spectacle de la torture d’un pauvre pécheur comme eux.
Selden commença à comprendre ; il poussa un cri de rage, épaula son arbalète et envoya une flèche au hasard dans le bois. La chance le favorisa, car un léger cri répondit. Alors jetant son arme, Selden se mit à courir devant lui dans la clairière et en droite ligne sur Dick et Matcham.
Les compagnons de la Flèche-Noire commencèrent alors à tirer sérieusement.
Mais ils furent bien attrapés ; leur chance était passée ; la plupart d’entre eux avaient le soleil en face, et Selden en courant bondissait de côté et d’autre pour tromper leur tir. Le mieux était, qu’en visant vers le haut de la clairière il avait détruit leur plan, car il n’y avait pas de tireur posté plus haut que celui qu’il venait de tuer ou de blesser ; et l’échec de la combinaison des forestiers devint bientôt visible. Un sifflet se fit entendre trois fois, puis encore deux fois. Cela fut répété dans un autre endroit. Les bois de tous côtés se remplirent du bruit, de gens se faisant jour à travers le sous-bois ; un daim étonné sortit du bois dans la plaine, s’arrêta une seconde sur trois pieds, le nez en l’air, et de nouveau s’enfonça dans le fourré.
Selden courait et bondissait encore ; de moment en moment une flèche le suivait, mais le manquait toujours. On pouvait commencer à croire qu’il allait échapper. Dick avait son arc tout armé prêt à le soutenir ; Matcham lui-même oubliant son propre intérêt, était de tout cœur avec le pauvre fugitif, et les deux jeunes garçons étaient tout animés et tout tremblants jusqu’au fond du cœur.
Il était à cinquante mètres d’eux environ, quand une flèche l’atteignit, et il tomba. Il fut debout presque aussitôt, mais alors il courut en boitant, et, comme un aveugle, s’écarta de sa direction.
Dick sauta sur ses jambes et lui fit signe.
– Ici, cria-t-il, par ici ! Il y a du secours, courez, l’ami, courez !
Mais juste à ce moment une seconde flèche frappa Selden à l’épaule, entre les plaques de son brigantin et, traversant sa jaque, le jeta par terre comme une pierre.
– Oh ! le pauvre ! cria Matcham, les mains jointes.
Et Dick pétrifié restait debout sur la colline, cible pour les archers.
Dix contre un qu’il aurait été rapidement frappé – car les hommes de la forêt étaient furieux contre eux-mêmes et étaient pris au dépourvu par l’apparition de Dick à l’arrière de leur position – mais aussitôt, sortant d’une partie du bois étonnamment près des deux jeunes gens, une voix de stentor s’éleva, la voix d’Ellis Duckworth.
– Arrêtez ! rugit-il, ne tirez pas ! Prenez-le vivant ! C’est le jeune Shelton, le fils de Harry.
Et aussitôt un sifflement aigu résonna plusieurs fois, fut de nouveau repris et répété plus loin. Le sifflet, semblait-il, était la trompe de guerre qui servait à Jean Répare-tout pour répandre ses ordres.
– Ah ! Malheur ! dit Dick. Nous sommes pris. Vivement, Jack, venez vite !
Et le couple tourna et courut en arrière, à travers les pins qui couvraient le sommet de la colline.
CHAPITRE VI
JUSQU’À LA FIN DU JOUR
Il était en effet grand temps de courir. De toutes parts la compagnie de la Flèche-Noire se dirigeait vers la colline. Quelques-uns, meilleurs coureurs, ou ayant devant eux un terrain découvert, avaient de beaucoup dépassé les autres et étaient déjà tout près du but ; d’autres, suivant les vallées, s’étaient répandus à droite et à gauche et cernaient les jeunes gens des deux côtés.
Dick s’enfonça sous le couvert le plus proche. C’était un grand bosquet de chênes, avec un terrain ferme sous le pied et libre de broussailles, descendant la colline ; ils allèrent donc bon train. Ensuite venait un terrain découvert que Dick évita en inclinant à gauche. Deux minutes plus tard, le même obstacle se présentait encore, et ils firent de même. Par suite, tandis que les jeunes gens, décrivant une courbe vers la gauche, se rapprochaient de plus en plus de la grande route et de la rivière qu’ils avaient traversée une heure ou deux auparavant, la grande masse de leurs poursuivants se portait de l’autre côté vers Tunstall.
Les garçons s’arrêtèrent pour respirer. Il n’y avait aucun bruit de poursuite. Dick mit son oreille contre terre et n’entendit rien ; mais le vent faisait encore du bruit dans les arbres et il était difficile d’avoir une certitude.
– En avant encore ! dit Dick, et fatigués comme ils l’étaient, et Matcham boitant de son pied blessé, ils reprirent courage, et continuèrent, à toute vitesse, la descente de la colline.
Trois minutes plus tard, ils reprenaient haleine dans un bas, fourré d’arbustes verts. Haut, au-dessus de leurs têtes, les grands arbres formaient un toit continu de feuillage. C’était un bosquet avec des piliers hauts comme une cathédrale et, à part les houx avec lesquels ils se débattaient, libre et moelleusement gazonné.
