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    2. Dans les mers du sud
    3. Chapitre 6
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    « le beau bateau ! » s’exclamait-il, le « no, sir » lancé brusquement du nez dans une inflexion ascendante, écho de New Bedford et du traître baleinier. Entre ces expressions de peine et de louange, il revenait sans cesse à l’incident du porc refusé. « J’aimais tant vous faire des présents, disait-il ; je n’avais qu’un porc et vous n’en avez pas voulu ! » Il était un pauvre homme, il n’avait pas un grand choix de cadeaux à faire ; il n’avait qu’un porc, répétait-il, et je l’avais refusé ! Je me suis rarement senti aussi malheureux qu’en le voyant assis là, si vieux, si gris, si pauvre, accablé d’un destin si pesant, si lamentable d’aspect, et moi, réalisant de plus en plus l’affront que je lui avais fait, bien innocemment ! mais, c’était l’un de ces cas où toute parole est vaine.

    Le fils de Tari était inerte et souriant ; sa bru, une fille de seize ans, jolie, aimable et grave, plus intelligente que la plupart des femmes d’Anaho et parlant assez bien le français ; sa petite-fille, un embryon de créature, encore à la mamelle. Je pénétrai dans leur antre, un jour où Tari était absent ; je trouvais le fils fabriquant un sac de coton, et Madame allaitant Mademoiselle. Je m’assis auprès d’eux sur le sol, et la jeune femme commença de me questionner sur l’Angleterre ; je tâchai de la lui décrire, empilant les noix de coco sur les casseroles pour représenter les maisons et expliquer le mieux que je pouvais par les paroles et les gestes la surpopulation, la faim, le travail perpétuel. « Pas de cocotiers ? Pas de popoi ? » me demandait-elle ? Je lui dis qu’il faisait trop froid et me lançai dans une pantomime explicative, chassant les courants d’air, me blotissant auprès d’un feu imaginaire pour m’assurer qu’elle comprenait. Mais elle comprenait parfaitement ; elle fit observer combien ce devait être mauvais pour la santé, et demeura un instant très grave, méditant sur cette peinture de tristesses inconnues. Elles excitaient sûrement sa pitié, car elles éveillèrent en elle une autre pensée toujours présente à l’esprit des Marquisans ; elle commença, avec une affliction souriante et des yeux de mélancolie, à se lamenter sur la mort de son propre peuple. « Ici, pas de Canaques », dit-elle ; et détachant le bébé de son sein, elle le tendit vers moi de ses deux mains. « Tenez – un petit bébé comme cela ; et puis mort. Tous les Canaques meurent. Ensuite plus rien. » Ce sourire, cette mère-enfant me proposant comme exemple ce fruit minuscule de sa chair et de son sang, m’affectèrent étrangement ; ils exprimaient un si tranquille désespoir ! Pendant ce temps, le mari travaillait à son sac, toujours en souriant ; et l’inconscient bébé se débattait pour atteindre un pot de confiture de framboises, don de l’amitié, que j’avais apporté dans leur caverne ; et dans une perspective de siècles, j’entrevis leur sort, tout semblable au nôtre, la mort montant comme un flux, et le jour, déjà déterminé, où il n’existerait plus ni Beretani, ni races d’aucune sorte, et (ce qui me toucha singulièrement), ni œuvres littéraires, ni lecteurs.

    CHAPITRE IV

    La mort

    La pensée de la mort domine toutes les autres dans l’esprit des Marquisans. Et-comment pourrait-il en être autrement ? La race est peut-être la plus belle qui soit : la taille moyenne des hommes est de six pieds ; ils sont fortement musclés, exempts de graisse, prompts dans l’action, gracieux au repos et les femmes, quoique plus grasses et plus lourdes, sont pourtant de beaux animaux. D’après les apparences, aucune race ne semble plus viable ; et cependant la mort les fauche à pleines mains. Lorsque Mgr Dordillon vint pour la première fois à Tai-o-hae, il estimait le nombre des habitants à plusieurs milliers ; il vient seulement de mourir, et dans la même baie Stanislas Moanatini a compté sur ses doigts huit indigènes survivants. – Ou bien, prenez la vallée de Hapaa, connue des lecteurs d’Herman Melville, avec l’orthographe grotesque de Hapar (il n’y a que deux écrivains qui aient parlé des mers du Sud avec quelque génie, tous deux américains : Melville et Charles Warren Stoddard ; et au baptême du premier, qui est aussi le plus grand, quelque fée influente dut être négligée : « Il lui sera donné de voir », « il lui sera donné de conter » ; « il lui sera donné de charmer », dirent les bienveillantes marraines, mais la dernière s’écria : « Il ne lui sera pas donné d’entendre »). La tribu de Hapaa comptait quelque quatre cents hommes quand la petite vérole s’abattit sur eux et les réduisit d’un quart. Six mois plus tard, une femme mourut de la tuberculose ; le mal se répandit par toute la vallée comme un incendie, et moins d’un an après, les deux seuls survivants, un homme et une femme, s’enfuirent de cette solitude recréée. Peut-être un jour, quelque Adam et Eve semblables et flétris, représenteront-ils parmi les races nouvelles le résidu tragique de la Grande-Bretagne. Quand j’entendis ces choses pour la première fois, ces chiffres me stupéfièrent ; à présent, j’incline à les croire vraisemblables. Au début de l’année de mon séjour là-bas, par exemple, ou à la fin de l’année précédente, un premier cas de phtisie se déclara dans une famille de dix-sept membres, et au mois d’août, quand l’histoire me fut répétée, un seul survivait, et c’était un petit garçon retenu au loin par ses études. Et la dépopulation travaille par les deux bouts, les portes de la mort grandes ouvertes, et celle des naissances semi-close. Ainsi, dans le semestre finissant au mois de juillet 1888, il y eut douze décès et une seule naissance dans le district de Hatiheu. En temps ordinaire, sept ou huit morts de plus étaient à prévoir, et Mr. Aussel, le gendarme chargé de ces observations, nota cette unique naissance. À ce compte, rien de surprenant à ce que la population de cette région ait décliné, en quarante ans, de 6000 habitants à moins de 400, chiffres évalués avec l’autorité de Mr. Aussel, et la rapidité de ce déclin a dû être accélérée en avançant vers la fin…

