compagnon, ce n’est pas un arbre. C’est quelque chose de pas naturel. Retournons au camp ! » Le dimanche suivant, tous les plongeurs furent lancés sur les lieux, toute cette partie de l’île fut consciencieusement explorée, et on eut la certitude qu’aucun arbre n’était tombé. Un peu plus tard, Mr. Donat vit un de ses plongeurs s’enfuir devant un bruit semblable, dans une même panique, sur la même île. Mais aucun d’eux ne put s’expliquer, et ce n’est que bien après, quand il se trouva avec Rua, qu’il apprit la cause de leurs terreurs.
Mais de jour ou de nuit, le but des morts, dans ces manifestations abhorrées, est toujours le même. À Samoa, mon informateur n’avait aucune idée de la manière dont se nourrissaient les esprits de la brousse ; une telle ambiguïté n’existe pas dans l’esprit d’un Paumotuan. Dans cet archipel affamé, les vivants doivent travailler de même pour trouver leur subsistance ; et la race ayant été cannibale dans le passé, les esprits continuent de l’être. Sans aucun doute ils massacrent l’homme, sans doute même, ils le mutilent, par pure malice. Parfois, les esprits marquisans arrachent les yeux des voyageurs ; mais cela même est peut-être plus pratique qu’on ne le croirait à première vue, car l’œil est une friandise pour les cannibales. Et certainement, l’idée première des morts, au moins dans les lointaines îles de l’Est, est de rôder en quête de nourriture. C’est à titre de festin délicat que la femme dénonça Donat le jour de l’enterrement. À côté de cela, certains esprits s’attaquent, non au corps, mais à l’âme des morts. La chose ressort clairement d’une histoire tahitienne. Un enfant tomba malade, son état empira rapidement et finalement il montra des signes d’agonie. La mère courut à la maison d’un sorcier voisin. « Vous êtes encore à temps, lui dit-il ; un esprit vient de passer en courant devant ma porte, portant l’âme de votre enfant, enveloppée dans une feuille de purao ; mais j’ai un esprit plus fort et plus rapide qui l’atteindra avant qu’il ait eu le temps de le manger. » « Enveloppé dans une feuille », comme d’autres choses comestibles et corruptibles !
Ou bien encore prenez une expérience faite par Mr. Donat, dans l’île d’Anaa. C’était par une nuit de grand vent, traversée de violentes averses ; son enfant était très malade, et le père, quoique couché, demeurait éveillé, écoutant la tempête. Tout à coup, un volatile fut violemment précipité contre le mur de la maison. Pensant qu’il avait oublié de le mettre à l’abri avec les autres, Donat se leva, trouva l’oiseau (un coq) étendu sur la véranda, et le mit dans le poulailler, dont il ferma soigneusement la porte. Quinze minutes après, l’incident se renouvela, seulement cette fois, au moment où il heurta le mur, l’oiseau chanta. De nouveau, Donat le rapporta dans le poulailler qu’il examina attentivement et trouva en parfait état ; comme il s’occupait à cela, le vent souffla sa lampe et il dut regagner sa porte à tâtons, fortement impressionné. Et voici qu’une troisième fois l’oiseau vint s’abattre contre le mur ; une troisième fois, Donat le releva, cette fois à moitié mort et le replaça parmi ses compagnons ; et il était à peine rentré quand un choc se produisit, ébranlant sa porte, comme celui d’un homme vigoureux en fureur, et un sifflement pareil à celui d’une locomotive parcourant la maison. Le lecteur sceptique verra peut-être là le doigt de la tempête. Mais les femmes virent tout perdu et se blottirent sur les couchettes en se lamentant. Plus rien ne survint, et je suppose que la tempête se calma, car peu après, un chef vint en visite ! C’était un homme audacieux pour être dehors à une heure si tardive ; mais il était sans doute muni d’une bonne lanterne ; et certainement un homme de bon conseil, car sitôt qu’il entendit les détails de ces événements il fut à même d’en expliquer la nature « Votre enfant – dit-il – doit sûrement mourir. C’est le mauvais esprit de notre île qui attend et qui veille pour dévorer les esprits des nouveaux trépassés. Puis il s’étendit sur l’étrangeté des façons d’être de l’esprit. Il ne livrait pas généralement ses assauts aussi ouvertement, expliquait-il, mais demeurait assis en silence au sommet de la maison, sous la forme d’un oiseau, tandis qu’à l’intérieur les gens donnaient leurs soins au mourant, et pleuraient le mort, sans penser à aucun péril. Mais quand venait le jour, et qu’on ouvrait les portes, et que les hommes commençaient à sortir, des traces de sang sur le mur trahissaient la tragédie.
