▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
Recherche avancée
Sign in Sign up
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
    Sign in Sign up
    1. Home
    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 41
    Prev
    Next

    Julia et Mary Jane gagnèrent le hall, riant encore.

    – N’est-ce pas que Freddy est terrible ? dit Mary Jane. Vraiment terrible ?

    Gabriel, sans répondre, indiqua l’escalier où se trouvait sa femme.

    Maintenant que la porte d’entrée était close, la voix et le piano devenaient plus distincts. Gabriel leva la main pour qu’on gardât le silence. La chanson paraissait écrite sur l’ancien mode irlandais et le chanteur semblait aussi peu certain des paroles que de sa voix. La voix voilée et rendue plaintive par l’éloignement semblait souligner la phrase mélodique avec des mots qui exprimaient la détresse :

    O la pluie tombe sur ma lourde chevelure,

    La rosée humecte ma peau,

    Mon enfant gît glacé.

    – Oh ! s’écria Mary Jane. C’est M. Bartell d’Arcy et il a refusé de chanter toute la soirée. Oh ! je vais lui faire chanter quelque chose avant qu’il ne s’en aille.

    – Oui, je vous en prie, Mary Jane, dit tante Kate.

    Mary Jane, repoussant les autres, courut vers l’escalier, mais avant qu’elle ne l’eût atteint, le chant s’était tu et le piano fut brusquement fermé.

    – Oh ! quel dommage ! s’écria-t-elle. Est-ce qu’il descend, Gretta ?

    Gabriel entendit sa femme répondre affirmativement et descendre vers eux, M. Bartell d’Arcy et Miss O’Callaghan la suivaient.

    – Oh ! monsieur d’Arcy, s’écria Mary Jane, ce n’est pas bien de votre part de vous interrompre de la sorte, alors que nous vous écoutions avec ravissement.

    – Mme Conroy et moi l’avons persécuté toute la soirée, dit Miss O’Callaghan, il nous a dit qu’il avait un rhume affreux et qu’il ne pouvait pas chanter.

    – Oh ! monsieur d’Arcy, dit tante Kate, vous avez dit là un grand mensonge.

    – Ne voyez-vous pas que je suis rauque comme un crapaud, dit M. d’Arcy rudement.

    Il passa vivement dans l’office pour mettre son pardessus. Les autres, déconcertés par son impolitesse, ne trouvèrent rien à dire. Tante Kate plissa le front et fit signe aux autres d’abandonner le sujet. M. d’Arcy s’enveloppait le cou avec soin et fronçait les sourcils.

    – C’est le temps, dit tante Julia après un moment.

    – Oui, tout le monde est enrhumé, se hâta d’ajouter tante Kate, tout le monde.

    – On dit, dit Mary Jane, que depuis trente ans nous n’avons pas eu de neige semblable ; et j’ai lu ce matin dans les journaux que c’est général en toute l’Irlande.

    – J’adore la neige, dit tante Julia tristement.

    – Moi aussi, dit Miss O’Callaghan. Je trouve que Noël n’a jamais l’air d’un vrai Noël s’il n’y a pas de neige sur le sol.

    – Mais le pauvre monsieur d’Arcy n’aime pas la neige, dit tante Kate en souriant.

    M. d’Arcy revient de l’office emmitouflé et boutonné jusqu’au menton, et d’un ton contrit, il raconta l’origine de son rhume. Chacun le conseilla différemment, dit que c’était grand dommage et l’engagea à prendre des précautions infinies pour sa gorge à l’air de la nuit. Gabriel observait sa femme qui ne prenait aucune part à la conversation. Elle se tenait en plein sous l’imposte poussiéreuse, et la lumière du gaz illuminait les riches tons bronzés de sa chevelure que Gabriel avait vu faire sécher devant le feu quelques jours auparavant. Elle avait repris la même attitude et semblait étrangère à ce qui se disait autour d’elle. Finalement elle se tourna vers eux, et Gabriel vit qu’elle avait les joues rouges et les yeux brillants. Un flot de joie se leva dans son cœur.

