notables et les sorciers s’assemblèrent en concile ; et avec l’approbation du missionnaire de Raratongan qui avait aussi peur que les autres, et en présence de plusieurs blancs – mon ami, Mr. Ben Hird en était – la tombe fut creusée de nouveau, jusqu’à ce que l’eau apparût, et le corps enterré de nouveau, la face tournée contre terre. Les paris de suicide encore récents en Angleterre, et la décapitation des vampires dans l’est de l’Europe, forment à ce récit des pendants assez exacts.
À Samoa, seuls les esprits des morts, privés de sépulture, sèment l’épouvante. Au cours de la dernière guerre, beaucoup tombèrent dans la brousse ; leurs corps, parfois décapités, furent ramassés par des pasteurs du pays et ensevelis ; mais ceci (je ne sais pas pourquoi) était insuffisant et leurs esprits continuaient de s’attarder sur le théâtre de mort. Quand la paix revint, une scène singulière se déroula en beaucoup d’endroits, et surtout, autour des gorges profondes de Lotoanuu, où la lutte avait été longtemps concentrée et les pertes sévères. Des femmes, parentes des défunts, s’en vinrent, portant une natte ou un drap, guidées par les survivants du combat. Le champ de mort fut sérieusement repéré ; le drap déployé sur le sol ; et les femmes, agitées d’une pieuse inquiétude, s’assirent autour et veillèrent dessus. Si quelque chose vivante tombait dessus, deux fois elle était balayée ; à la troisième fois, on savait que c’était l’esprit du mort, le drap était replié sur lui, on le remportait à la maison, et on l’enterrait à côté du corps ; et l’aitu était en repos. Il est hors de doute que le rite était inspiré par une véritable piété ; le repos de l’âme était son but ; son motif, une respectueuse affection. Le roi actuel, c’est vrai, nie toute influence du dangereux aitu ; les âmes des morts sans sépulture, dit-il, n’errent que dans les limbes, ne pouvant pénétrer dans le propre royaume des morts, malheureux, nullement malfaisants. Et cette opinion, sévèrement classique, représente évidemment le point de vue des gens éclairés, tandis que la fuite de mon Lafaele témoigne des terreurs grossières des ignorants.
Cette croyance en la puissance d’exorcisme des rites funéraires explique peut-être le fait, autrement stupéfiant, – qu’aucun Polynésien ne semble partager le moins du monde notre horreur d’Européen pour les ossements humains et les momies. Ils font des premiers leurs plus chers ornements ; ils les conservent dans des maisons ou des caves mortuaires ; et les gardiens des sépulcres royaux habitent avec leurs enfants parmi les ossements des générations. La momie éveille aussi peu de frayeur, même chez ceux qui la mettent en état. Sur la côte extrême, des Marquises, elle était faite par la famille, avec des onctions continuelles, et exposée au soleil ; dans les Carolines, dans l’extrême ouest, elle est mise à sécher dans l’âtre familial. La coutume de couper les têtes subsiste toujours, autour même de ma propre maison, à Samoa. Et il n’y a pas plus de dix ans, dans les Gilbert, la veuve devait déterrer, nettoyer, polir et porter ensuite, nuit et jour, avec elle, la tête de son mari défunt. Dans ce cas, le fait de nettoyer et de faire sécher devait suffire pleinement à exorciser l’aitu.
Mais la croyance Paumotuane est plus obscure. Ici l’homme est bien et dûment enterré. Il est dûment veillé et en dépit des veilles, son esprit s’échappe. Par le fait, le but des veilles n’est pas de prévenir ses vagabondages, mais seulement d’amollir, par des attentions polies, la malignité invétérée des trépassés. La négligence, croit-on, peut l’irriter et provoquer ses visites, mais les vieillards, et les faibles quelquefois, courent les risques et restent chez eux. Remarquez que ce sont les parents et les meilleurs amis du défunt qui conjurent sa faveur par leurs veillées nocturnes. Et même cette vigile d’apaisement est tenue pour périlleuse, sauf en compagnie, et on me signala un jeune garçon à Rotoava, parce qu’il avait veillé seul auprès de son propre père – ni les liens avec le mort, ni même la bonté passée de son caractère n’ont d’effet sur ces suites.
Un ancien Résident mort à Fakarava d’un coup de soleil était adoré pendant sa vie et a laissé un souvenir toujours cher ; n’empêche que son esprit parcourait l’île en y semant la terreur, et les environs du Gouvernement étaient encore évités, à l’approche de la nuit. Nous pouvons résumer ainsi cette doctrine réconfortante : Tous les hommes deviennent des vampires et le vampire n’épargne personne.
Et ici, nous nous trouvons face à face avec une contradiction intéressante, car les esprits siffleurs ont éminemment l’esprit de clan ; j’ai cru comprendre qu’ils n’attendent et n’éclairent que des parents à eux, et que le médium est toujours de la famille de l’esprit invoqué. Ainsi donc, nous trouvons les liens de la famille, d’un côté, tranchés à l’heure de la mort ; de l’autre, toujours secourables.