Voilà la qualité que j’admire dans les légendes Paumotuanes. À Tahiti, le mangeur d’esprits se déguise, dit-on, de façon beaucoup plus pompeuse, mais combien plus dénuée d’horreur ! Il a été vu sous toutes sortes de formes, indigènes et étrangères ; sous celle d’un météore, affirment les derniers. Mon autorité n’en était pas très sûre. Il était à cheval avec sa femme, vers 2 heures du matin : tous deux étaient presque endormis et les chevaux ne valaient guère mieux. C’était une nuit brillante et calme ; et la route, au sommet de la montagne, contournait un « marae » désert (ancien temple Tahitien). Tout à coup, l’apparition passa au-dessus d’eux ; une forme lumineuse ; la tête ronde et verdâtre, le corps long, rouge, portant, vers le milieu, un foyer d’un éclat plus rouge encore. Un bourdonnement menaçant accompagna son passage ; il s’envola directement d’un marae à un autre, situé plus bas, au flanc de la montagne. Et ceci, dit mon narrateur, est suggestif. Car pourquoi un simple météore fréquenterait-il les autels des dieux détestés ? Les chevaux, j’ose le dire, furent aussi effrayés que leurs cavaliers. Mais, pour mon compte, je ne suis pas effrayé du tout, pas même agréablement. Donnez-moi plutôt l’oiseau sur le toit de la maison, et les gouttes de sang, le matin, sur le mur.
Mais les morts ne sont pas exclusifs dans leur régime. Ils emportent avec eux dans la tombe, tout particulièrement le goût des Polynésiens pour le poisson, et s’associent de temps à autre aux vivants pour une partie de pêche. Ici encore Rua-a-mari terangi est mon autorité ; je sens que cela diminue l’authenticité du fait, mais comme il dresse debout l’image de ce voyant invétéré ! Il appartient à l’île misérable de Taenga ; pourtant, la maison de son père était toujours bien approvisionnée. Rua étant devenu grand, il fut enfin admis à aller à la pêche avec le fortuné parent. Ils ramaient, à la brune dans le lagon, à un endroit peu sûr ; et le garçon s’étendit à l’arrière et le père commença à jeter sa ligne à l’avant. On suppose que Rua s’endormit ; et quand il s’éveilla, une figure étrangère se tenait à côté de son père, et son père ramassait le poisson à pleines mains. « Qui est cet homme, père ? » demanda Rua. « Ce n’est pas ton affaire », dit le père ; et Rua supposa qu’il était venu les rejoindre à la nage. Nuit après nuit, ils s’en allèrent sur le lagon, souvent aux endroits les plus dangereux ; nuit après nuit, l’étranger apparaissait soudain à bord et disparaissait de même ; et matin après matin, le canot s’en revenait chargé de poisson. « Mon père a beaucoup de chance », pensait Rua. À la fin, un beau jour, arriva un détachement de bateaux, puis un autre, qu’il fallut traiter ; le père et le fils s’attardèrent plus que de coutume dans le lagon, et avant que le canot fût ramené à terre, il était 4 heures et l’étoile du matin était au ras de l’horizon. Alors l’étranger sembla pris d’une détresse singulière ; se retourna, montrant pour la première fois son visage ; c’était celui d’un homme mort depuis longtemps, avec des yeux étincelants ; il fixa l’orient, porta l’extrémité de ses doigts à sa bouche comme quelqu’un de gelé, et articula un son étrange, terrifiant, tenant du sifflement et de la plainte – quelque chose à vous glacer le sang dans les veines ; et l’étoile du matin émergeant au même instant de la mer, subitement il disparut.
Alors Rua comprit pourquoi les affaires de son père prospéraient, pourquoi ses poissons pourrissaient dès le matin et pourquoi il en portait toujours quelques-uns au cimetière et les disposait sur les tombes. Mon informateur n’est pas un homme ennemi des superstitions, mais il garde son sang-froid et prend à ces choses un certain intérêt supérieur que je qualifierais volontiers de scientifique. Ce dernier point évoquant pour lui quelque pratique parallèle à Tahiti, il demanda à Rua si les poissons étaient laissés là ou bien rapportés à la maison après cette cérémonieuse formalité. Il semble que le vieux Mariterangi pratiquait les deux méthodes ; parfois se contentant d’une simple oblation en l’honneur de son invisible partenaire ; tantôt laissant honnêtement le poisson pourrir sur la tombe. Il est certain que nous avons en Europe des histoires d’un caractère semblable ; et le « varna ino » ou « aitu o le vao » polynésien est le proche parent du vampire de Transylvanie. Voici un conte où la parenté apparaît fortement marquée. Dans l’atoll de Penrhyn, encore en partie sauvage, un certain chef fut pendant longtemps la terreur salutaire des naturels. Il mourut ; il fut enterré ; et ses anciens voisins avaient à peine eu le temps de goûter les délices de la liberté quand son esprit commença d’apparaître aux environs du village. La peur s’empara d’eux tous ; les hommes les plus