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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 37
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    était une exaltée ; mais en toute chose il faut choisir le bon moment. Peut-être n’aurait-il pas dû lui répondre de la sorte. Tout de même elle n’avait pas le droit de le traiter d’Anglish en public. Elle avait essayé de le rendre ridicule devant les autres, le harcelant de questions et le dévisageant avec ses yeux de lapin.

    Il aperçut sa femme qui se frayait un passage vers lui à travers les couples de valseurs. Lorsqu’elle l’eut rejoint, elle lui dit à l’oreille :

    – Gabriel, tante Kate voudrait savoir si vous comptez découper l’oie comme d’habitude. Miss Daily coupera le jambon et je me chargerai du pudding.

    – Ça va, dit Gabriel.

    – Elle fait rentrer les plus jeunes d’abord, sitôt après que la valse sera finie, de sorte que nous aurons la table pour nous.

    – Vous avez dansé ? demanda Gabriel.

    – Bien sûr, ne m’avez-vous pas vue ? À quel propos vous êtes-vous disputé avec Miss Ivors ?

    – Nous ne nous sommes pas disputés. Pourquoi ? Elle vous a dit cela ?

    – Ou quelque chose d’approchant. Je cherche à obtenir de M. d’Arcy qu’il chante. Il est bouffi d’orgueil, je crois.

    – Nous ne nous sommes pas disputés, dit Gabriel d’un ton morne, seulement elle voulait me faire faire un tour dans l’ouest de l’Irlande et je lui disais que je ne voulais pas.

    Sa femme fit un petit saut et joignit les mains avec ardeur.

    – Oh ! allez-y, Gabriel, s’écria-t-elle, j’aimerais tant revoir Galway.

    – Vous êtes libre d’y aller si cela vous chante, dit Gabriel froidement.

    Elle le regarda un instant, puis se tourna vers Mme Malins et dit :

    – Voilà un gentil mari, madame Malins.

    Pendant qu’il se refaisait un chemin à travers le salon, Mme Malins, sans tenir compte de cette interruption, continua à raconter à Gabriel quels beaux endroits il y avait en Écosse et quels beaux paysages. Son gendre les conduisait chaque année aux lacs et ils allaient pêcher. Son gendre était un pêcheur de premier ordre. Un jour il avait pris un beau gros poisson et l’homme de l’hôtel le leur avait fait cuire pour le dîner. Gabriel entendait à peine ce qu’elle disait ; maintenant que l’heure du souper approchait, il repensait à son discours et à sa citation. Quand il aperçut Freddy Malins qui traversait la pièce pour rejoindre sa mère, Gabriel lui passa sa chaise et alla se retirer dans l’embrasure de la fenêtre. Le salon commençait à se vider et de la pièce du fond parvenait un cliquetis d’assiettes et de couteaux. Ceux qui demeuraient encore au salon semblaient las de danser et causaient tranquillement par petits groupes. Gabriel tambourinait la vitre froide de ses doigts chauds et tremblants. Comme il devait faire frais au-dehors ! comme il serait agréable de sortir seul et de se promener, de longer d’abord la rivière, puis de traverser le parc ! La neige recouvrait sans doute les branches des arbres et coiffait d’un bonnet scintillant le monument de Wellington. Comme il ferait meilleur là-bas que dans la salle du souper ! Il repassa mentalement les divers points de son discours : l’hospitalité irlandaise, les souvenirs tristes, les trois grâces, Paris, la citation de Browning. Il se remémora une phrase qu’il avait écrite dans un de ses comptes rendus : « On sent que l’on assiste à une musique torturée de pensée. » Miss Ivors avait loué l’article. Était-elle sincère ? Vivait-elle réellement d’une vie personnelle derrière le zèle de sa propagande ? Jamais jusqu’à ce soir il n’y avait eu entre eux la moindre animosité. Il se sentait perdre contenance à l’idée qu’elle serait à table et que tandis qu’il parlerait elle lèverait sur lui des yeux critiques et railleurs. Peut-être ne serait-elle pas fâchée de le voir rater dans son discours. Une idée vint le raffermir. Il dirait en se référant à tante Kate et à tante Julia : « Mesdames, messieurs, la génération qui est sur son déclin peut avoir eu ses défauts, mais, à son avis, possédait, je crois, certaines qualités d’hospitalité, d’humour, d’humanité qui semblent faire défaut à la génération actuelle, génération fort grave et instruite à l’excès, que nous voyons grandir autour de nous. » Très bien, voilà pour Miss Ivors. Qu’importait à Gabriel que ses tantes ne fussent que deux femmes âgées et ignorantes ? Dans la salle, une rumeur attira son attention. De la porte, M. Browne s’avançait escortant galamment tante Julia qui souriait confuse et s’appuyait sur son bras, les yeux baissés. Une salve d’applaudissements lui fit également escorte jusqu’au piano, puis, comme Mary Jane s’installait sur le tabouret et que tante Julia qui ne souriait plus se tournait à demi, de façon à lancer sa voix dans la chambre, les applaudissements cessèrent peu à peu. Gabriel reconnut le prélude d’une vieille chanson de tante Julia : Parée pour les noces. D’une voix claire et sonore, elle entonna brillamment les roulades qui embellissaient la mélodie et bien qu’elle chantât très vite, elle ne manqua pas la moindre appogiature. Suivre la voix, sans regarder le chanteur, c’était ressentir et partager la griserie d’un vol, rapide et sûr. Gabriel applaudit bruyamment comme tout le monde quand la chanson prit fin, et de la table du souper qui leur était invisible, de bruyants applaudissements leur parvinrent, vraisemblablement si sincères qu’une légère rougeur s’insinua sur le visage de tante Julia comme elle se baissait pour remettre, dans le casier à musique, le recueil de mélodies dont la reliure de cuir fatigué portait ses initiales. Freddy Malins, qui l’avait écoutée, penchant la tête pour mieux entendre, applaudissait encore après que les autres avaient cessé et parlait à sa mère avec animation, pendant que celle-ci approuvait de la tête d’un air grave. Quand il fut à bout d’applaudissements, il se leva et courut à travers la chambre vers tante Julia, lui saisit la main entre les deux siennes, la secouant lorsque les mots venaient à lui manquer ou que son hoquet prenait le dessus :

    – Je disais justement à ma mère, dit-il, que je ne vous avais jamais entendue chanter aussi bien que ce soir. Jamais. Non, vous n’avez jamais été en voix comme ce soir. Voilà ! Le croiriez-vous ? c’est la vérité. Parole d’honneur. La pure vérité. Jamais je n’ai entendu votre voix aussi fraîche, aussi claire, aussi fraîche, jamais.

    Tante Julia s’épanouit et murmura quelque chose à propos des compliments en général, tandis qu’elle dégageait sa main de cette étreinte, M. Browne lui tendit la sienne et dit à ceux qui se trouvaient près de lui, à la façon d’un montreur de foire présentant un phénomène à l’assistance :

    – Miss Julia Morkan, ma dernière trouvaille.

    Il riait aux éclats de sa propre plaisanterie, lorsque Freddy Malins se tourna vers lui et dit :

    – Eh bien, Browne, si vous parlez sérieusement, vous pourriez trouver plus mal. Tout ce que je puis dire, c’est que jamais je ne l’ai entendue chanter aussi bien depuis que je viens ici. Et c’est la pure vérité.

    – Moi non plus, dit M. Browne, je crois que sa voix a fait de grands progrès.

    Tante Julia haussa les épaules et dit avec un timide orgueil :

    – En fait de voix, la mienne n’était pas vilaine il y a trente ans.

    – J’ai souvent dit à Julia, articula tante Kate avec énergie, que chanter dans ce chœur c’était galvauder son talent. Mais elle n’a jamais voulu m’écouter.

    Elle se tourna comme pour faire appel au bon sens des autres à l’encontre d’un enfant réfractaire, tandis que tante Julia regardait droit devant elle, un vague sourire plein de réminiscences jouant sur son visage.

    – Non, poursuivit tante Kate, elle n’a jamais voulu m’écouter ni moi, ni personne ; elle s’escrimait dans ce chœur nuit et jour. À six heures du matin, le jour de Noël et tout cela, à quoi bon ?

    – Eh bien, n’est-ce pas pour honorer Dieu, tante Kate ? demanda Mary Jane pivotant sur son tabouret de piano avec un sourire.

    Indignée, tante Kate se tourna vers sa nièce et dit :

    – Je sais tout ce qui est dû à l’honneur de Dieu, Mary Jane, mais je crois que ce n’est pas du tout à l’honneur du pape de renvoyer des chœurs toutes les femmes qui y ont peiné leur vie durant, pour les remplacer par des marmots de rien. Je suppose que si le pape agit de la sorte, c’est pour le bien de l’Église. Mais ce n’est pas bien, Mary Jane, et ce n’est pas juste.

    Elle était échauffée et aurait poursuivi l’apologie de sa sœur, car c’était là pour elle un sujet cuisant, si Mary Jane, voyant revenir les danseurs, ne fût intervenue en pacificatrice.

    – Allons, tante Kate, vous êtes celle par qui arrive le scandale et cela devant M. Browne qui appartient à l’autre culte.

    Tante Kate se tourna vers M. Browne que cette allusion à sa foi faisait ricaner et dit vivement :

    – Oh ! je ne discute pas les droits du pape. Je ne suis qu’une vieille femme stupide et je ne me permettrai pas de le faire. Mais il existe tout de même une politesse et une reconnaissance de tous les jours. Et si j’étais Julia, je ne me gênerais pas pour le dire à la face du père Healy.

    – Et d’ailleurs, tante Kate, dit Mary Jane, nous avons très faim et quand on a faim on se sent d’humeur batailleuse.

    – Et quand on a soif aussi, ajouta M. Browne.

    – C’est pourquoi nous ferions mieux d’aller souper, dit Mary Jane, nous reprendrons plus tard cette discussion.

    Sur le palier attenant au salon, Gabriel trouva sa femme et Mary Jane qui cherchaient à retenir Miss Ivors. Mais Miss Ivors, qui avait mis son

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