de partir, vieux frère ?
– Arrachez la flèche, et laissez-moi mourir, au nom de Marie, soupira Appleyard. J’en ai fini avec la vieille Angleterre. Arrachez-la.
– Maître Dick, dit Bennet, venez ici et tirez-moi fort sur la flèche ; il voudrait mourir, le pauvre pêcheur.
Dick posa son arc, et, tirant sur la flèche avec force, il la sortit de la blessure. Un flot de sang jaillit, le vieil archer se souleva à moitié, invoqua le nom de Dieu et tomba mort. Hatch, à genoux dans les choux, priait avec ferveur pour l’âme qui s’en allait. Mais, même pendant sa prière, il était clair que son esprit était encore partagé, car il ne quittait pas de l’œil le coin du bois d’où le coup était venu. Quand il eut fini, il se releva, ôta un de ses gantelets et essuya son visage pâle tout mouillé par la terreur.
– Ah ! dit-il, ce sera mon tour la prochaine fois.
– Qui a fait cela, Bennet ? demanda Richard, qui tenait encore la flèche.
– Hé, les saints le savent, dit Hatch. Il y a une bonne quarantaine d’âmes chrétiennes que nous avons chassées de chez elles, lui et moi. Il a payé son écot, le pauvre vieux, et ce ne sera pas long, peut-être, avant que je paie le mien. Sir Daniel est par trop dur.
– Voilà un étrange dard, dit le jeune garçon en regardant la flèche qu’il avait dans les mains.
– Oui, par ma foi, s’écria Bennet. Noire et à plumes noires. C’est un trait de mauvais augure, en vérité ! car le noir est, dit-on, signe de funérailles. Et il y, a quelque chose d’écrit. Essuyez le sang. Que lisez-vous ?
– Appulyaird de la part de Jon Répare-tout, lut Shelton. Qu’est-ce que cela veut dire ?
– Vrai, je n’aime pas cela, répliqua l’autre en secouant la tête. Jean Répare-tout. Voilà un nom de bandit, dangereux pour ceux qui sont haut placés en ce monde. Mais pourquoi restons-nous ici comme point de mire ? Prenez-le par les genoux, bon maître Shelton, pendant que je le tiendrai par les épaules, et allons le coucher chez lui. Ça va secouer rudement le pauvre Sir Olivier, il va être couleur de papier ; il va prier comme un moulin à vent.
Ils prirent le vieil archer et le portèrent dans sa maison où il vivait seul. Là, ils le posèrent sur le plancher par égard pour le matelas et cherchèrent à arranger ses membres et à les étendre aussi bien que possible.
La maison d’Appleyard était propre et nue. Il y avait un lit avec un couvre-pieds bleu, une armoire, un grand coffre, deux escabeaux, une table dans le coin de la cheminée, et, pendues au mur, les armes du vieux soldat. Hatch se mit à regarder curieusement autour de lui.
– Nick avait de l’argent, dit-il. Il peut avoir une soixantaine de livres de côté. Je voudrais bien mettre la main dessus. Quand vous perdez un vieil ami, maître Richard, la meilleure consolation est d’hériter de lui. Voyez ce coffre, je parierais gros qu’il y a là-dedans un boisseau d’or : Appleyard avait une bonne main pour prendre et une bonne main pour garder. À présent, que Dieu le garde ! Pendant près de quatre-vingts ans il a été ici et là, toujours gagnant quelque chose ; mais maintenant, il est sur le dos, le pauvre diable, et n’a plus besoin de rien ; et si ses économies passent à un bon ami, il n’en sera, je pense, que plus joyeux en paradis.
– Venez, Hatch, dit Richard, respectez ses yeux fermés. Voulez-vous voler cet homme devant son cadavre ? Non, il pourrait se lever !
Hatch fit plusieurs signes de croix ; mais il avait retrouvé son caractère ordinaire, et il ne se laissait pas facilement détourner de ce qu’il avait résolu. Le coffre aurait passé un mauvais quart d’heure, si la grille n’avait grincé, et si un instant après, la porte de la maison ne s’était ouverte, donnant passage à un homme d’une cinquantaine d’années, grand, fort, rouge, aux yeux noirs, vêtu d’une robe noire et d’un surplis.
– Appleyard, dit le nouveau venu en entrant ; mais il s’arrêta court. Ave, Maria, s’écria-t-il, les saints nous protègent ! Quelle mine est-ce là ?
– Mine refroidie, Monsieur le chapelain, répondit Hatch avec bonne humeur. Frappé à sa propre porte, et il arrive en ce moment au purgatoire. Oui, vraiment, si ce qu’on raconte est vrai, il ne manquera ni de charbon ni de chandelle.
Sir Olivier se traîna jusqu’à un escabeau, et s’assit, tout pâle.
– Voilà un jugement ! Oh, quel coup !
Il sanglotait et récita des prières. Hatch en même temps se découvrit respectueusement et s’agenouilla.
– Ah ! Bennet, dit le prêtre un peu remis de son émotion, d’où cela peut-il venir ; quel ennemi a fait cela ?
– Voici la flèche, Sir Olivier. Voyez, il y a des mots écrits dessus, dit Dick.
– Quoi, s’écria le vieux prêtre, voilà qui est odieux ! Jean Répare-tout ! Un vrai nom de Lollard. Et toute noire comme un mauvais présage. Messieurs, je n’aime pas cette flèche de bandit. Vraiment, il importe de tenir conseil. Qui pourrait-ce être ? Réfléchissez, Bennet ? Parmi tant de sombres malfaiteurs, lequel cela peut-il être qui nous brave si rudement ? Simnel ? Je ne le crois guère. Les Walsingham ? Non, ils ne sont pas encore à ce point révoltés ; ils pensent qu’ils auront la loi contre nous quand les temps changeront. Il y a aussi Simon Malmesbury. Qu’en pensez-vous, Bennet ?
– Que pensez-vous, Monsieur, de Ellis Duckworth ? répliqua Hatch.
– Non, Bennet, jamais ; non, ce n’est pas lui, dit le prêtre. Jamais révolte, Bennet, ne vient, d’en bas ; – tous les