Pour la traduction française :
© Éditions Albin Michel, 2013
ISBN : 978-2-226-28987-2
DU MÊME AUTEUR CHEZ ALBIN MICHEL WIZ
PERCY JACKSON
Le Voleur de foudre
La Mer des Monstres
Le Sort du Titan
La Bataille du Labyrinthe
Le Dernier Olympien
HÉROS DE L’OLYMPE
Le Héros perdu
Le Fils de Neptune
La Marque d’Athéna
KANE CHRONICLES
La Pyramide rouge
Le Trône de feu
Aux formidables éditrices
qui ont influencé ma carrière d’écrivain :
Kate Miciak, Jennifer Besser, Stephanie Lurie,
les trois magiciennes qui ont su donner vie à mes mots.
Avertissement
* * *
Ce qui suit est la transcription d’un enregistrement numérique. À deux reprises déjà, Carter et Sadie Kane m’ont adressé des enregistrements de même nature, que j’ai retranscrits et intitulés respectivement La Pyramide rouge et Le Trône de feu. Je suis très honoré que les Kane m’aient maintenu leur confiance. Toutefois, je me dois d’avertir le lecteur que ce récit dépasse en étrangeté tout ce qu’il a pu lire précédemment. La boîte contenant le fichier portait des traces de brûlures ainsi que des marques de dents et de griffes que le zoologue que j’ai consulté n’a pu identifier. Sans les hiéroglyphes qui la protégeaient, je ne crois pas qu’elle serait parvenue à mon domicile. Chacun comprendra pourquoi au fil de sa lecture.
SADIE
* * *
1. Où nous jouons (encore) les trouble-fête
Salut, c’est Sadie Kane.
Si tu entends ceci, ça veut dire que tu as survécu à l’Apocalypse. Félicitations !
Avant d’aller plus loin, je tiens à m’excuser pour les désagréments que la fin du monde aurait pu te causer : tremblements de terre, émeutes, tornades, inondations, tsunamis, sans oublier le serpent géant qui a avalé le soleil… Je crains que tout cela ne soit notre faute. C’est pourquoi il nous a semblé, à Carter et à moi, qu’on devait quelques explications au public.
Cet enregistrement est probablement le dernier que tu recevras de nous. Quand tu l’auras écouté jusqu’au bout, tu sauras pourquoi.
Tout a commencé à Dallas, la nuit où des moutons cracheurs de feu ont dévasté l’exposition consacrée à Toutankhamon…
Ce soir-là, les magiciens texans organisaient une fête dans le jardin de sculptures en face du musée d’Art de Dallas. Les hommes portaient des chapeaux de cow-boy avec leurs smokings ; les femmes en robe de soirée avaient d’énormes chignons en ruche.
(Carter me souffle qu’on dit plutôt « choucroute », mais je trouve « ruche » plus… anglais. Je n’ai pas été élevée à Londres pour rien.)
Un orchestre jouait de vieux airs de country sur une scène. Des guirlandes électriques clignotaient dans les arbres. De temps en temps, un magicien ouvrait une porte secrète dans une sculpture ou lançait un éclair de feu pour éloigner les moustiques, mais à part ça, on aurait dit une réception ordinaire.
Le chef du Nome Cinquante et un, JD Grissom, bavardait avec ses invités en dégustant une assiette de tacos au bœuf quand on l’a attiré à l’écart pour l’avertir d’un danger imminent. Ça m’ennuyait de lui gâcher sa soirée, mais on n’avait pas le choix.
– Ça fait un mois que l’exposition est ouverte, nous a-t-il objecté. Si Apophis avait dû nous attaquer, il l’aurait déjà fait, non ?
JD – un grand type corpulent au visage et aux mains burinés, aux cheveux roux aussi fins que du duvet – paraissait dans les quarante ans, mais il est impossible de donner un âge à un magicien. Si ça se trouve, il en avait quatre cents. Avec son costume noir, sa cravate western et sa boucle de ceinturon en argent gravée d’une étoile, il ressemblait à un shérif texan.
– Venez, a dit Carter en nous entraînant vers l’extrémité du jardin. Parlons en marchant.
Je dois dire que mon frère affichait un aplomb sidérant.
À part ça, il faisait tache au milieu de cette élégante assemblée. Son griffon lui avait arraché une touffe de cheveux en voulant lui prouver son affection, et les nombreuses coupures qui marquaient son visage trahissaient une maîtrise encore imparfaite de l’art du rasage. Mais depuis son quinzième anniversaire, il avait beaucoup grandi et pris des muscles grâce à ses entraînements quotidiens. Entièrement vêtu de lin noir, il avait l’air mûr et plein d’assurance, et le khépesh – une épée recourbée – qui pendait de sa ceinture renforçait cette impression. À présent, j’arrivais presque à l’imaginer en chef de guerre sans m’étrangler de rire.
(Fais pas cette tête, Carter. C’est plutôt flatteur, non ?)
– Apophis opère toujours selon le même mode, a-t-il dit à JD, raflant une poignée de chips sur la table du buffet. Les précédentes attaques ont toutes eu lieu à la nouvelle lune, quand la nuit est la plus sombre. Croyez-moi, il donnera l’assaut ce soir, et il sera sans pitié.
