▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
Recherche avancée
Sign in Sign up
  • Home
  • Tous les livres
    • Livres populaires
    • Livres tendance
  • BLOG
    Sign in Sign up
    1. Home
    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 15
    Prev
    Next

    je me suis marié, il y a eu un an au mois de mai.

    – J’espère qu’il n’est pas trop tard pour t’apporter mes meilleurs vœux, dit Ignatius Gallaher, je ne connaissais pas ton adresse ou je l’aurais déjà fait.

    Il tendit sa main que le petit Chandler serra dans la sienne.

    – Eh bien, Tommy, dit-il, je souhaite à toi et aux tiens toutes les joies de ce monde, mon vieux, de l’argent à la pelle et puissiez-vous ne jamais mourir jusqu’au jour où je vous tuerai ; voilà le souhait d’un sincère, d’un vieil ami. Tu le sais, n’est-ce pas ?

    – Je le sais, dit le petit Chandler.

    – Des gosses ? dit Ignatius Gallaher.

    Le petit Chandler rougit de nouveau.

    – Nous avons un enfant, dit-il.

    – Garçon ou fille ?

    – Un petit garçon.

    Ignatius Gallaher lui allongea une vigoureuse bourrade :

    – Bravo, dit-il, je ne doute pas de toi, Tommy.

    Le petit Chandler sourit, regarda avec confusion son verre et mordit sa lèvre inférieure avec trois de ses blanches dents d’enfant.

    – J’espère que tu passeras une soirée avec nous, dit-il, avant ton départ. Ma femme sera enchantée de te connaître. Nous pourrons faire un peu de musique et…

    – Merci mille fois, mon vieux, dit Ignatius Gallaher, je regrette de ne pas t’avoir retrouvé plus tôt, mais je dois repartir demain soir.

    – Alors, ce soir peut-être !…

    – Je regrette beaucoup, mon vieux. Tu comprends, je suis ici avec un autre type, un jeune garçon intelligent, ma foi, et nous avons organisé une partie de cartes pour ce soir ; si ce n’était cela…

    – Oh ! dans ce cas…

    – Mais qui sait ? corrigea Ignatius Gallaher, peut-être pourrai-je, l’année prochaine, faire un saut jusqu’ici, maintenant que j’ai repris contact. Ce n’est que partie remise.

    – Très bien ; la prochaine fois, tu nous réserveras une de tes soirées. C’est entendu, n’est-ce pas ?

    – Oui, c’est entendu, dit Ignatius Gallaher, l’année prochaine, si je viens, parole d’honneur !

    – Et pour conclure le marché, dit le petit Chandler, buvons encore un verre !

    Ignatius Gallaher tira de sa poche une grosse montre en or.

    – Le dernier, alors, n’est-ce pas ? parce que, tu sais, j’ai un rendez-vous…

    – Oh oui ! certainement, dit le petit Chandler.

    – Eh bien, alors, dit Ignatius Gallaher, buvons le coup de l’étrier ; c’est un bon terme pour un petit whisky, ma parole.

    Le petit Chandler commanda les boissons. La rougeur qui lui était montée au visage quelques minutes auparavant s’y étendait. Un rien le faisait rougir à tous moments, et maintenant il avait très chaud et se sentait en train. Trois petits whiskys lui étaient montés à la tête et le fort cigare de Gallaher lui avait troublé l’esprit, car c’était une personne de constitution délicate et d’habitudes de tempérance. Le fait de rencontrer Gallaher après huit ans, de se trouver avec Gallaher chez Corless, entourés de lumière et de bruit, d’écouter les histoires de Gallaher et de partager pendant quelques minutes son existence, vagabonde et triomphante, bouleversait l’équilibre de sa nature si sensible. Il ressentait de façon aiguë le contraste entre sa propre vie et celle de son ami, et cela lui paraissait injuste. Gallaher était son inférieur de naissance et d’éducation. Il était sûr de pouvoir mieux faire que son ami n’avait fait jusqu’ici ou ne ferait jamais ; de s’élever, si seulement il en avait l’occasion, à quelque chose de supérieur à ces besognes de journalisme clinquant. Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Sa malheureuse timidité. Il désirait, de quelque façon que ce fût, affirmer sa virilité. Il comprit ce qui avait poussé Gallaher à refuser son invitation. Gallaher jouait au protecteur en l’honorant de son amitié, comme il jouait au protecteur envers l’Irlande en l’honorant de sa visite.

