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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 14
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    bien. Il serait incapable de soulever la foule, mais il pourrait toucher un petit cercle d’esprits semblables au sien. Les critiques anglais le reconnaîtraient peut-être pour un adepte de l’école celte à cause du ton mélancolique de ses poèmes ; en outre, il y glisserait des allusions. Il se mit à composer les phrases mêmes des articles que son livre susciterait. M. Chandler a le don du vers aisé et gracieux. Une mélancolie nostalgique pénètre ses poèmes. La « note celte ». Il était regrettable que son nom ne sonnât pas plus irlandais. Peut-être vaudrait-il mieux faire précéder son nom de famille de celui de sa mère : Thomas Malone Chandler ou mieux encore T. Malone Chandler. Il en parlerait à Gallaher.

    Il poursuivait sa rêverie avec tant d’ardeur qu’il passa sa rue et dut rebrousser chemin. Comme il s’approchait de chez Corless, de nouveau l’inquiétude s’empara de lui et il s’arrêta devant la porte, indécis. Finalement, il l’ouvrit et entra.

    La lumière et le bruit qui venaient du bar l’arrêtèrent un moment sur le seuil. Il regarda autour de lui, mais les reflets verts et rouges de nombreux verres lui brouillaient la vue. Le bar lui parut plein de monde, et il sentit que les gens l’observaient avec curiosité. Il jeta vivement un coup d’œil à droite, à gauche, fronçant légèrement les sourcils pour se donner une contenance ; mais quand il commença à y voir plus clair, il s’aperçut que personne ne s’était retourné pour le regarder ; et là, se trouvait Ignatius Gallaher en personne, le dos appuyé au comptoir, bien planté sur ses pieds.

    – Hullo, Tommy, vieux brave, te voilà ! Qu’est-ce que tu prends ? Moi, je prends du whisky, meilleur que celui qui se boit là-bas. Soda ? Lithia ? Pas d’eau minérale ? Je suis comme toi. Ça m’en gâte le goût. Hé ! là ! garçon ! vieux, apportez-nous deux demi-malt whisky. Eh bien, qu’est-ce que tu as fichu depuis que je ne t’ai vu ? Bonté divine, ce qu’on prend de l’âge ! me trouves-tu vieilli ? Hein ? Quoi ? Le crâne un peu gris et clairsemé. Quoi ?

    Ignatius Gallaher ôta son chapeau et découvrit une grosse tête aux cheveux rasés court. Son visage épais était pâle, imberbe. Les yeux, d’un bleu ardoise, éclairaient sa pâleur malsaine et se détachaient nettement au-dessus de l’orange éclatant de sa cravate. Entre ces tons heurtés, les lèvres semblaient très longues, informes, incolores. Il baissa la tête et effleura avec deux doigts compatissants les rares cheveux qui lui garnissaient le crâne. Le petit Chandler fit de la tête un signe de dénégation ; Ignatius Gallaher remit son chapeau.

    – Cette vie de journaliste, ça vous démolit, dit-il ; toujours se hâter, se grouiller, rechercher de la copie pour souvent n’en point trouver. Et cependant, se voir réclamer toujours du nouveau. Peste soit, pour ces quelques jours, des épreuves et des imprimeurs ! Je suis diablement content, je t’assure, de revenir au pays. Un peu de vacances vous remonte un homme ; je me sens joliment mieux depuis que j’ai débarqué dans ce sale cher Dublin !… Voilà, Tommy. De l’eau ? Tu m’arrêteras.

    Le petit Chandler le laissa abondamment mouiller son whisky :

    – Tu ne sais pas ce qui est bon, mon vieux, dit Ignatius Gallaher ; je bois le mien sec.

    – Je bois très peu d’habitude, dit le petit Chandler modestement ; de temps en temps, un demi-verre lorsque je retrouve un des vieux copains, c’est tout.

    – Eh bien, dit Ignatius Gallaher gaiement, à notre santé, aux bons vieux jours, aux vieilles amitiés !

    Ils trinquèrent.

    – J’ai rencontré quelqu’un de la bande aujourd’hui, dit Ignatius Gallaher. O’Hara me semble dans de mauvais draps. Qu’est-ce qu’il fait ?

    – Rien ! dit le petit Chandler, c’est un homme fichu. Mais Hogan a une belle situation, n’est-ce pas ?

    . – Oui, il est au Land Commission. Je l’ai rencontré un soir à Londres, il paraissait en fonds… Pauvre O’Hara : excès de boisson, je suppose…

    – Oui, et autre chose aussi, fit le petit Chandler sèchement.

    Ignatius Gallaher se mit à rire.

    – Tommy, dit-il, je vois que tu n’as pas vieilli d’un poil ; tu es exactement le même garçon sérieux qui me sermonnait le dimanche matin quand j’avais mal aux cheveux et la langue empâtée. Tu as besoin de rouler ta bosse. N’es-tu jamais parti, même en excursion ?

    – J’ai été à l’île du Man, dit le petit Chandler.

    Ignatius Gallaher se mit à rire :

    – L’île du Man ! dit-il, va à Londres ou à Paris : à Paris plutôt. Voilà qui te ferait du bien.

    – Tu connais Paris ?

    – Plutôt ! Y ai-je assez roulé !

    – Et est-ce véritablement aussi beau qu’on le dit ? demanda le petit Chandler.

