Cassandra Clare
Les anges déchus
La cité des ténèbres – Tome 4
L’auteur
Cassandra Clare
Cassandra Clare est une journaliste new-yorkaise d’une trentaine d’années. Elle a beaucoup voyagé dans sa jeunesse et lu un nombre incroyable de romans d’horror fantasy. Forte de ces influences et de son amour pour la ville de New York, elle a écrit la série à succès « La Cité des Ténèbres » et la genèse de celle-ci : « La Cité Infernale ».
Du même auteur dans la même collection :
La Cité des Ténèbres
1. La Coupe Mortelle
2. L’Épée Mortelle
3. Le Miroir Mortel
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julie Lafon
POCKET JEUNESSE
Directeur de collection Xavier d’Almeida
Titre original :
City of Fallen Angels Livre 4 de The Mortal Instruments
À Josh
Sommes-nous les deux livres d’un même ouvrage ?
Loi n° 49 956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : juin 2012.
First published in 2011 by Margaret K. McElderry Books An imprint of Simon & Schuster Children’s Publishing Division, New York. Copyright © 2011 by Cassandra Clare, LLC.
© 2012, Éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traduction française et la présente édition.
ISBN : 978-2-266-21799-6
PREMIÈRE PARTIE
ANGES EXTERMINATEURS
Il est des maux qui rôdent dans l’obscurité ; et il est des anges exterminateurs qui volent, drapés dans les replié de l’immatérialité et d’une nature non communicante ; si nous ne pouvons les voir, nous ressentons leur force et plions devant leur épée.
Jeremy Taylor, Un sermon funèbre
1
LE MAÎTRE
— UN CAFÉ, s’il vous plaît. La serveuse leva ses sourcils soulignés au crayon.
— Vous ne voulez rien manger ?
Elle parlait avec un fort accent et semblait déçue.
Simon Lewis ne pouvait pas l’en blâmer. Elle espérait sans doute mieux que le pourboire insignifiant qu’elle gagnerait sur un malheureux café. Mais ce n’était pas la faute de Simon si les vampires ne mangeaient pas. Parfois, au restaurant, il commandait un plat pour sauver les apparences. Un mardi tard dans la soirée, alors que le Veselka était quasiment désert, il n’en voyait pas l’intérêt.
— Un café, c’est tout.
Avec un haussement d’épaules, la serveuse lui prit des mains le menu plastifié et alla s’occuper de sa commande. Simon se renfonça dans sa chaise en plastique inconfortable et jeta un regard autour de lui. Le Veselka, une gargote située au coin de la Neuvième Rue et de la Seconde Avenue, était l’un de ses endroits favoris dans le Lower East Side, un vieil établissement de quartier aux murs recouverts de peintures noires et blanches, où il pouvait passer ses journées à condition de commander un café toutes les demi-heures. On y servait aussi du bortsch et des pierogi végétariens, ses préférés à une époque désormais révolue.
On était à la mi-octobre, et le Veselka venait à peine d’installer les décorations d’Halloween : une pancarte de guingois sur laquelle était inscrit « Des bonbons ou un bortsch ! » et la silhouette en carton d’un vampire surnommé comte Blintzula[1]. Avant, Simon et Clary trouvaient ces décorations ringardes très amusantes. Aujourd’hui, avec ses crocs factices et sa cape noire, le comte ne faisait plus beaucoup rire Simon.
Il jeta un regard vers la vitrine. La nuit était froide, et le vent balayait les feuilles. Une fille aux longs cheveux noirs agités par la brise, moulée dans un trench-coat ceinturé, marchait dans la Seconde Avenue. En voyant les passants se retourner sur elle, Simon se souvint que, par le passé, il avait louché sur des filles comme elle en se demandant vaguement où elles allaient et qui elles retrouvaient. Pas des types comme lui, ça il le savait.
Pourtant, cette fille-là avait rendez-vous avec lui. Le carillon de la porte retentit et Isabelle Lightwood entra. Elle sourit en apercevant Simon, s’avança vers sa table, ôta son trench et le drapa sur le dossier. Sous son imperméable, elle portait une de ces « robes typiques d’Isabelle », pour reprendre les termes de Clary : courte et moulante, en velours, avec des collants résille et des bottes. Dans l’une d’elles, elle avait glissé une dague que seul Simon pouvait voir. Tous les clients du restaurant avaient les yeux fixés sur elle quand elle s’assit en rejetant ses cheveux en arrière. Quelle que fût sa tenue, Isabelle ne passait jamais inaperçue.
La belle Isabelle Lightwood ! Quand Simon avait fait sa connaissance, il avait supposé qu’il ne l’intéressait pas et il n’avait pas tout à fait tort. Isabelle aimait les garçons qui suscitaient la désapprobation de ses parents, ce qui, dans son monde, désignait les Créatures Obscures : fées, loups-garous et vampires. Le fait qu’ils sortent ensemble depuis environ un mois l’étonnait encore, même si leur relation se limitait en général à quelques rencontres comme celle-ci. Cependant, il ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger : s’il n’avait pas été transformé en vampire, si toute son existence n’avait pas été bouleversée à ce moment précis, aurait-il trouvé grâce à ses yeux ?