    Le barman apporta les boissons. Le petit Chandler poussa un verre du côté de son ami et se saisit de l’autre bravement :

    – Qui sait ? dit-il, tandis qu’ils levaient leurs verres ; quand tu viendras l’année prochaine, j’aurai peut-être le plaisir de souhaiter longue vie et prospérité à M. et Mme Ignatius Gallaher.

    Ignatius Gallaher, sur le point de se mettre à boire, lui lança par-dessus bord une œillade expressive. Quand il eut bu, il fit claquer ses lèvres, posa son verre et dit :

    – Ne t’en fais pas, mon vieux, je veux d’abord me donner du large avant de me fourrer la tête dans le sac, si cela m’arrive jamais.

    – Un jour, tu y viendras, dit le petit Chandler avec calme.

    Ignatius Gallaher tourna en plein sur son ami sa cravate orange et ses yeux bleu ardoise :

    – Tu crois ?

    – Tu mettras la tête dans le sac, répéta, crâne, le petit Chandler, comme tout le monde, si jamais tu trouves la fille.

    Il avait donné quelque poids à ses paroles et comprenait qu’il s’était trahi, mais bien que le rouge de ses joues se fût accusé, il ne broncha pas sous le regard de son ami. Ignatius Gallaher l’observa quelques instants, puis dit :

    – Si jamais cela m’arrive, tu peux parier ton dernier rond que cela se passera sans roucoulements au clair de lune. J’entends faire un mariage d’argent. Elle aura un compte en banque ou elle ne fera pas le mien.

    Le petit Chandler secoua la tête.

    – Mais, sapristi, dit Ignatius Gallaher avec véhémence, sais-tu que je n’ai qu’à parler ? et, demain, j’aurai la femme et l’argent. Tu ne le crois pas ? Eh bien, moi, je le sais. Il y a des centaines, que dis-je ? des milliers de riches Allemandes et des juives pourries d’argent qui ne seraient que trop heureuses… Attends un peu, mon garçon, tu verras si je ne joue pas bien mes cartes. Quand je m’occupe d’une chose, j’agis en homme d’affaires, je te dis. Attends un peu.

    Il porta son verre à ses lèvres, le vida d’un trait et rit aux éclats. Puis il regarda pensivement devant lui et dit d’un ton plus calme :

    – Mais je ne suis pas pressé. Qu’elles attendent ! Je ne me vois pas lié à une seule femme, tu sais.

    Il imita avec sa bouche l’action de goûter et fit la grimace.

    – Cela doit finir par être un peu rassis, je pense, dit-il.

    ***********

    Le petit Chandler était assis dans une chambre attenant au vestibule et tenait un enfant dans les bras. Par mesure d’économie, ils n’avaient pas de domestique ; mais Monique, la jeune sœur d’Annie, venait une ou deux heures matin et soir donner un coup de main. Mais il y avait longtemps que Monique était partie. Il était neuf heures moins le quart. Le petit Chandler était rentré tard pour le thé et, de plus, il avait oublié d’apporter à Annie le paquet de café de chez Bewley. Bien entendu, elle était de mauvaise humeur et lui répliquait sèchement. Elle déclara qu’elle se passerait de thé, mais quand approcha l’heure de la fermeture de la boutique du coin, elle décida qu’elle irait elle-même chercher un quart de livre de thé et deux livres de sucre. Habilement, elle lui posa dans les bras l’enfant endormi et dit : « Tiens. Ne le réveille pas. »