    Il sirota un peu de sa boisson, tandis qu’Ignatius Gallaher vidait son verre d’un trait.

    – Beau ? dit Ignatius Gallaher en pesant sur le mot et en s’attardant aux délices de son breuvage ; on ne peut vraiment dire que ce soit si beau ; certainement, c’est beau… Mais, enfin… C’est la vie de Paris qui compte. Ah ! il n’y a pas de ville comme Paris pour la gaieté, le mouvement, l’animation…

    Le petit Chandler finit son whisky et non sans peine parvint à attirer l’attention du barman. Il commanda un second verre.

    – J’ai été au Moulin-Rouge, continua Ignatius Gallaher, lorsque le barman eut enlevé leurs verres et j’ai été dans tous les cafés bohèmes. Entre nous, ce n’est pas de la petite bière ! Pas pour un dévot comme toi, Tommy !

    Le petit Chandler se tut jusqu’au retour du barman avec les deux verres ; puis il toucha délicatement du sien le verre de son ami et lui rendit le toast à son tour. Il commençait à se sentir quelque peu déçu. Le ton de Gallaher et la façon qu’il avait de s’exprimer lui déplaisaient. Il y avait un je ne sais quoi de vulgaire chez son ami qu’il n’avait point encore observé. Mais peut-être n’était-ce que le résultat de sa vie à Londres parmi le tumulte et la rivalité de la presse. Sous ses nouvelles manières tapageuses, le vieux charme si personnel subsistait encore. Et, après tout, Gallaher avait vécu, il avait vu le monde. Le petit Chandler regarda son ami avec envie.

    – Tout, dans Paris, est joyeux, dit Ignatius Gallaher, ils aiment vivre et n’ont-ils pas raison ? Si tu veux vraiment jouir de la vie, il faut aller à Paris. Et crois-moi, ils ont une grande sympathie pour les Irlandais. Quand ils ont appris que j’en étais, ils m’ont fait un accueil sensationnel.

    Le petit Chandler but quelques gorgées.

    – Dis-moi, demanda-t-il, est-ce vrai que Paris est aussi… immoral qu’on veut bien le dire.

    Ignatius Gallaher esquissa du bras droit un geste plein d’onction.

    – Il y a de l’immoralité partout, dit-il, bien entendu, à Paris, on en trouve de savoureuses. Va, par exemple, à un bal d’étudiants. On y rigole un peu, quand les cocottes commencent à se déchaîner. Tu sais ce que c’est, je suppose ?

    – J’en ai entendu parler, dit le petit Chandler.

    Ignatius Gallaher avala son whisky et secoua la tête.

    – Ah ! soupira-t-il, on peut dire ce que l’on veut, mais il n’y a que la Parisienne pour l’entrain, pour le chic !

    – Alors, c’est une ville immorale, insista le petit Chandler timidement, je veux dire comparée à Londres ? à Dublin ?

    – Londres ! dit Ignatius Gallaher. C’est blanc bonnet, bonnet blanc. Demande à Hogan, je lui en ai fait voir quelques bons coins lorsque j’y étais ! Il te renseignera… Dis donc, Tommy, ne traite pas ce vieux whisky comme un simple punch. Vide ton verre.

    – Non, impossible…

    – Allons donc, encore un verre ne te fera pas de mal. Qu’est-ce que tu prends ? Le même, je pense ?…

    – Bien… bon.

    – François, encore un !… Veux-tu fumer, Tommy ?

    Ignatius Gallaher tira son porte-cigares. Les deux amis allumèrent leurs cigares et fumèrent en silence jusqu’à ce qu’on leur apportât leur whisky.

    – Veux-tu mon avis ? dit Ignatius Gallaher, émergeant après un moment d’un épais nuage de fumée derrière lequel il s’était réfugié. C’est un drôle de monde. Tu parles d’immoralité. On m’en a raconté des histoires à ce sujet. Que dis-je ? J’en ai vu, moi, de ces cas d’immoralité !…

    Ignatius Gallaher, pensif, tira quelques bouffées ; puis, avec le ton calme de l’historien, il se mit à esquisser pour son ami quelques tableaux de cette corruption qui fleurissait là-bas. Il énuméra les vices de bien des capitales et semblait disposé à décerner la palme à Berlin. Il ne pouvait pas garantir certaines choses. Il ne les connaissait que par ouï-dire, mais pour d’autres, il en avait fait l’expérience personnelle. Il n’épargnait ni rang, ni caste. Il révéla le secret de bien des communautés religieuses sur le continent et décrivit quelques-unes des pratiques auxquelles se livrait couramment la haute société ; il finit par raconter en détail l’histoire d’une duchesse anglaise, histoire qu’il savait vraie. Le petit Chandler n’en croyait pas ses oreilles.

    – Eh bien, dit Ignatius Gallaher, nous voici de nouveau dans ce bon vieux Dublin où on ne connaît pas un traître mot de ces choses.

    – Comme tu dois le trouver monotone après tous les autres endroits que tu as connus !

    – Mon Dieu, dit Ignatius Gallaher, c’est un repos de venir ici, tu sais. Et après tout, c’est le pays, comme on dit. On ne peut pas s’empêcher d’avoir un certain faible pour lui. C’est la nature humaine… Mais parlons de toi… Hogan me disait que tu as… goûté aux joies conjugales. Depuis deux ans, n’est-ce pas ?

    Le petit Chandler rougit et sourit.

    – Oui, dit-il,

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