    Un bon moyen d’apprécier la dépopulation est d’aller, par terre, de Anaho à Hatiheu, sur la baie adjacente. La route est bonne mais terriblement escarpée. Il nous semblait à peine avoir dépassé la maison déserte située tout en haut d’Anaho et déjà nous plongions sur son toit avec une sensation de vertige : le Casco, au large dans la baie, roulant comme pour tenir une gageure, diminuait à vue d’œil et, peu après, par la brèche de l’isthme de Tari, Ua-huna apparut suspendue comme un nuage sur l’horizon. Au-delà du sommet où le vent, vraiment froid, soufflait et sifflait dans les roseaux, et secouait la chevelure verdoyante des pandanus, nous entrâmes subitement, comme par une porte, dans la vallée voisine et la baie de Hatiheu. Un cirque de montagnes l’enferme de trois côtés. Sur le quatrième, le rempart a été réduit en ruines ; il s’abaisse jusqu’à la mer en fragments de roches escarpées, et présente la seule ouverture praticable de la baie bleue. L’intérieur de cette vallée est rempli d’arbres précieux et magnifiques : orangers, arbres-à-pain, pommes-roses, cocotiers, les marronniers des îles et, à titre de mauvaises herbes, l’ananas et le bananier. Quatre ruisseaux intarissables l’arrosent et entretiennent sa verdure éternelle ; et, suivant le fond du vallon, longeant tantôt l’un tantôt l’autre, sur un assez long parcours, la route descend dans cette vallée fortunée.

    La chanson des eaux et le décor familier des galets nous donnèrent une forte impression de « home », mais la végétation exotique, la croissance folle des pandanus, les troncs à contreforts des banians, les cochons noirs galopant dans le taillis, et l’architecture des maisons indigènes, la dissipèrent avant que nous ayons eu le temps d’en jouir.

    Du côté de Hatiheu, les maisons sont situées assez haut : plus haut encore les paepaes déserts offrent le spectacle le plus mélancolique. Quand une habitation indigène est abandonnée, la superstructure – chaume de pandanus, les pilotis qui l’entourent, le bois de construction fragile des tropiques – pourrissent rapidement, et sont bien vite dispersés par le vent. Seules, les pierres de la terrasse subsistent ; aucune ruine, aucun tumulus, aucun dolmen, ne présentent une apparence d’antiquité aussi sévère. Nous passâmes devant six ou huit de ces plates-formes, désormais privées de leur maison. Mr. Osbourne me dit qu’on les compte par douzaines, sur la route principale de l’île, là où elle traverse la vallée de Taipi ; et comme les routes ont été faites bien après leur construction et peut-être leur désertion, et qu’elles sont simplement des lignes tracées au hasard à travers le fourré, la forêt doit être aussi, des deux côtés, remplie de ces survivantes : tombes de familles entières. Ces ruines sont tabou [5] dans le sens le plus strict ; aucun indigène ne doit les approcher ; elles sont devenues des avant-postes du royaume des morts. Ce semblerait une coutume naturelle et pieuse, de la part des centaines d’hommes qui demeurent, arrière-garde des milliers qui ont péri, de ne jamais fouler aux pieds les pierres du foyer de leurs pères. En réalité, cet usage semble reposer sur une conception différente et plus brutale. Mais la maison, la tombe et la dépouille même des morts ont toujours été particulièrement honorées par les Marquisans. Jusqu’à ces derniers temps, le corps était quelquefois conservé dans la famille, et chaque jour oint d’huile et exposé au soleil, jusqu’à ce que, passant par des

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    Tags:
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