; sitôt qu’il l’a versé ; il disparaît. Il connaît votre bateau ; dès qu’il approche une île, le voilà parti dans une autre. Vous croyez savoir son nom ; déjà il l’a changé pour un autre. Toute poursuite serait inutile dans ces îles innombrables. Le résultat peut être donné en deux mots. Un rapport du Gouvernement vient de proposer la surveillance du paiement des dettes en prenant des photographies des débiteurs ; et tout dernièrement à Papeete, des crédits sur les Paumotu,. montant à 16000 pounds, furent vendus pour moins de 40 pounds – 400000 francs pour moins de 1 000 francs. – Telle quelle, l’acquisition parut hasardeuse ; et seul, l’homme qui en fut l’auteur, avait les moyens de donner autant.
Le Paumotuan est sincèrement attaché à ceux de son sang et de sa maison. Une affection touchante unit parfois les époux. Leurs enfants, tant qu’ils vivent, les dominent complètement ; s’ils meurent, leurs os ou leurs momies sont souvent conservés avec un soin jaloux, et transportés d’atoll en atoll au cours des pérégrinations de la famille. On m’a dit que dans bien des maisons de Fakarava, la momie d’un enfant était enfermée dans le coffre de bord ; sachant cela, je regardai avec quelque inquiétude ceux qui étaient près de mon lit ; peut-être ces placards, eux aussi, recélaient-ils un petit squelette.
La race semble en bonne voie de prospérité. Dans quinze îles dont j’ai pu consulter les listes, j’ai trouvé une proportion de 59 naissances pour 47 décès en 1887. Supprimez-en trois sur les 15, il restait l’honnête proportion de 50 naissances pour 32 décès. Une longue habitude des privations et celle de l’activité expliquent ce contraste avec les chiffres marquisans. Mais, le Paumotuan possède, en outre, une certaine connaissance de l’hygiène, et les rudiments d’une discipline sanitaire. Les discours publics, chez ce peuple au franc parler, jouent le rôle des contagious Diseases Act (mesures de prudence contre les maladies contagieuses).
Comme leurs voisins de Tahiti qui leur ont peut-être communiqué leur erreur, ils considèrent la lèpre avec une indifférence relative, et l’éléphantiasis avec une frayeur disproportionnée. Mais au contraire des Tahitiens, leur crainte leur inspire des moyens de défense. Quiconque est frappé de cette pénible et vilaine maladie est relégué aux extrémités des villages ; l’usage des sentiers et des grandes routes lui est interdit et il est condamné à se transporter par eau de sa maison à son champ de cocotiers, la trace de ses pas étant considérée comme infectieuse. Le Fe’ efe’ é [18], étant un produit des marais et la suite de la malaria, n’est pas originaire des atolls. Dans la seule île de Makatea, où le lagon est maintenant devenu un marécage, le mal s’est établi. Beaucoup en sont atteints ; ils sont exclus (si j’en crois Mr. Vilmot) de toutes les consolations de la société, et on croit qu’ils prennent de secrètes vengeances en contaminant volontairement, mais en secret et à leur insu, ceux qui les ont rejetés de leur sein, ce qui s’accorderait assez bien avec ce côté amer et énergique du caractère Paumotuan.
L’archipel est divisé en deux partis religieux, les Catholiques et les Mormons. Ils se dévisagent fièrement avec un air irréductible ; mais ce ne sont que des fantômes dont les membres sont dans un flux perpétuel. Le Mormon assiste à la messe avec dévotion ; le Catholique écoute attentivement le sermon mormon ; et peut-être demain chacun aura-t-il passé dans le camp opposé. Un homme avait été un pilier de l’Eglise Romaine pendant quinze ans ; sa femme étant morte, il décréta que c’était une pauvre religion qui ne pouvait conserver sa femme à un mari et il se fit Mormon. À en croire des gens bien informés, le catholicisme était de bon ton tant qu’on était en bonne santé, mais à l’approche de la maladie il devenait prudent de s’en, séparer. En tant que Mormon, vous aviez cinq chances sur six d’en réchapper ; comme Catholique, il y avait peu d’espoir ; et il se pourrait que cette opinion ait sa source dans le rite de l’Extrême-Onction. Nous savons tous ce que sont les catholiques, soit dans les Paumotu, soit chez nous. Mais le Pomotuan Mormon semble être un phénomène à part. Il n’épouse qu’une femme, se sert de la Bible protestante, observe les rites du culte protestant, interdit l’usage des liqueurs et du tabac, pratique le baptême des adultes par immersion, et après chaque faute publique, rebaptise le coupable. Je demandai des explications à Mahinui, qui était au courant de l’histoire des Mormons américains et il conclut qu’il n’existait entre eux aucun rapport. « Pour moi, me dit-il, avec une délicate charité, les Mormons ici, un petit Catholiques. » Quelques mois plus tard, j’eus l’occasion de rencontrer un compatriote à moi orthodoxe, un vieil Ecossais dissident, établi depuis longtemps à Tahiti, mais tout imprégné du parfum des bruyères de Tiree. « Pourquoi s’appellent-ils Mormons ? » lui demandai-je. « Mon cher, c’est ce que je me demande ! » s’écria-t-il, « car par tout ce que j’entends dire de leur doctrine, je n’ai rien à redire contre elle, et leur vie est à l’abri de tout reproche. » Et en dépit de tout cela, Mormons ils demeurent, mais de la première semence : avec les Joséphites, les disciples de Joseph Smith, les antagonistes de Brigham Young.