Elle glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et lui adressa un sourire rayonnant.
— Tu es chic.
Simon jeta un coup d’œil à son reflet dans la vitrine. La patte d’Isabelle était indéniable dans les changements qu’il avait opérés sur son apparence depuis qu’ils sortaient ensemble. Elle l’avait forcé à troquer ses sweat-shirts à capuche pour un blouson en cuir et ses baskets pour une paire de boots de créateur qui, entre parenthèses, lui avait coûté la modique somme de trois cents dollars. Et s’il n’avait pas renoncé à ses tee-shirts à slogan, ses jeans n’avaient plus de trous aux genoux ni de poches déchirées. Il s’était laissé pousser les cheveux, si bien qu’ils lui cachaient le front et lui tombaient sur les yeux – mais c’était plus par nécessité que pour plaire à Isabelle.
Clary se moquait de son nouveau look, mais, en fait, elle trouvait tout ce qui touchait à sa vie amoureuse à la limite du désopilant. Elle ne prenait pas au sérieux sa relation avec Isabelle et, bien entendu, elle n’en pensait pas moins de son histoire avec Maia Roberts, une amie lycanthrope. En outre, elle n’en revenait pas que Simon n’ait toujours pas évoqué le problème avec l’une et l’autre.
Il ne savait pas trop comment c’était arrivé. Maia aimait bien venir chez lui pour jouer à la Xbox ; il n’y avait pas de console de jeux dans l’ancien commissariat de police où la meute avait élu domicile. Au bout de la troisième ou quatrième fois, elle s’était penchée pour l’embrasser avant de partir. Cela lui avait fait plaisir et il avait appelé Clary pour lui demander s’il fallait en parler à Isabelle.
— Essaie d’abord de savoir ce qui se passe avec elle, avait-elle répondu.
Ce conseil ne s’était pas révélé très judicieux. Cela faisait un mois, et il ne savait toujours pas ce qui se passait avec Isabelle, aussi n’avait-il rien dit. Et plus le temps passait, plus l’aveu lui semblait difficile. Jusqu’à présent, il s’était bien débrouillé. Isabelle et Maia n’étaient pas vraiment amies, elles se voyaient rarement. Malheureusement pour lui, la mère de Clary allait se marier avec Luke, son compagnon de longue date, et Isabelle et Maia étaient invitées toutes les deux. Simon trouvait cette perspective plus effrayante que l’idée d’être pourchassé dans les rues de New York par une horde de chasseurs de vampires enragés.
— Bon, fit Isabelle, l’arrachant à ses réflexions. Pourquoi ici et pas chez Taki’s ? Ils servent du sang là-bas.
Au ton de sa voix, Simon tressaillit. Isabelle n’était pas un modèle de discrétion. Par chance, personne ne leur prêtait attention, pas même la serveuse qui posa d’un geste brusque une tasse de café devant Simon, jeta un coup d’œil à Isa et s’éloigna sans avoir pris sa commande.
— J’aime bien cet endroit, répondit-il. Clary et moi, on venait souvent ici quand elle prenait des cours de dessin dans le quartier. Leur bortsch et leurs blintz sont délicieux ; ce sont des espèces de crêpes à base de fromage blanc. Et puis ils sont ouverts toute la nuit.
Mais Isabelle ne l’écoutait plus. Elle fixait quelque chose derrière lui.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— C’est le comte Blintzula.
— Le comte Blintzula ? Simon haussa les épaules.
— C’est une déco d’Halloween pour les enfants. Un peu comme le comte Chocula, ou le comte de Sesame Street.
Il sourit devant son air interdit.
— Tu sais bien. Il apprend à compter aux enfants. Isabelle secoua la tête.
— Il y a un programme de télé avec un vampire qui apprend à compter aux enfants ?
— Tu comprendrais si tu l’avais vu, marmonna Simon.
— Il y a une explication mythologique à cette interprétation, déclara Isabelle d’un ton professoral. D’après certaines légendes, les vampires seraient obsédés par les chiffres, à tel point que si on leur lançait des grains de riz, ils s’interrompraient dans leur tâche pour les compter. Il n’y a aucun fond de vérité là-dessous, évidemment, comme avec l’ail. Et les vampires n’ont rien à faire avec des enfants. Ce sont des créatures terrifiantes.
— Merci, répliqua Simon. C’est une blague, Isabelle. Le comte aime compter. Tu piges ? Qu’a mangé le comte, aujourd’hui, les enfants ? Un cookie au chocolat, deux cookies au chocolat, trois cookies au chocolat…
Un