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    2. Gens de Dublin
    3. Chapitre 10
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    doucement.

    – Pardieu, Corley, tu t’y connais, dit-il.

    – Je connais tous leurs petits tours, avoua Corley.

    – Mais, dis-moi, reprit Lenehan, es-tu sûr de pouvoir bien mener l’affaire ? Tu sais, c’est délicat, elles sont diablement serrées sur ce chapitre. Hein, quoi ?

    Des petits yeux brillants il scruta la figure de son compagnon pour se rassurer. Corley balança la tête comme pour chasser un insecte tenace et fronça les sourcils.

    – Je m’en charge, dit-il, laisse-moi faire, c’pas ?

    Lenehan se tut. Il ne tenait pas à offenser son ami ni à être envoyé à tous les diables et s’entendre dire qu’on ne lui demandait pas son avis. Il fallait un peu de tact. Mais Corley ne tarda pas à se rasséréner. Ses pensées avaient pris un autre cours.

    – Pour une chic et jolie poule, dit-il sur un ton de connaisseur, c’en est une.

    Ils longèrent Nassau Street et tournèrent dans Kildare Street. Non loin de l’entrée du cercle, un harpiste jouait sur la chaussée à un petit cercle d’auditeurs. Il pinçait les cordes négligemment, de temps à autre, dévisageant un nouvel arrivant, de temps à autre regardant aussi, mais avec lassitude, le ciel. Sa harpe, comme indifférente à sa housse qui ne la recouvrait qu’à mi-corps, semblait lasse elle aussi des regards étrangers et du toucher de son maître. Une des mains jouait à la basse la chanson Silent O Moyle, tandis que l’autre cavalcadait dans l’aigu entre chaque groupe de notes. La mélodie résonnait grave et pleine.

    Les deux jeunes gens marchèrent sans rien dire, le son mélancolique les accompagnait. Quand ils eurent atteint Stephen Green, ils traversèrent la rue.

    Ici le bruit des trams, les lumières, la foule, leur firent rompre le silence.

    – La voilà, dit Corley.

    Au coin de Hume Street, une jeune femme attendait. Elle portait une robe bleue et un canotier blanc. Debout sur le trottoir, elle balançait son parapluie. Lenehan se ranima.

    – Allons lui jeter un coup d’œil, Corley, dit-il.

    Corley regarda son ami de côté et une grimace mauvaise passa sur son visage.

    – Tu veux me la faire ? demanda-t-il.

    – Nom de Dieu, dit Lenehan hardiment, je ne tiens pas à être présenté, je veux seulement la regarder. Je ne te la mangerai pas.

    – Oh !… si c’est seulement pour la regarder, dit Corley plus aimablement, alors voilà ce que nous allons faire. Je vais traverser pour lui parler et tu pourras passer devant nous.

    – Bon, dit Lenehan.

    Corley commençait à enjamber les chaînes lorsque Lenehan cria :

    – Et après ? où se retrouve-t-on ?

    – Dix heures et demie, répondit Corley, ramenant l’autre jambe.

    – Où ?

    – Au coin de Merrion Street. Nous reviendrons par là.

    – Travaille bien, dit Lenehan en signe d’adieu.

    Corley ne répondit pas. Il déambula à travers la chaussée, balançant la tête de droite à gauche. L’importance de sa personne, sa démarche dégagée et le craquement sonore de ses bottines lui donnaient quelque chose d’un conquérant. Il aborda la jeune fille et, sans la saluer, se mit aussitôt à lui parler. Elle accéléra les oscillations de son parapluie et pivota à plusieurs reprises sur ses talons. Une ou deux fois, il lui parla à l’oreille ; elle rit et baissa la tête.

    Lenehan les observa pendant quelques minutes, puis vivement il longea les chaînes et traversa la route en biais. Comme il approchait, il huma dans l’air un lourd parfum et à la dérobée jeta sur la jeune fille un regard anxieux. Elle portait sa toilette des dimanches : une jupe de serge bleue retenue à la taille par une ceinture de cuir noir ; une grande boucle d’argent qui lui creusait le milieu du corps, mordant l’étoffe légère de la blouse blanche ; une veste noire et courte garnie de boutons de nacre et un boa fripé. Les bords de sa collerette de tulle avaient été soigneusement ébouriffés et, sur sa poitrine, les queues en l’air, un gros bouquet de fleurs rouges était piqué. Lenehan jugea en connaisseur son corps musclé qu’elle avait court et replet. Tout en elle révélait la santé, depuis ses joues rondes et rouges jusqu’à ses yeux bleus effrontés. Ses traits étaient grossiers, les narines bien découpées, la bouche irrégulière découvrait un sourire satisfait et deux dents de devant qui saillaient légèrement. En passant, Lenehan ôta sa casquette, dix secondes après environ Corley répondit au salut d’un air absent en portant deux doigts à son chapeau, le déplaçant ainsi de sa position primitive.