Admettons donc que les Mormons sont des Mormons. De nouveaux points d’interrogation se dressent : que sont les Israélites ? et que sont les Kanitus ? Pendant longtemps, la secte avait été divisée en Mormons proprement dits et en Israélites ; je n’ai jamais pu savoir pourquoi. Il y a quelques années vint un missionnaire nommé Williams, qui rassembla beaucoup de monde, puis s’en alla, laissant une nouvelle scission imminente. Quelque chose d’irrégulier dans sa façon d’ouvrir le service, me dit-on, avait fait lever partisans et adversaires ; l’Eglise fut une fois de plus divisée en deux, et de cette division une nouvelle secte naquit : les Kanitus.
Depuis ce temps, Kanitus et Israélites, de même que les Cameroniens, et les Presbyteriens unis, ont fait cause commune ; et l’histoire ecclésiastique des Pau-motu est, pour l’instant, dépourvue d’événements. Mais cela ne durera pas longtemps, et ces îles semblent bien devoir être l’Ecosse du Sud. Il y a deux choses que je n’ai jamais pu éclaircir : d’abord les innovations du Rév. Mr. Williams, que personne ne voulut m’expli-quer, et la signification du nom de Kanitu, que personne ne soupçonnait. Il n’était ni tahitien ni marquisan ; il n’y en avait pas trace dans cette ancienne langue des Paumotu, qui tombe rapidement en désuétude. Un homme, un prêtre, Dieu le bénisse ! suggéra que c’était le nom en latin d’un petit Dieu dans la nouvelle Guinée ; je laisse à plus audacieux le soin d’établir un rapport entre les deux. Mais voilà réellement une chose singulière : une secte, battant neuve, s’élevant aux acclamations populaires, et un mot dénué de tout sens inventé pour la baptiser.
Le mystère voulu semble évident, et, à en croire un observateur très intelligent, Mr. Magee de Mangareva, cet élément mystérieux est une des principales attractions de l’église mormone. Elle jouit de quelques-uns des statuts de notre franc-maçonnerie, et procure au néophyte une vague sensation d’aventure. D’autres attractions s’ajoutent certainement à celle-là. Le baptême sans cesse renouvelé, avec la succession des fêtes baptismales, est une particularité pleine de charme, vue du côté social comme du côté spirituel. Le fait que tous les fidèles aiment les offices est plus important, et plus importante encore, peut-être, la stricte observance de la discipline. « Le veto contre les liqueurs, – me dit Mr. Magee – leur amène une foule, d’adhérents. ». Il n’y a pas de doute que ces insulaires n’adoraient la boisson, et pas de doute qu’ils ne se plient à sa privation. La bombance d’un jour de fête est généralement suivie d’une semaine ou d’un mois de rigoureuse sobriété. Mr. Vilmot attribue cela à la frugalité des Paumotuans et à leur amour de l’épargne. Cela va bien plus loin. J’ai parlé d’une fête que j’avais donnée à bord du Casco. Pour digérer le pain et le jambon du bord, on donna le choix à chaque convive entre du rhum ou du sirop, et sur le nombre, un seul homme sur un ton de défi et parmi des éclats de gaieté – du « trum ! » Ceci se passait en public. J’eus la mesquinerie de répéter l’expérience chaque fois que j’en eus l’occasion, entre les quatre murs de ma maison ; et trois d’entre eux, au moins, qui en avaient refuse au festin, avalèrent du rhum gloutonnement derrière la porte. Mais d’autres résistèrent obstinément. J’ai dit que les vertus de la race étaient bourgeoises et puritaines ; et combien ceci est bourgeois ! et combien puritain ! et combien Ecossais ! et combien Yankee ! – la tentation, la résistance, la conformité hypocrite en public, les Pharisiens, les « Holy-Willies [19] » et les vrais disciples. Chez un tel peuple, la popularité d’une église ascétique est assurée ; dans ces règles strictes, dans cette surveillance perpétuelle, les faibles trouvent leur avantage et les forts un certain plaisir ; et la doctrine du baptême renouvelé, carte blanche et nouveau point de départ, réconforte bien des professionnels chancelants !
Il y a encore une autre secte, ou ce qu’on appelle – improprement sans doute, – une secte, celle des Whistlers [20]. Duncan Cameron, si en faveur chez les Mormons n’était pas moins condamné par les Whistlers. Et, pourtant, je ne sais, mais je continue de croire qu’il y a entre eux quelque connection, peut-être