JD Grissom a fait un écart pour éviter un groupe de magiciens qui buvaient du champagne.
– Les précédentes attaques, a-t-il dit, c’était à Chicago et à Mexico ?
– Également à Toronto, a répondu Carter. Mais il y en a eu d’autres.
Il n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet, et moi non plus. Les raids auxquels on avait assisté tout au long de l’été peuplaient encore mes nuits de cauchemars.
Ça faisait six mois qu’Apophis s’était échappé de sa prison, et pourtant, il n’avait pas encore déchaîné l’Apocalypse. Au lieu de l’offensive générale qu’on redoutait, il s’était limité à des opérations ponctuelles contre des nomes jusque-là parfaitement tranquilles.
Comme celui qui nous accueillait ce soir-là.
Au moment où on passait devant la scène, l’orchestre a achevé un morceau. La jolie violoniste blonde a interpellé JD en agitant son archet :
– Viens vite, chéri. On a besoin d’un guitariste !
JD s’est forcé à sourire.
– Plus tard, mon cœur. Je reviens.
Pendant qu’on s’éloignait, il a précisé :
– Ma femme, Anne.
J’ai demandé :
– Magicienne ?
Il a acquiescé, et son visage s’est assombri.
– Qu’est-ce qui vous fait croire qu’Apophis va frapper ici ? a-t-il interrogé.
– Mhm-hmm, a répondu Carter, la bouche pleine de chips.
J’ai traduit :
– Il recherche un objet en particulier. Il a déjà détruit cinq des copies existantes. La dernière figure précisément dans votre exposition sur Toutankhamon.
– Quel objet ? a insisté JD.
En prévision de notre voyage à Dallas, on avait fait le plein de sorts protecteurs et d’amulettes censées nous prémunir contre les oreilles indiscrètes. Toutefois, j’hésitais à dévoiler nos plans à voix haute.
– Il vaut mieux qu’on vous le montre, ai-je dit, contournant un couple de jeunes magiciens occupés à tracer des « Je t’aime » scintillants avec leurs baguettes sur une fontaine en pierre. Notre équipe d’experts nous attend à l’intérieur du musée. Si vous nous autorisez à examiner l’objet en question, voire à l’emporter pour le mettre à l’abri…
J’ai cru que JD allait s’étouffer d’indignation.
– L’emporter ? Nos meilleurs éléments surveillent l’exposition jour et nuit. Vous croyez pouvoir faire mieux, chez vous, à Brooklyn ?
On avait atteint la limite du jardin. De l’autre côté de la rue, accrochée à l’extérieur du musée, une banderole haute comme un bâtiment de deux étages annonçait l’exposition.
Carter a sorti son portable et montré à JD la photo d’une grande bâtisse dont il ne restait que des décombres : l’ex-quartier général du Nome Cent, à Toronto.
– Je ne doute pas de la compétence de vos gardiens, a-t-il dit, mais on préférerait vous éviter d’être la cible de la prochaine attaque d’Apophis. Lors des précédentes, ses serviteurs n’ont laissé aucun survivant.
JD a regardé la photo, puis sa femme, Anne, qui jouait un two-step au violon.
– J’espère que votre équipe se montrera à la hauteur, a-t-il dit.
– Il n’en existe pas de meilleure, ai-je assuré. Venez, vous allez faire sa connaissance.
Notre équipe de cracks était occupée à piller la boutique du musée.
Felix avait invoqué trois manchots qui couraient en tous sens, arborant des masques de Toutankhamon en carton. Perché sur une bibliothèque, notre babouin préféré, Khéops, était plongé dans une monumentale Histoire des pharaons de l’Égypte ancienne – malheureusement, il tenait le livre à l’envers. Walt – Walt, non ! pas toi ! – avait fracturé la vitrine des bijoux et examinait les colliers et les bracelets comme s’il évaluait leur potentiel. Alyssa, notre experte en magie tellurique, jonglait avec une vingtaine de pots en argile qu’elle maintenait en l’air par la pensée.
Carter a toussé.
Walt s’est figé, les mains pleines de bijoux. Khéops est descendu précipitamment de la bibliothèque, faisant tomber la plupart des livres. Les pots d’Alyssa se sont fracassés sur le sol tandis que Felix tentait de pousser ses manchots derrière la caisse. (J’ai toujours autant de mal à m’expliquer sa passion pour ces gros oiseaux patauds.)
– C’est ça, vos champions ? a demandé JD, tripotant impatiemment la boucle de son ceinturon.
Je me suis forcée à sourire.
– Excusez le désordre. Je vais, hum…
Empoignant ma baguette, j’ai dit :
– Hi-nehm !
Je maîtrise beaucoup mieux les mots magiques à présent. La plupart du temps, j’arrive à canaliser le pouvoir d’Isis, ma déesse tutélaire, sans tomber dans les pommes ni provoquer d’explosion.
Le hiéroglyphe correspondant au mot « réparer » s’est rapidement inscrit dans le vide avant de s’effacer :
Les pots brisés se sont reconstitués. Les livres ont regagné leurs rayonnages. Les masques des manchots se sont envolés, révélant – surprise ! – leur nature de manchots.
– Pardon, a marmonné Walt, rangeant les bijoux dans leur vitrine. On