    – Monsieur d’Arcy, dit-elle, que chantiez-vous ?

    – The Lass of Anghim, dit M. d’Arcy, mais je m’en souviens mal. Pourquoi ? Le connaissez-vous ?

    – The Lass of Anghim, répéta-t-elle, le nom ne me revenait pas.

    – C’est une très jolie chanson, dit Mary Jane, je regrette que vous n’ayez pas été en voix ce soir.

    – Allons, Mary Jane, dit tante Kate, ne tourmentez pas M. d’Arcy, je ne veux pas qu’on le tourmente.

    Voyant que tout le monde était prêt à partir, elle les reconduisit jusqu’à la porte où on se souhaita une bonne nuit.

    – Eh bien ! bonne nuit, tante Kate, et merci pour cette charmante soirée.

    – Bonne nuit, Gabriel ! Bonne nuit, Gretta !

    – Bonne nuit, tante Kate, et merci beaucoup. Bonne nuit, tante Julia.

    – Oh ! Bonne nuit, Gretta, je ne vous voyais pas.

    – Bonne nuit, monsieur d’Arcy. Bonne nuit, Miss O’Callaghan.

    – Bonne nuit, Miss Morkan.

    – Bonne nuit de nouveau.

    – Bonne nuit à tous. Bon retour.

    – Bonne nuit. Bonne nuit.

    Il faisait à peine jour. Une lumière morne, jaunâtre, se maintenait au-dessus des maisons et de la rivière, le ciel semblait descendre. On marchait sur la neige fondue, il n’en restait que quelques traînées sur les toits, les parapets du quai et les balustrades. La lumière des réverbères rougeoyait encore dans l’air brumeux et par-delà la rivière le palais de justice se détachait menaçant contre le ciel lourd. Elle marchait en avant avec M. Bartell d’Arcy, ses souliers empaquetés dans un papier brun, serré sous son bras, et ses mains retroussant sa jupe pour la préserver de la boue. Toute grâce avait disparu de son allure, mais les yeux de Gabriel brillaient encore de bonheur. Le sang bouillonnait dans ses veines et à travers son cerveau les pensées se pressaient fières, joyeuses, tendres, chevaleresques.

    Elle marchait devant lui, si légère et si droite, qu’il brûlait de la rejoindre sans bruit, de la saisir par les épaules et de lui murmurer à l’oreille quelque chose à la fois de sot et d’affectueux. Elle lui semblait si fragile qu’il aurait voulu la protéger d’un danger quelconque, puis se retrouver seul avec elle. Des moments de leur vie intime s’allumaient tout à coup comme des étoiles, dans son souvenir : à côté de sa tasse à déjeuner, il y avait une enveloppe mauve et il la caressait de la main ; des oiseaux gazouillaient parmi le lierre et la trame ensoleillée du rideau miroitait sur le parquet : il ne pouvait pas manger tant il était joyeux. Ils se tenaient tous deux sur la plateforme bondée et il lui glissait un billet dans le creux tiède de son gant. Il était dehors avec elle dans le froid, regardant à travers une fenêtre grillagée un homme qui soufflait des bouteilles au-dessus d’une fournaise. Il faisait très froid. Son visage qui embaumait l’air était proche du sien ; et tout à coup il cria à l’ouvrier :

    – Le feu est chaud, monsieur ?

    Mais le bruit de la fournaise empêchait l’homme d’entendre. Cela valait mieux ainsi. Il aurait pu répondre grossièrement. Une vague de joie encore plus tendre jaillit de son cœur et se répandit en un torrent chaud dans ses artères. Tels les feux caressants des étoiles, des moments de leur vie intime, que personne ne savait ni ne saurait jamais, s’allumaient dans son souvenir. Il aurait souhaité lui remémorer ces moments, lui faire oublier les années de leur morne existence conjugale et ne se souvenir que de leurs moments d’extase. Car les années, il le sentait, n’avaient fané ni son âme à lui, ni la sienne. Leurs enfants, ses œuvres, les soucis du ménage, n’avaient pas éteint complètement le tendre feu de leurs âmes. Dans une lettre qu’il lui avait écrite, il avait dit : « Pourquoi des mots comme ceux-ci me semblent-ils aussi vides, aussi froids ? Est-ce parce qu’il n’y a pas de mot qui soit assez tendre pour être votre nom ? »

