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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 39
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    Parkinson, mais c’est une époque trop reculée pour moi.

    – Une merveilleuse, pure, douce et mélodieuse voix de ténor anglais, dit tante Kate avec enthousiasme.

    Gabriel ayant terminé, l’énorme pudding fut transporté sur la table. Le bruit de fourchettes et de cuillères reprit. La femme de Gabriel servait le pudding par cuillerées et faisait passer les assiettes jusqu’au bas de la table. À mi-chemin, elles étaient retenues par Mary Jane qui les remplissait de gelée de framboise ou d’orange ou de blanc-manger et de confitures. Le pudding était l’œuvre de tante Julia et de tous côtés elle en reçut des éloges. Elle répondit qu’elle ne le trouvait pas tout à fait assez brun.

    – Eh bien ! j’espère, Miss Morkan, dit M. Browne, que je suis assez brun pour vous, parce que, vous savez, je suis tout brun{11}.

    Tous les messieurs, sauf Gabriel, goûtèrent au pudding par déférence pour tante Julia. Comme Gabriel ne prenait jamais d’entremets, on lui laissa le céleri. Freddy Malins prit aussi une tige de céleri et le mangea avec son pudding. Il lui avait été dit que le céleri était excellent pour le sang et justement il était entre les mains du médecin. Mme Malins, qui pendant tout le souper était demeurée silencieuse, dit que son fils comptait aller à Mont-Cilleray d’ici une semaine ou deux. La conversation roula alors sur Mont-Cilleray : comme l’air y était vivifiant ! combien les moines y étaient hospitaliers ! jamais ils ne réclamaient un centime à leurs hôtes.

    – Et vous voulez nous faire accroire, demanda M. Browne d’un ton incrédule, que n’importe qui peut aller là-bas, s’y installer comme à l’hôtel, manger à cœur joie et s’en revenir sans rien payer ?

    – Oh ! la plupart des gens font quelque don au monastère avant de s’en aller, dit Mary Jane.

    – Je voudrais bien que nous eussions une installation de ce genre dans notre Église, dit M. Browne avec candeur.

    Il était fort étonné d’apprendre que les moines ne parlaient jamais, se levaient à deux heures du matin et dormaient dans leurs cercueils. Il en demanda la raison.

    – C’est le règlement de leur ordre, dit tante Kate avec fermeté.

    – Oui, mais pourquoi ? demanda M. Browne.

    Tante Kate répéta que c’était le règlement, voilà tout. M. Browne semblait toujours ne pas comprendre. Freddy Malins expliqua de son mieux que les moines s’efforçaient de racheter les péchés commis par tous les pécheurs du siècle. L’explication n’était pas très claire, car M. Browne ricana et dit :

    – Cette idée me plaît, mais est-ce qu’un bon lit à ressorts ne ferait pas tout aussi bien l’affaire qu’un cercueil ?

    – Le cercueil, dit Mary Jane, est pour leur rappeler leur dernière heure.

    Le sujet ayant pris un tour lugubre se perdit dans un complet silence, pendant lequel on put entendre Mme Malins dire à sa voisine à voix basse :

    – Ce sont des hommes très bons, ces moines, des hommes très pieux.

    Raisins secs, amandes, figues, pommes, chocolats, bonbons furent passés autour de la table, et tante Julia invita tous les convives à prendre un verre de porto ou de sherry. M. Bartell d’Arcy commença par décliner les deux, mais un de ses voisins le poussa du coude et lui chuchota quelque chose, sur quoi il laissa remplir son verre. À mesure que les derniers verres se remplissaient, la conversation tombait. Un silence s’ensuivit, interrompu seulement par le vin qui coulait et par le déplacement de chaises. Les trois Miss Morkan regardèrent la nappe. Quelqu’un toussa une ou deux fois, puis plusieurs messieurs tapotèrent légèrement sur la table pour réclamer le silence. Le silence s’établit et Gabriel repoussa sa chaise et se leva. Le tapotement s’accrut aussitôt en manière d’encouragement, puis cessa tout à fait. Gabriel appuya ses dix doigts tremblants sur la nappe et dirigea à l’adresse de la société un sourire nerveux. Son regard, ayant rencontré une rangée de visages tournés vers lui, se porta vers le lustre. Le piano jouait un air de valse et il entendait le bruissement des jupes contre la porte du salon. Peut-être que dehors, sur le quai, des gens se tenaient debout dans la neige, contemplant les fenêtres éclairées et prêtant l’oreille aux sons de la valse. L’air était pur dehors. Au loin était le parc où les arbres ployaient sous la neige. Le monument de Wellington portait un bonnet de neige scintillant qui luisait sur l’ouest par-dessus la blanche prairie de Quinze ares. Il commença :

    « Mesdames, Messieurs,

    « Ainsi que les années précédentes, m’incombe ce soir un devoir fort agréable, mais un devoir, lequel, je le crains, dépasse la mesure de mes facultés oratoires.

    – Non, non, dit M. Browne.

