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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 17
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    en présence du public, sa course dans l’escalier et la bière qu’il avait avalée si vite, lui avaient brouillé les idées et en s’asseyant devant son pupitre pour chercher ce qu’on lui réclamait, il se rendit compte qu’il était inutile d’essayer de terminer l’exemplaire de son contrat pour cinq heures et demie. La nuit humide et sombre approchait et l’envie le prenait de la passer dans les brasseries à boire avec ses camarades, à la lueur du gaz et parmi l’entrechoquement des verres. Il s’empara de la correspondance Delacour et quitta le bureau. Il espérait que M. Alleyne ne s’apercevrait pas que les deux dernières lettres manquaient.

    Le parfum moite et pénétrant traînait tout le long du chemin jusqu’au bureau de M. Alleyne. Miss Delacour était une femme entre deux âges, d’apparence juive. On disait que M. Alleyne lui faisait les yeux doux, à elle ou à son argent. Elle venait souvent à l’étude et y restait longtemps. Elle était assise en ce moment près du bureau de M. Alleyne, dans un arôme de parfums, caressant le manche de son parapluie et agitant la grande plume noire de son chapeau. M. Alleyne avait fait pivoter sa chaise pour la dévisager et croisé prestement son pied droit par-dessus son genou gauche. L’homme posa la correspondance sur le bureau et salua respectueusement. Mais ni M. Alleyne ni Miss Delacour ne firent la moindre attention à son salut. M. Alleyne tapota la correspondance d’un doigt, puis le pointa vers Farrington comme pour dire : Ça va bien, vous pouvez vous retirer.

    L’homme retourna au bureau en dessous et se rassit devant son pupitre. Il fixa intensément la phrase inachevée : « In no case shall the said Bernard Bodley be{3}… », et pensa combien il était étrange que les trois mots commençassent par les mêmes initiales. Le chef de bureau se mit à bousculer Miss Parker, disant que les lettres ne seraient jamais tapées à temps pour le courrier. L’homme écouta le cliquetis de la machine pendant quelques minutes, puis se mit en devoir de terminer sa copie. Mais ses idées se brouillaient et sa pensée vagabondait vers l’éclat et le vacarme de la brasserie. C’était une nuit à s’appuyer des punchs chauds. Il continua à se débattre avec sa copie et quand la pendule sonna cinq heures, il avait encore quatorze pages à écrire. Malédiction ! il ne finirait jamais à temps. Il aurait voulu blasphémer, abattre son poing violemment sur quelque chose. Il était à ce point exaspéré qu’il écrivit Bernard Bernard, à la place de Bernard Bodley, et dut recommencer sur une feuille propre.

    Il se sentait de force à faire place nette dans le bureau entier en un tour de main. Son corps le brûlait du désir de faire quelque chose, de se précipiter au-dehors, de se dépenser en violences. Les affronts qu’il avait subis depuis qu’il était au monde l’exaspéraient… Pouvait-il demander confidentiellement au caissier de lui faire une avance ? Mais rien à faire avec le caissier. Non, fichtre, rien à faire… Il savait où retrouver les camarades : Léonard et O’Halloran et Nosey Flynn. Le baromètre de sa nature émotive marquait : tempête.

    Son imagination l’occupait à ce point qu’on dut l’appeler par deux fois avant qu’il ne répondît. M. Alleyne et Miss Delacour se tenaient en dehors du comptoir et tous les employés s’étaient retournés dans l’attente de quelque chose ! L’homme se leva. M. Alleyne entama un chapelet d’invectives, disant qu’il manquait deux lettres. L’homme répondit qu’il n’était pas au courant de la chose, qu’il avait exécuté fidèlement sa copie. Le chapelet se déroulait si amer, si violent, que l’homme eut peine à se tenir d’abattre le poing sur la tête du nabot qui était devant lui.

    – Je ne sais rien au sujet de ces deux lettres, dit-il bêtement.

    – Vous ne savez rien ? Bien entendu, vous ne savez rien, dit M. Alleyne. Dites-moi, poursuivit-il, guettant d’abord un regard approbateur de la dame à côté de lui. Me prenez-vous pour un imbécile ? Pour un imbécile ?

    L’homme dirigea son regard du visage de la dame à la petite tête en forme d’œuf, puis retourna à son premier objectif ; et presque avant qu’il en eût pris conscience, il saisit l’instant propice.

    – Je ne crois pas, monsieur, dit-il, que ce soit là une question à me poser à moi.

    Il y eut une pause jusque dans la respiration des employés. Tous étaient stupéfaits (l’auteur de cette saillie non moins que ses voisins) et Miss Delacour, qui était une forte et aimable personne, esquissa un large sourire. M. Alleyne devint rose, comme une églantine et sa bouche se contracta d’une colère de gnome. Il secoua son poing à la face de l’homme jusqu’à le faire vibrer comme le bouton de quelque machine électrique :

    – Grossier scélérat, grossier scélérat ! vous n’y couperez pas, attendez, vous allez voir ! Vous allez me faire vos excuses pour votre impertinence ou vous quitterez le bureau illico ! Vous sortirez d’ici, je vous dis, ou vous me ferez vos excuses !

