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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 7
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    bourse en cuir noir, et se frayait des coudes un chemin à travers la foule ; puis elle revenait tard à la maison, courbée sous le poids de ses provisions. C’était un dur travail que de tenir la maison, de veiller à ce que les deux petits enfants laissés à sa charge aient leurs repas régulièrement et aillent à l’école de même. Oui, un dur travail, une dure vie ; mais maintenant qu’elle était sur le point de la quitter, elle ne la trouvait pas entièrement dépourvue d’attrait.

    Elle allait tâter d’une autre vie avec Frank. Frank était très bon, brave et généreux. Elle devait partir avec lui, sur le bateau du soir, pour être sa femme et vivre avec lui à Buenos Aires, où il avait une maison qui les attendait. Comme elle se souvenait bien de la première fois où elle l’avait vu ! Il logeait dans une maison de la grand-rue, où elle avait pris l’habitude d’aller le voir. Il semblait qu’il n’y eût que quelques semaines de cela. Il se tenait à la grille, sa casquette à visière était repoussée en arrière, et ses cheveux retombaient en avant sur son visage bronzé. Peu à peu, ils avaient appris à se connaître. Il venait la retrouver devant le magasin chaque soir et la raccompagnait à la maison. Il l’avait menée voir La fille bohémienne ; et d’être assise avec lui à une place inaccoutumée, au théâtre, elle s’était sentie transportée. Il était passionné de musique, il chantait un peu. Les gens savaient qu’ils étaient amoureux, et, quand il chantait cette chanson sur la fille qui aimait un marin, elle se sentait agréablement confuse. Il l’appelait coquelicot, pour s’amuser.

    Au début elle éprouvait l’excitation d’avoir un ami ; et puis, elle avait commencé à l’aimer. Il racontait des histoires de contrées lointaines. Il avait commencé comme mousse, à une livre par mois, sur un bateau de l’Allan line, ligne du Canada. Il lui disait les noms des bateaux sur lesquels il avait été, et les noms des différentes compagnies. Il avait traversé le détroit de Magellan, il lui racontait des anecdotes sur les terribles Patagons. Il avait trouvé une bonne position à Buenos Aires, disait-il ; il était revenu au vieux pays rien que pour les vacances. Naturellement, son père avait découvert toute l’histoire et lui avait défendu de lui reparler jamais. « Je les connais, tous ces marins », disait-il ; un jour il s’était querellé avec Frank, et depuis elle ne pouvait revoir son amoureux qu’en secret.

    Le soir s’épaississait dans l’avenue. La blancheur de deux lettres qu’elle tenait sur ses genoux devenait indistincte. L’une était destinée à Henri, l’autre à son père. Ernest avait été son préféré, mais elle aimait Henri aussi. Son père commençait à se faire vieux, elle l’avait remarqué ; elle lui manquerait. Quelquefois, il pouvait être très gentil. Il n’y avait pas longtemps, elle était restée couchée un jour, et il lui avait lu tout haut une histoire de revenants, et lui avait grillé un toast devant le feu. Un autre jour encore, alors que sa mère était en vie, ils étaient tous partis en pique-nique jusqu’à la colline de Howth. Elle se rappelait que son père s’était amusé à mettre le chapeau de sa mère, pour faire rire les enfants.

    Le temps s’écoulait, mais elle continuait à rester assise à la fenêtre, appuyant sa tête contre le rideau, respirant l’odeur de la cretonne poussiéreuse. Très loin, au bas de l’avenue, elle entendait un orgue de Barbarie qui jouait. Elle connaissait l’air. Quelle chose étrange qu’il se fît entendre ce soir même pour lui remémorer la promesse qu’elle avait faite à sa mère, sa promesse de sauvegarder la maison aussi longtemps qu’elle le pourrait ! Elle se souvenait du dernier soir de la maladie de sa mère ; de nouveau, elle se voyait dans la chambre obscure et chaude, à l’autre bout du hall ; et au-dehors résonnait cet air italien mélancolique. On avait fait dire à l’homme de s’en aller, et on lui avait donné six pence. Elle se rappelait la démarche raide de son père, quand il était entré dans la chambre de la malade et qu’il avait dit :

    « Ces damnés Italiens ! venir jusqu’ici ! »

    Comme elle songeait ainsi, la vision pitoyable de la vie de sa mère instilla un ensorcellement jusqu’au vif de son être, – cette vie banale de sacrifices aboutissant à la démence. Elle trembla, crut entendre à nouveau la voix de sa mère répétant sans cesse avec une stupide insistance :

    – Derevaun Seraun ! Derevaun Seraun !

    Dans une subite impulsion de terreur elle se leva. S’enfuir ! Il lui fallait s’enfuir ! Frank la sauverait. Il lui donnerait la vie, peut-être l’amour aussi. En tout cas elle voulait vivre. Pourquoi serait-elle malheureuse ? Elle avait droit au bonheur. Frank la prendrait dans ses bras, l’envelopperait dans ses bras. Il la sauverait.

    ***********

    Elle se tenait au milieu de la foule grouillante à la gare de North Wall. Il lui serrait la main, et elle se rendait compte qu’il lui parlait, lui disant, lui répétant quelque chose à propos de la traversée. La gare était pleine de soldats avec des bagages bruns. À travers les portes grandes ouvertes des hangars, elle entrevit la masse noire du bateau, s’allongeant à côté du quai, avec ses hublots illuminés. Elle ne répondait rien. Elle sentait que sa joue était pâle et froide, et, du fond d’un abîme de détresse, elle pria Dieu de la guider, de lui montrer où était son devoir. Le bateau lança dans le brouillard un long et funèbre appel.

    Si elle partait, demain elle serait sur la mer avec Frank, en route vers Buenos Aires. Leurs places étaient retenues. Pouvait-elle reculer après tout ce qu’il avait fait pour elle ? Sa détresse lui donna comme une nausée, et elle continuait à remuer les lèvres, en fervente et silencieuse prière.

    Une cloche qui sonnait retentit dans son cœur. Elle sentit qu’il lui prenait la main :

    – Viens !

    Toutes les mers du monde déferlaient autour de son cœur. Il la tirait pour l’y engloutir, elle s’y noierait. Des deux mains elle agrippa la rampe de fer.

    – Viens !

    Non ! Non ! non ! c’était impossible. Ses mains se cramponnaient à la rampe avec frénésie. Du sein des mers qui submergeaient son cœur, elle lança un cri d’angoisse !

    – Éveline ! Evvy !

    Il s’élança au-delà de la barrière et lui cria de le suivre. On le sommait de monter, mais il s’obstinait à l’appeler. Elle fixait sur lui un visage pâle : – passive, telle une bête désemparée, en ses yeux nul signe ni d’amour ni d’adieu : elle ne semblait point le reconnaître.

    APRÈS LA COURSE

    Les voitures roulaient vers Dublin à toute vitesse, lancées comme des boulets dans le sillon de la route de Naas. Au sommet de la colline d’Inchicore, des spectateurs s’étaient massés pour voir passer les voitures, et le continent déversait sa richesse et son industrie à travers cette banlieue pauvre et paresseuse. De temps à autre, s’élevait des groupes le hourra des opprimés reconnaissants. Leur sympathie, cependant, allait aux autos bleues, – les autos de leurs amis, les Français.

    Les Français, au surplus, étaient virtuellement vainqueurs. Leur équipe avait fort bien terminé ; ils étaient classés seconds et troisièmes, et l’on disait que le conducteur de l’auto allemande gagnante était un Belge. De sorte que chaque auto bleue recevait une double mesure de joyeux hourras, à son arrivée au sommet de la colline ; et à chaque hourra, ceux qui étaient dans l’auto répondaient par des sourires et des saluts. Dans l’une de ces autos d’une carrosserie élégante se trouvaient quatre jeunes gens dont l’entrain semblait dépasser même celui qui est naturel à des Gaulois victorieux : en fait, ces quatre jeunes gens étaient presque dans un état d’hilarité. Il y avait Charles Ségouin, le propriétaire de l’auto ; André Rivière, un jeune électricien d’origine canadienne ; un énorme Hongrois qui s’appelait Villona, et un jeune homme de mise très correcte nommé Doyle. Ségouin était enchanté parce qu’on venait, inopinément, de lui faire des commandes d’avance (il allait monter une affaire d’automobiles à Paris), et Rivière était de bonne humeur parce qu’il devait être nommé directeur de l’établissement ; ces deux jeunes gens, deux cousins, étaient aussi tout joyeux à cause de la victoire française. Villona était heureux parce qu’il avait eu un bon déjeuner ; et de plus, il était optimiste par nature. Le quatrième du groupe, lui, était trop excité pour être heureux aussi naïvement.

    Il avait dans les vingt-six ans, une fine moustache d’un brun clair et des yeux gris au regard plutôt innocent. Son père, qui était entré dans la vie en nationaliste avancé, changea vite sa manière de voir. Il s’était enrichi comme boucher à Kingstown ; et en ouvrant des magasins à Dublin et dans les faubourgs, il avait doublé plusieurs fois sa fortune. Il avait eu aussi la chance d’obtenir quelques polices d’assurance, et à la fin il était devenu assez riche pour qu’on parlât de lui dans les journaux de Dublin, sous le titre de prince des marchands. Il avait envoyé son fils en Angleterre pour être élevé dans un grand collège catholique, et l’avait fait entrer ensuite à l’Université de Dublin en qualité d’étudiant en droit. Jimmy n’était pas très travailleur et même, pendant quelque temps, il eut de mauvaises fréquentations. Il était riche et très populaire et il partageait bizarrement son temps entre les cercles de musique et d’automobiles. Puis on lui offrit un trimestre à Cambridge, afin de connaître un peu la vie. Son père, tout en criant, mais secrètement flatté

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