Dans le récit tahitien, l’âme de l’enfant était enveloppée de feuilles. Les esprits des morts récents sont un régal. Quand ils ont été massacrés, la maison est tachée de sang. Le pêcheur mort de Rua était décomposé ; tel – et de quelle horrible manière ! – était son démon sylvestre. L’esprit est, dans ces cas, une chose matérielle ; et c’est par les signes matériels de la corruption qu’il se distingue de l’homme vivant. Cette opinion très répandue ajoute une terreur grossière aux plus affreux récits polynésiens et défigure parfois les plus captivants, grâce à une touche pénible et incongrue. Je vais en donner deux exemples, pris dans des endroits suffisamment éloignés l’un de l’autre, l’un à Tahiti, l’autre à Samoa.
Et d’abord, à Tahiti. Un homme s’en alla rendre visite au mari de sa sœur, laquelle était morte peu auparavant. De son vivant, sa sœur avait été une des élégantes de l’île et se promenait toujours couronnée de fleurs. Au milieu de la nuit, le frère se réveilla et eut conscience d’un parfum céleste répandu dans la maison obscure. La lampe avait dû s’éteindre, car jamais un Tahitien ne dormirait sans lumière. Un moment, il demeura surpris et charmé ; puis, il appela les autres. « Ne sentez-vous pas une odeur de fleurs ? » demanda-t-il. « Oh ! – dit son beau-frère – nous en avons l’habitude ici. » Au matin, les deux hommes se promenaient ensemble, et le veuf confessa que sa femme morte hantait continuellement la maison, et que même, il l’avait vue. Elle était faite, habillée et couronnée de fleurs comme en son vivant ; seulement elle se mouvait à quelques centimètres au-dessus de terre, d’une démarche aisée et rapide, et glissait à sec au-dessus de la rivière. Mais, j’arrive à mon but : elle apparaissait toujours vue de dos ; et ces deux beaux-frères, discutant la chose, en conclurent que c’était pour dissimuler les premiers signes de la corruption.
Voici, maintenant, l’histoire des Samoa. Je la dois à l’amabilité du Dr F. Orro Sierichs, dont je guette avec un intérêt très grand la collection d’histoires populaires. Un homme de Manu’a avait deux femmes et pas d’héritier. Il alla à Savaii, en épousa une troisième et fut plus heureux. Quand sa femme fut près de son terme, il se souvint qu’il était dans une île étrangère comme un pauvre homme ; et que, lorsque son enfant naîtrait, il aurait l’humiliation de ne pas recevoir de présents. En vain son épouse chercha à l’en dissuader. Il retourna chez son père, à Manu’a, cherchant du secours ; et, avec ce qu’il put obtenir, il s’en alla dans la nuit pour s’embarquer. Ses femmes avaient entendu parler de sa venue ; elles furent indignées qu’il ne fût pas resté auprès d’elles ; et le guettant sur la plage, près du canot, elles l’égorgèrent. Pendant ce temps, la troisième épouse était couchée à Savaii et dormait, son baby était né et dormait à ses côtés ; et elle fut éveillée par l’esprit de son mari : « Levez-vous », disait-il, « mon père est malade à Manu’a, et nous devons aller le voir. » – « C’est bien », dit-elle, « prenez l’enfant tandis que je prendrai sa natte. » – « Je ne puis porter l’enfant », dit l’esprit, « je suis trop glacé par la mer. » Quand ils furent arrivés à bord du canot, la femme sentit une odeur de pourriture. « Qu’est-cela ? » dit-elle ! Qu’avez-vous dans le canot qui répand cette odeur ? » – « C’est le vent de terre qui souffle des montagnes où il y a sans doute quelque bête crevée. » Il faisait encore nuit quand ils atteignirent Manu’a – la plus rapide traversée connue – et comme ils pénétraient dans le récif, ils virent des feux de mauvais augure s’élever du village. De nouveau elle lui demanda de porter l’enfant. Mais plus n’était besoin de dissimuler. « Je ne puis porter votre enfant, dit-il, car je suis mort, et les feux que vous apercevez brûlent pour mes funérailles. »
Les curieux peuvent apprendre dans le livre du Dr Sierichs la suite inattendue de cette histoire. En voici assez pour mon but. Quoique l’homme fût mort tout récemment, l’esprit était déjà en pourriture, comme si la putréfaction était la marque et l’essence d’un esprit. La veillée sur la tombe Paumotuane ne s’étend pas au-delà de deux semaines, et cette période, me dit-on, est celle qu’ils croient nécessaire à la décomposition du corps. L’esprit portant toujours les marques de la flétrissure, – le danger semblant cesser avec la complète dissolution, – voilà une matière tentante pour les théoriciens. Mais qu’ils ne se trompent pas. La dame