    « Mais quoi qu’il en soit, je ne puis que vous demander de bien vouloir ne tenir compte que de l’intention et me prêter une oreille attentive quelques instants, tandis que je m’efforcerai de vous exprimer la nature des sentiments que j’éprouve en une circonstance comme celle-ci.

    « Mesdames, messieurs, ce n’est point la première fois que nous nous trouvons réunis sous ce toit hospitalier, autour de cette table non moins hospitalière. Ce n’est pas la première fois que nous sommes les objets, peut-être faudrait-il dire les victimes, de l’hospitalité de certaines aimables dames ici présentes. »

    Il traça un cercle dans l’espace et rit un temps. Tout le monde rit ou sourit à tante Kate, tante Julia et Mary Jane qui rougirent de plaisir. Gabriel poursuivit avec plus d’assurance :

    « Chaque année, je sens avec une intensité croissante que notre pays n’a pas de tradition qui lui fasse plus d’honneur ni qu’il doive garder plus jalousement que celle de son hospitalité. C’est une tradition qui, chez les nations modernes, me semble unique, autant que je puis en juger par mon expérience (et j’ai vu pas mal de pays étrangers). Quelques-uns vous diront peut-être que chez nous c’est plutôt un de nos défauts qu’une chose dont nous ayons à nous glorifier. Mais même ceci admis, à mon avis ce n’en est pas moins un défaut princier et qui sera, je le souhaite, longtemps cultivé parmi nous. D’un fait, en tout cas, je me porte garant. Tant que ce toit abritera ces bonnes dames visées plus haut – et j’espère du fond du cœur qu’il en sera ainsi pendant bien des années à venir – la tradition de la courtoise, chaleureuse et sincère hospitalité irlandaise que nos aïeux nous ont transmise, et qu’il nous faudra, à notre tour, transmettre à nos descendants, demeurera toujours vivace parmi nous. »

    Un chaleureux murmure d’assentiment courut autour de la table. La pensée que Miss Ivors n’était pas là et qu’elle était partie d’une façon peu courtoise traversa l’esprit de Gabriel et il dit plein de confiance en lui-même :

    « Mesdames, Messieurs,

    « Une génération nouvelle grandit parmi nous, une génération animée d’idées et de principes nouveaux, qui prend au sérieux et s’exalte pour ces idées nouvelles, et son enthousiasme, même lorsqu’il fait fausse route, est, j’en suis convaincu, dans l’ensemble, sincère. Mais nous vivons dans une époque de scepticisme et, si je puis m’exprimer ainsi, « torturée de pensées » ; et quelquefois je crains que cette nouvelle génération éduquée et suréduquée comme elle l’est ne manque de ces qualités d’humanité et d’hospitalité, de bonne humeur, qui ont été l’apanage d’une autre époque. En entendant ce soir les noms de tous nos illustres chanteurs du passé, il m’a semblé, je le confesse, que nous vivions à une époque moins spacieuse. Les temps anciens peuvent, sans exagération, être qualifiés de spacieux, et, s’ils sont révolus sans espoir de retour, souhaitons du moins que dans des réunions semblables à celle-ci nous en reparlions toujours avec orgueil et affection, que nous continuions à chérir la mémoire de ces grands disparus, dont le monde ne laissera pas volontairement périr la gloire.

    – Bien ! Bien ! dit M. Browne d’une voix forte.

    « Mais néanmoins, poursuivit Gabriel, sa voix déclinant en une inflexion plus douce, il arrive toujours, dans des réunions comme celle-ci, que de plus tristes pensées reviennent visiter nos esprits : pensées du passé, de jeunesse, de transformations, de visages dont nous sentons ce soir l’absence. Notre route à travers la vie est semée de beaucoup de souvenirs et si nous devions les entretenir toujours, nous n’aurions plus le cœur d’accomplir courageusement notre tâche parmi les vivants. Nous avons tous dans la vie des devoirs, des affections qui réclament, et réclament à bon droit, nos efforts soutenus. C’est pourquoi je ne m’attarderai pas sur le passé. Je ne veux pas qu’un triste sermon pèse sur nous ce soir. Nous voici réunis, échappés pour quelques courts instants à la poussée, à la cohue de notre routine quotidienne. Nous nous unissons ici en amis, dans un esprit de bonne entente comme des confrères, et jusqu’à un certain point dans un véritable esprit de camaraderie, et aussi en hôtes – comment les qualifier autrement ? – des trois grâces du monde musical de Dublin. »

    Cette allusion fut saluée autour de la table par une salve d’applaudissements et une explosion de rires. En vain tante Julia demande tour à tour à ses voisines ce que Gabriel venait de dire.

    – Il dit que nous sommes les trois grâces, tante Julia, dit Mary Jane.

    Tante Julia ne comprenait pas, mais elle leva les yeux en souriant vers Gabriel qui poursuivit dans la même veine :

    « Mesdames, Messieurs,

    « Je ne me hasarderai pas à jouer ce soir le rôle que Pâris joua dans une autre circonstance. Je ne me hasarderai pas à choisir parmi elles. La tâche serait scabreuse et au-dessus de mes moyens, car lorsque je les passe chacune en revue, que ce soit notre principale hôtesse elle-même dont la bonté, la trop

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