    Lenehan poursuivit jusqu’au Shelbourne Hôtel. Là il fit halte et attendit. Au bout d’un instant, il les vit qui avançaient dans sa direction et lorsqu’ils tournèrent à droite, il les suivit au pas feutré de ses souliers blancs, du côté de Merrion Square. Comme il marchait lentement, se réglant sur leur allure, il observait la tête de Corley qui se tournait à tout moment vers le visage de la jeune femme, comme un gros bilboquet sur son pivot. Il ne perdit pas le couple de vue jusqu’à ce qu’il le vît prendre le tram de Donnybrook ; alors il fit volte-face et reprit le chemin par lequel il était venu. Maintenant qu’il était seul, son visage semblait vieilli. Sa gaieté l’abandonna, et comme il arrivait devant les grilles de Duke’s Lawn, il fit courir sa main le long des barreaux. Un rappel de la mélodie jouée par le harpiste commandait ses mouvements ; de ses pas amortis par les semelles de caoutchouc il marquait la mesure, tandis qu’indolemment ses doigts exécutaient traits et variantes sur les barreaux entre chaque groupe de notes.

    Il marcha à l’aventure le long de Stephen Green, s’engagea dans Grafton Street. Bien que ses yeux distinguaient quantité de détails dans la foule, c’était de façon morose. Il trouvait vulgaire tout ce qui aurait dû le séduire et ne répondait pas aux œillades qui l’invitaient à être hardi. Il savait qu’il aurait à parler beaucoup, à se mettre en frais, à divertir, et son cerveau et son gosier étaient trop à sec pour ce genre de travail. Le moyen de tuer le temps jusqu’à l’heure de rejoindre Corley le tourmentait un peu. Il ne pouvait rien imaginer d’autre que de poursuivre sa promenade. Arrivé au coin de Rutland Square, il prit à gauche et se sentit plus à l’aise dans la rue obscure et tranquille dont l’aspect sombre convenait mieux à son humeur. Il s’arrêta finalement devant le carreau vitré d’une misérable boutique au-dessus de laquelle les mots boissons et liqueurs étaient inscrits en caractères blancs. Devant la vitre se balançaient deux petits écriteaux : ginger beer et ginger ale. Un jambon était exposé sur un grand plat bleu et à côté, sur un autre plat, se trouvait un morceau de plum-pudding d’assez piètre apparence. Il jeta un long regard avide sur ces victuailles, puis, après avoir inspecté la rue dans toute sa longueur d’un œil circonspect, il entra précipitamment dans le magasin.

    Il avait faim ; car, à l’exception de quelques biscuits quémandés à deux garçons de café récalcitrants, il n’avait rien mangé depuis le matin. Il s’assit devant une petite table de bois sans nappe, en face de deux ouvrières et d’un mécanicien. Une servante malpropre le servait.

    – Combien une assiettée de petit pois ? demanda-t-il.

    – Trois demi-pence, monsieur, dit la fille.

    – Apportez-moi une assiette de petit pois, dit-il, et une bouteille de bière.

    Il parlait sur un ton bourru afin de démentir la distinction de ses manières, car son entrée fut suivie d’un silence. Il se sentit rougir. Pour paraître naturel, il repoussa sa casquette et planta ses coudes sur la table. Le mécanicien et les deux ouvrières l’examinèrent en détail, puis reprirent leurs discours à demi-voix. La servante lui apporta un plat de pois cassés chauds assaisonnés de poivre et de vinaigre, une fourchette et de la bière. Il mangea gloutonnement et trouva le plat si bon qu’il ne manqua pas de retenir le nom de la boutique. Lorsqu’il eut mangé tous les pois, il dégusta sa bière et songea quelque temps à l’aventure de Corley. Il vit en imagination la paire d’amants marcher le long de quelque chemin obscur, il entendit la voix de Corley émettre des galanteries énergiques et revit le sourire de la jeune femme. Cette vision lui fit sentir avec acuité la pauvreté de sa bourse et de son esprit. Il était las d’errer à l’aventure, de tirer le diable par la queue, de vivre d’intrigues et d’expédients. Il aurait trente et un ans en novembre. Ne trouverait-il jamais un métier ? Aurait-il jamais un foyer ? Il pensa combien ce lui serait agréable d’avoir un bon feu près duquel s’asseoir, un bon dîner devant lequel s’attabler. Il en avait assez de faire les rues avec les amis et les filles. Il savait ce qu’ils valaient et les uns et les autres. L’expérience lui avait aigri le cœur. Mais tout espoir ne l’avait pas abandonné. Il se sentit mieux après avoir mangé, moins las de la vie, moins abattu. Peut-être il pourrait encore s’installer dans quelque coin douillet et vivre heureux, si seulement il rencontrait quelque bonne fille simple avec un peu du nécessaire.

    Il paya deux pence en sortant, à la servante débraillée, et reprit ses pérégrinations. Il s’engagea dans Capel Street et se dirigea vers le City Hall. Puis il tourna dans Dame Street. Au coin de George Street, il rencontra deux de ses amis avec lesquels il s’arrêta pour causer. Il était heureux d’un répit dans ses allées et venues. Ses amis lui demandèrent s’il avait vu Corley et quelles étaient les dernières nouvelles. Il répondit qu’il avait passé la journée avec Corley. Ses amis parlaient peu. Ils suivaient d’un œil morne des silhouettes dans la foule, faisant de temps à autre quelque observation.

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