David le demandait-il à Jéhovah, et ainsi je vous le demande, à vous, le Président des Etats-Unis ? Et voici tout ce que je puis vous donner au retour – c’est ce que j’ai reçu du Seigneur – l’amour – (aloha). »
CHAPITRE XI
« Le cochon-long ». Un haut lieu cannibale
Rien ne soulève notre dégoût comme le cannibalisme ; rien ne détruit aussi sûrement une société ; rien – nous pourrions le démontrer – n’endurcit et ne dégrade autant les esprits de ceux qui le pratiquent. Et pourtant, nous faisons, à peu de chose près, la même impression sur les Bouddhistes et les végétariens. Nous consommons les corps de créatures qui ont les mêmes appétits, les mêmes passions et les mêmes organes que nous ; nous mangeons des bébés qui, simplement, ne sont pas les nôtres, et l’abattoir résonne chaque jour de cris de souffrance et de terreur. Nous distinguons, c’est vrai, mais la répugnance de bien des peuples à manger du chien, l’animal le plus mêlé à notre intimité, montre bien sur quelles bases précaires repose la distinction. Le porc est l’élément principal de la nourriture animale aux îles, et j’ai eu bien des occasions, l’esprit avivé par mon entourage cannibale, d’observer son caractère et la façon dont il meurt. Beaucoup des insulaires vivent avec leurs porcs comme nous avec nos chiens ; les uns comme les autres vont et viennent, autour de l’âtre avec une même liberté ; et le porc des îles est un individu actif, entreprenant et plein de sens. Il épluche lui-même ses noix de coco, et – m’a-t-on dit – les roule au soleil pour les faire éclater ; il est la terreur du berger. Mrs. Stevenson, mère, en a vu un s’enfuir dans les bois, tenant un agneau entre les dents ; j’en ai vu un autre, croyant – à faux – que le Casco coulait, nager le long de la lisse dans l’eau tumultueuse, en quête d’un moyen d’évasion. On nous avait appris, dans notre enfance, que les porcs ne pouvaient pas nager ; j’en ai vu un sauter par-dessus bord, nager pendant cinq cents mètres pour gagner le rivage et retourner jusqu’à la maison de son ancien propriétaire. Je me suis trouvé, une fois, à Tautira, propriétaire de porcs, sur une échelle considérable. Tout d’abord, dans mon parc à cochons régnait une bienveillance universelle ; une petite truie, souffrant de coliques, était venue à nous, en quête de secours, avec des plaintes d’enfant ; il y avait aussi un beau sanglier noir que nous appelions Catholicus, car il était un présent, spécial des catholiques du village, et donna de bonne heure des marques de courage et d’aménité ; aucun autre animal, chien ou cochon, n’avait le droit de l’approcher au moment de ses repas ; mais, pour les hommes, il montrait une large part de cette tendresse servile, si commune chez les animaux inférieurs, et peut-être leur principal titre à cette appellation. Un jour, en visitant ma porcherie, je fus stupéfait de voir Catholicus bondir en arrière à mon approche, avec des cris de terreur ; et si je fus étonné du changement, je ne fus pas moins embarrassé quand j’en connus la cause. Un des cochons avait été tué le matin ; Catholicus avait assisté au meurtre ; il avait compris qu’il habitait une boucherie, et dès cet instant, sa confiance et sa joie de vivre étaient à jamais abolies ! Nous le gardâmes longtemps encore, mais il ne pouvait plus supporter la vue d’aucune créature à deux pattes, et nous-mêmes, dans ces circonstances, ne pouvions plus rencontrer son regard sans confusion. J’ai assisté depuis, au moins par l’oreille, à cet acte de boucherie ; je crois qu’à la rigueur j’aurais pu supporter les cris de souffrance de la victime, mais l’exécution fut mal faite, et son expression de terreur était contagieuse ; cet humble cœur battait au même diapason que les nôtres. C’est sur ces « redoutables fondations » que repose la vie des Européens, et cependant la race européenne est une des moins cruelles. