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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 42
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    de leur foyer et de leurs amis et qu’ils s’étaient enfuis, rayonnants et un peu fous, vers de nouvelles aventures.

    Un vieil homme sommeillait dans le hall, assis sur une grande chaise à baldaquin. Il alluma une bougie dans le bureau et monta l’escalier le premier. Ils le suivaient en silence, leurs pas retombaient avec un bruit mat sur l’épais tapis. Elle gravissait l’escalier derrière le portier, la tête courbée par l’ascension, les épaules frêles ployant comme sous un poids, la jupe étroitement ramassée autour d’elle. Il aurait pu lui jeter les bras autour des hanches et la retenir, tant ses bras tremblaient du désir de s’emparer d’elle et seuls ses ongles incrustés dans ses mains continrent l’élan déréglé de son corps. Le portier fit une halte sur l’escalier pour fixer la bougie qui coulait. Eux aussi s’arrêtèrent à une marche de distance. Dans le silence, Gabriel entendait la cire fondue s’égoutter sur le plateau et son propre cœur battre contre ses côtes.

    Le portier les conduisit le long d’un corridor et ouvrit une porte. Puis il fixa sa bougie branlante sur une table de toilette et demanda à quelle heure ils voulaient être réveillés le lendemain.

    – À huit heures, dit Gabriel.

    Le portier désigna le commutateur et bredouilla une excuse, mais Gabriel y coupa court.

    – Nous ne voulons pas de lumière, il en vient bien assez de la rue. Dites donc, mon brave, ajouta-t-il, désignant la bougie, faites-nous le plaisir d’emporter ce bel objet.

    Le portier reprit sa bougie, mais avec lenteur, une idée aussi originale le surprenait. Puis il murmura un : « Bonne nuit », et sortit. Gabriel poussa le verrou.

    Du réverbère, un rai de lumière livide s’allongeait à travers les fenêtres jusqu’à la porte. Gabriel jeta son pardessus et son chapeau sur un canapé et se dirigea vers la fenêtre. Il regarda dehors afin que son émotion s’apaisât un peu. Puis il se retourna et s’appuya contre la commode, le dos à la lumière. Elle avait ôté son chapeau et son manteau et se tenait devant une grande psyché dégrafant son corsage. Gabriel se tut quelques moments, l’observant, puis dit :

    – Gretta !

    Elle se détourna avec lenteur de son miroir et marcha vers lui dans le rai de lumière. Son visage paraissait si sérieux et si las que Gabriel ne put prononcer une parole. Non, ce n’était pas encore le moment.

    – Vous paraissez fatiguée, dit-il.

    – Je le suis un peu, répondit-elle.

    – Vous ne vous sentez pas souffrante, ni faible ?

    – Non, fatiguée, c’est tout.

    Elle se dirigea vers la fenêtre et y demeura regardant au-dehors. Gabriel attendit encore, puis redoutant de se trouver à la merci de sa timidité, il dit brusquement :

    – À propos, Gretta !

    – Qu’y a-t-il ?

    – Vous savez, ce pauvre garçon Malins, se hâta-t-il de dire.

    – Oui. Eh bien ?

    – Eh bien ! c’est un bon diable après tout, continua Gabriel sur un ton qui sonnait faux. Il m’a rendu le louis que je lui avais prêté et vraiment je ne m’y attendais pas. C’est dommage qu’il ne puisse pas éviter M. Browne, parce qu’au fond ce n’est pas un mauvais garçon.

    Il tremblait à présent d’énervement. Pourquoi avait-elle l’air si absent. Il ne savait pas comment il pourrait commencer. Serait-elle ennuyée de quelque chose ? Si seulement elle pouvait se retourner ou aller à lui de son propre mouvement ! La prendre ainsi serait brutal. Non, il fallait tout d’abord apercevoir quelque ardeur dans ses yeux. Il brûlait de gouverner l’étrange état d’esprit où elle se trouvait.

    – Quand lui avez-vous prêté cet argent ? demanda-t-elle après un temps.

    Gabriel dut se maîtriser pour ne pas se répandre en injures sur le compte de ce sot de Malins et de son louis. Il brûlait d’adresser à Gretta un appel du fond de son être, de broyer son corps contre le sien, de la dominer. Mais il dit :

    – Oh ! à la Noël, quand il a ouvert cette boutique de cartes postales dans Henry Street.

    Il était pris d’une telle fièvre de rage et de désir qu’il ne l’entendit pas venir de la fenêtre. Elle s’arrêta devant lui un instant, le regardant avec des yeux étranges. Puis tout à coup, se dressant sur la pointe des pieds et lui posant légèrement les mains sur les épaules, elle l’embrassa.

    – Vous êtes très généreux, Gabriel ?

    Gabriel, tremblant, saisi de ravissement par ce baiser brusque et par l’inattendu de sa phrase, lui posa les mains sur la tête et se mit à lui caresser les cheveux, ses doigts l’effleurant à peine. Le lavage les avait rendus souples et brillants. Son cœur débordait de joie. Juste au moment où il l’avait souhaité, elle-même était venue à lui. Peut-être que ses pensées à elle avaient suivi le même cours que les siennes. Peut-être comprenait-elle le désir impétueux qui le possédait et c’était cela qui le disposait à l’abandon ? À présent qu’elle se rendait aussi facilement, il se demandait pourquoi il avait ressenti autant d’hésitation.

    Il demeurait debout, lui tenant la tête entre les mains. Puis glissant vivement un bras autour de son corps et l’attirant à lui, il dit avec douceur :

    – Gretta chérie, à quoi pensez-vous ?

    Elle ne répondit pas, ne céda pas non plus complètement à la pression de son bras. Il répéta avec douceur :

    – Dites-moi ce dont il s’agit, Gretta. Je crois savoir ce qu’il y a. Est-ce que je sais ?

    Elle ne répondit pas aussitôt. Puis elle dit dans un flot de larmes :

    – Oh ! je pense à cette chanson The Lass of Anghim.

    Elle se dégagea et courut vers le lit, puis, jetant ses bras sur les barreaux, y cacha son visage. Gabriel demeura un instant pétrifié d’étonnement, puis il la suivit. Comme il passait devant le miroir, il se vit en pied ; le large plastron bombé de sa chemise, le visage dont l’expression l’intriguait toujours lorsqu’il l’apercevait dans la glace ; les lorgnons scintillants à la monture dorée. À quelques pas, il s’arrêta et dit :

    – Eh bien quoi, cette chanson ? Pourquoi vous fait-elle pleurer ?

    Elle leva la tête et s’essuya les yeux avec le dos de la main comme un enfant. Une inflexion, plus douce qu’il n’aurait voulu y mettre, passa dans sa voix.

    – Pourquoi, Gretta ? demanda-t-il.

    – Je pense à quelqu’un qui avait coutume de chanter cette chanson, il y a bien longtemps de cela !

    – Qui était-ce ? demanda Gabriel en souriant.

    – Quelqu’un que j’avais connu à Galway lorsque j’y vivais avec ma grand-mère, dit-elle.

    Le sourire disparut sur la figure de Gabriel. Une sourde colère l’envahit de nouveau. Et le morne afflux de son désir se fit plus menaçant dans ses veines.

    – Quelqu’un de qui vous étiez éprise ? s’enquit-il avec ironie.

    – C’était un jeune homme que je connaissais, répondit-elle, appelé Michel Furey. Il chantait cette chanson The Lass of Anghim. Il avait une santé très délicate.

    Gabriel demeurait silencieux. Il ne voulait pas qu’elle pût supposer qu’il portât un intérêt quelconque à ce garçon de santé délicate.

    – Je le vois si bien, dit-elle un moment plus tard ! Les yeux qu’il avait ! de grands yeux sombres ! Et quelle expression ! Une expression !

    – Oh ! alors, vous êtes amoureuse de lui ? dit Gabriel.

    – J’allais me promener avec lui, dit-elle, lorsque j’étais à Galway.

    Une pensée lui traversa l’esprit.

    – Alors, c’est peut-être pourquoi vous vouliez aller à Galway avec la fille Ivors, dit-il froidement.

    Elle le regarda, surprise :

    – Pour quoi faire ? demanda-t-elle.

    Sous son regard Gabriel se sentit gêné. Il haussa les épaules et dit :

    – Que sais-je ? Pour le voir peut-être ?

    Elle détourna la tête et considéra en silence la bande de lumière qui allait jusqu’à la fenêtre.

    – Il est mort, dit-elle enfin. Il est mort à dix-sept ans. N’est-ce pas affreux de mourir aussi jeune ?

    – Qu’est-ce qu’il faisait ? dit Gabriel toujours ironique.

    – Il était dans une usine à gaz, dit-elle.

    Gabriel s’est senti mortifié par l’inefficacité de son ironie et par l’évocation de cette figure d’entre les morts. Un garçon dans l’usine à gaz ! Cependant que Gabriel s’était nourri des souvenirs de leur vie intime à deux, souvenirs pleins de tendresse, de joie, de désir, elle le comparait à un autre. Il fut envahi par une conscience de lui-même qui s’accompagnait de honte. Il se vit un personnage ridicule, agissant comme un galopin pour ses tantes, un sentimental nerveux, bien intentionné, tenant des discours à des gens vulgaires et idéalisant ses appétits de pitié. Pauvre être pitoyable et bête, qu’il avait entrevu en passant devant la glace. Instinctivement il tourna encore plus le dos à la lumière de peur qu’elle ne vît la rougeur de honte qui lui brûlait le front.

    Il s’efforça de conserver ce ton de froide interrogation, mais sa voix, lorsqu’il parla, se fit humble et indifférente.

    – Je suppose que vous étiez amoureuse de ce Michel Furey, Gretta ? dit-il.

    – J’étais au mieux avec lui dans ce temps-là.

    Sa voix se faisait voilée et triste. Gabriel, comprenant maintenant combien il était vain de la mener au but qu’il s’était proposé, lui caressa la main et dit tristement lui aussi :

    – Et de quoi est-il mort si jeune, Gretta ? Était-ce de phtisie ?

    – Je crois qu’il est mort pour moi, répondit-elle.

    Une terreur vague s’empara de Gabriel à cette réponse comme si, à l’heure même où il avait espéré triompher, quelque être invisible et vindicatif se levait, rassemblant dans son monde non moins vague des forces contre lui. Mais avec un effort de la raison, il se défit de cette idée et continua de lui caresser la main. Il cessa de l’interroger, car il sentit que d’elle-même elle allait parler. La main de Gretta, tiède et moite,

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