    Telle une musique lointaine, ces paroles écrites des années auparavant venaient à lui du passé. Il voulait être seul avec elle. Lorsque les autres seraient partis, lorsqu’elle et lui se retrouveraient dans la chambre d’hôtel, alors ils seraient seuls ensemble. Il l’appellerait doucement :

    – Gretta !

    Peut-être n’entendrait-elle pas tout de suite ; elle serait en train de se dévêtir. Puis quelque chose dans sa voix à lui la frapperait. Elle se retournerait et le regarderait…

    Au coin de Wenetavern Street ils rencontrèrent une voiture. Il était heureux que son fracas lui évitât de parler. Elle regardait par la portière et semblait lasse. Les autres ne parlaient qu’à demi-mot, désignant quelque édifice ou quelque rue. Le cheval galopait péniblement sous le ciel nébuleux du matin, traînant derrière lui la vieille guimbarde bruyante, et de nouveau Gabriel se retrouvait auprès d’elle dans une voiture galopant pour prendre le bateau, filant à toute vitesse vers leur lune de miel.

    Comme la voiture roulait sur le pont O’Connell, Miss O’Callaghan dit :

    – On ne traverse jamais le pont O’Connell sans voir un cheval blanc, dit-on.

    – Je vois un homme blanc cette fois, dit Gabriel.

    – Où ? demanda M. d’Arcy.

    Gabriel montra la statue que recouvraient des plaques de neige, puis il la salua familièrement de la tête et de la main.

    – Bonne nuit, Daniel, fit-il gaiement.

    Lorsque la voiture s’arrêta devant l’hôtel, Gabriel sauta dehors et, en dépit des protestations de M. d’Arcy, paya le cocher. Il lui donna un franc de pourboire. L’homme salua et dit :

    – Je vous souhaite une année prospère.

    – À vous de même, dit Gabriel cordialement.

    Gretta s’appuya à son bras en sortant de la voiture et aussi pendant qu’elle se tenait sur le trottoir, souhaitant bonne nuit aux autres. Elle s’appuyait sur son bras avec autant de légèreté que lorsqu’elle avait dansé avec lui quelques heures auparavant. Il s’était senti fier et heureux alors, heureux qu’elle fût sienne, fier de sa grâce et de son épanouissement d’épouse. Mais maintenant, après le réveil de tant de souvenirs, au premier contact de son corps harmonieux, étrange et parfumé, il fut traversé d’une vague de sensualité aiguë. À la faveur du silence qu’elle gardait, il lui prit le bras et le serra contre lui ; et comme tous deux se tenaient devant la porte de l’hôtel, il sentit qu’ils s’étaient évadés de leur existence et de leurs devoirs quotidiens,

    Prev
    Next

    YOU MAY ALSO LIKE

    Brouillons d’un baiser – James Joyce
    Brouillons d’un baiser
    August 17, 2020
    Ulysses – James Joyce
    Ulysses
    August 17, 2020
    Molly Bloom – James Joyce
    Molly Bloom
    August 17, 2020
    Portrait de l’artiste en jeune homme – James Joyce
    Portrait de l’artiste en jeune homme
    August 17, 2020
    Tags:
    Classique, Fiction, Historique, Littérature
    • Privacy Policy
    • ABOUT US
    • Contact Us
    • Copyright
    • DMCA Notice

    © 2020 Copyright par l'auteur des livres. Tous les droits sont réservés.

    Sign in

    Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Sign Up

    Register For This Site.

    Log in | Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Lost your password?

    Please enter your username or email address. You will receive a link to create a new password via email.

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!