De l’autre côté, ayant traversé le dernier fourré d’arbres verts, ils se jetèrent étourdiment dans le découvert crépusculaire.
– Arrêtez ! cria une voix.
Et là, entre les fortes racines à cinquante pieds à peine devant eux ils aperçurent un fort gaillard en jaque verte, hors d’haleine à force d’avoir couru, qui immédiatement arma son arc et les menaça. Matcham s’arrêta avec un cri ; mais Dick sans hésitation courut droit sur le forestier, et, tout en courant, tira sa dague. L’autre, soit qu’il fût surpris par l’audace de l’attaque, soit qu’il fût embarrassé par ses ordres, ne tira pas : il restait indécis, et, avant qu’il eût le temps de revenir à lui, Dick lui avait sauté à la gorge, et l’avait couché sur l’herbe. La flèche alla d’un côté, l’arc de l’autre en retentissant.
L’homme de la forêt, désarmé, se cramponna à son assaillant ; mais la dague brilla et descendit deux fois. Alors il y eut deux gémissements, puis Dick se remit sur pieds et l’homme resta sans mouvement, frappé au cœur.
– En avant ! dit Dick, et il se remit à dégringoler la pente, Matcham se traînant en arrière.
À dire vrai, ils n’allaient maintenant pas bien vite, peinant horriblement à courir, haletants comme poissons hors de l’eau. Matcham avait un cruel point de côté et la tête lui tournait ; quant à Dick, ses genoux lui semblaient être de plomb. Mais ils continuaient à courir avec la même ardeur.
Bientôt ils arrivèrent au bout du bosquet, qui se terminait brusquement ; et là, à quelques pas devant eux, la grande route de Risingham à Shoreby s’étendait entre deux murailles d’arbres.
À cette vue, Dick s’arrêta, et aussitôt qu’il eut cessé de courir, il entendit vaguement un bruit confus qui devint rapidement plus fort. C’était d’abord comme un violent coup de vent ; mais bientôt cela devint plus défini et se précisa en un galop de chevaux ; puis, comme un éclair, toute une compagnie d’hommes d’armes tournant l’angle de la route, passa devant les jeunes gens et disparut presque au même instant. Ils couraient comme en fuite, dans un complet désordre ; quelques-uns étaient blessés ; des chevaux sans cavaliers galopaient à côté d’eux avec des selles ensanglantées. C’étaient évidemment des fugitifs de la grande bataille.
À peine le bruit de leur passage commençait à s’éteindre vers Shoreby, de nouveaux sabots firent écho à leur suite et un autre déserteur fit résonner la route ; cette fois, un seul cavalier, et à voir sa splendide armure, un homme de haut rang. Immédiatement après lui, suivaient plusieurs chariots de bagages, dans un galop désordonné, les conducteurs fouettant les chevaux à tour de bras. Ils devaient s’être enfuis de bonne heure ; mais leur lâcheté ne devait pas les sauver. Juste un peu avant qu’ils ne fussent devant l’endroit où se trouvaient les jeunes gens étonnés, un homme à l’armure ébréchée, et qui paraissait hors de lui de fureur, atteignit les chariots et, avec le manche d’une épée se mit à renverser les conducteurs. Quelques-uns sautèrent de leurs places et plongèrent dans le bois, les autres furent sabrés par le cavalier qui ne cessait de les maudire comme des lâches, d’une voix à peine humaine.
Pendant tout ce temps le bruit au loin avait continué à augmenter, le roulement des chariots, le résonnement des sabots, les cris des hommes, une grande et confuse rumeur arrivaient portés par le vent, et il était hors de doute que la déroute de toute une armée se répandait comme une inondation sur la route.
Dick était sombre. Il avait pensé suivre la grande route jusqu’au tournant de Holywood, et, à présent il lui fallait changer son plan. Mais surtout il avait reconnu les couleurs du comte Risingham et il savait que la bataille avait finalement tourné contre la rose de Lancastre. Sir Daniel avait-il rejoint l’armée et était-il à présent fugitif et ruiné ? ou bien avait-il déserté pour la cause d’York et avait-il forfait à l’honneur ? C’était un vilain choix.
– Venez, dit-il, d’un ton ferme, et il tourna sur ses talons et se mit à marcher sous bois, Matcham boitant à sa suite. Pendant quelque temps ils continuèrent à longer sous bois la route en silence. La journée s’avançait ; le soleil se couchait dans la plaine au-delà de Kettley, le sommet des arbres au-dessus de leur tête était doré, mais l’ombre commençait à s’épaissir et le frais de la nuit à tomber.
– Si l’on avait au moins quelque chose à manger ! s’écria tout à coup Dick, en s’arrêtant.
Matcham s’assit par terre et se mit à pleurer.
– Vous pouvez pleurer pour votre souper, mais quand il s’agissait de sauver des vies d’hommes vous aviez le cœur plus dur, dit Dick avec mépris. Vous avez sept morts