    ***********

    L’homme se tenait dans l’embrasure d’une porte d’entrée en face celle du bureau, guettant le caissier pour le cas où celui-ci sortirait seul. Tous les employés défilèrent. Finalement, le caissier surgit avec le chef de bureau. Il était inutile de lui parler lorsqu’il était avec le chef de bureau. L’homme sentait le précaire de sa situation. Il avait été forcé de présenter d’abjectes excuses à M. Alleyne pour son impertinence ; mais il savait quel guêpier le bureau serait pour lui maintenant. Il se souvenait de la façon dont M. Alleyne avait chassé le petit Peake du bureau pour faire une place à son propre neveu. Il se sentait farouche, altéré, vindicatif, irrité contre lui-même et contre tous. Jamais M. Alleyne ne lui laisserait une heure de répit ; sa vie serait un enfer. Il s’était rendu ridicule cette fois. Ne pouvait-il tenir sa langue ? Dès le début, il ne s’était jamais entendu avec M. Alleyne, depuis le jour où M. Alleyne l’avait surpris contrefaisant son accent du nord de l’Irlande pour divertir Higgins et Miss Parker. Et voilà comment cela avait commencé. Peut-être aurait-il pu tirer quelque argent de Higgins, mais Higgins n’avait jamais rien pour lui-même. Un homme qui doit faire face de deux côtés ne peut naturellement pas…

    Il sentit de nouveau son grand corps souffrir tant il aspirait à la consolation de la brasserie. Le brouillard commençait à le glacer et il se demandait s’il pourrait taper Pat chez O’Neill. Il ne pourrait pas le taper de plus d’une balle et une balle ne lui servirait à rien. Pourtant il fallait trouver de l’argent d’une façon ou d’une autre ; il avait dépensé son dernier sou pour le verre de bière et bientôt il serait trop tard pour trouver de l’argent où que ce soit. Tout à coup, comme il jouait avec sa chaîne de montre, il pensa à l’usurier Terry Kelly dans Fleet Street. Le filon ! Pourquoi n’y avait-il pas songé plus tôt ?

    Il traversa rapidement l’étroit passage du Temple Bar, se marmottant à lui-même que tous les autres pouvaient bien aller au diable, mais que lui allait pouvoir s’en donner toute la nuit. L’employé de Terry Kelly dit : « Une couronne », mais le consignateur tint bon pour six shillings qui finalement lui furent octroyés. Il sortit de la boutique joyeusement, faisant un petit rouleau de ses piécettes entre le pouce et l’index. Dans Westmoreland Street, les trottoirs fourmillaient de jeunes gens, de jeunes femmes qui revenaient de leur travail, et les gamins dépenaillés couraient ci et là criant les journaux du soir. L’homme traversa la foule, considérant le spectacle de haut avec une orgueilleuse satisfaction et jetant des regards dominateurs sur les filles de bureau. Dans sa tête résonnaient la corne des tramways, le grincement des trolleys et son nez flairait déjà les volutes du punch fumant. Tandis qu’il marchait, il réfléchit aux termes qu’il allait employer pour narrer l’incident aux camarades :

    – Alors je le regardai, – froidement, vous savez, puis elle. Puis je le regardai lui encore…, prenant mon temps : « Je ne trouve pas que ce soit une question à me poser à moi », que je dis.

    Nosey Flynn était assis dans son coin habituel chez Davy Byrne et lorsqu’il entendit l’histoire il lui paya un demi-verre disant que c’était là la plus verte réplique qu’il eût jamais entendue. Farrington paya une autre tournée. Peu après O’Halloran et Paddy Léonard entrèrent et l’histoire leur fut répétée. O’Halloran paya des demis débordants de malt chaud et leur dit la réponse qu’il avait faite lui aussi au chef de bureau alors qu’il était chez Callan dans Fownes Street. Mais comme cette réponse rappelait la manière des libres bergers dans les églogues, il dut convenir qu’elle n’était pas aussi habile que celle de Farrington. Sur quoi Farrington répondit aux camarades de vider leur verre et d’en faire apporter d’autres.

    Au moment où ils commandaient leurs poisons respectifs, qui est-ce qui fit son entrée ? Higgins ! Naturellement Higgins dut se joindre à eux. Les hommes lui demandèrent sa version de l’histoire et il s’exécuta avec une grande alacrité, car la vue des cinq petits whiskys bouillants était fort excitante. Tout le monde éclata de rire quand il montra la façon dont M. Alleyne avait secoué son poing à la face de Farrington. Puis il contrefit Farrington disant : « Et voilà mon bonhomme aussi placide que vous l’imaginez » ; tandis que Farrington considérait la compagnie de ses yeux lourds et sales, souriant et aspirant par intervalles à l’aide de sa lèvre inférieure les quelques gouttes

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