    Une petite lampe sous un abat-jour de porcelaine blanche était sur la table et éclairait en plein une photographie dans un cadre de corne tournée. C’était le portrait d’Annie. Le petit Chandler le regarda, s’attardant devant les lèvres minces et serrées. Elle portait une blouse d’été bleu pâle qu’il lui avait offerte en revenant à la maison un samedi. Cela lui avait coûté dix shillings et onze pence, mais par quelle agonie d’appréhension il avait passé ! Comme il avait souffert ce jour-là, attendant devant la porte du magasin jusqu’à ce que celui-ci fût vide, se tenant debout devant le comptoir et s’efforçant de paraître à son aise tandis que la vendeuse empilait des corsages devant lui ; payant à la caisse et oubliant de reprendre l’unique sou de monnaie, rappelé par le caissier et finalement s’efforçant de dissimuler ses joues en feu, comme il quittait le magasin, en examinant le paquet pour vérifier s’il avait été bien ficelé ! Quand il lui apporta le corsage, Annie l’embrassa et lui dit qu’elle le trouvait très joli et à la mode, mais lorsqu’elle en sut le prix, elle le jeta sur la table et déclara que c’était une véritable escroquerie que de lui demander dix shillings et onze pence pour un article pareil. Tout d’abord elle voulut le rapporter, mais lorsqu’elle l’eut essayé, elle fut enchantée, surtout de la façon des manches, et elle embrassa le petit Chandler, disant qu’il avait été bien bon de penser à elle.

    Hum !…

    Il regarda avec froideur les yeux du portrait qui lui répondirent avec la même froideur. Certes, ils étaient jolis et le visage lui-même était joli. Mais il lui trouvait quelque chose de mesquin. Pourquoi avait-il l’air aussi indifférent, aussi distingué ? Le calme des yeux l’irritait. Ceux-ci le repoussaient, le défiaient, ils ne recelaient aucune passion, aucune envolée. Il songea à ce que Gallaher lui avait dit des juives riches. Ces sombres yeux d’Orient, pensait-il, sont pleins de passion, de désirs, de voluptés ! Pourquoi avait-il épousé les yeux du portrait ?

    Il se ressaisit et jeta un coup d’œil inquiet autour de la chambre. Il trouvait quelque chose de mesquin au gracieux mobilier qu’il avait acheté à crédit pour sa maison. Annie elle-même l’avait choisi : il la lui rappelait. C’était trop pimpant, trop joli. Une morne exaspération s’éveillait en lui contre sa propre existence. Pourrait-il jamais s’enfuir de la petite maison ? Était-il trop tard pour qu’il pût tenter de vivre courageusement comme Gallaher. Pouvait-il aller à Londres ? Le mobilier était encore à payer. Si seulement il pouvait écrire un livre et le

    Prev
    Next

    YOU MAY ALSO LIKE

    Molly Bloom – James Joyce
    Molly Bloom
    August 17, 2020
    Brouillons d’un baiser – James Joyce
    Brouillons d’un baiser
    August 17, 2020
    Ulysses – James Joyce
    Ulysses
    August 17, 2020
    Portrait de l’artiste en jeune homme – James Joyce
    Portrait de l’artiste en jeune homme
    August 17, 2020
    Tags:
    Classique, Fiction, Historique, Littérature
    • Privacy Policy
    • ABOUT US
    • Contact Us
    • Copyright
    • DMCA Notice

    © 2020 Copyright par l'auteur des livres. Tous les droits sont réservés.

    Sign in

    Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Sign Up

    Register For This Site.

    Log in | Lost your password?

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!

    Lost your password?

    Please enter your username or email address. You will receive a link to create a new password via email.

    ← Back to ▶ Lire le livre gratuitement en ligne | Entièrement gratuit | Oui c'est vrai!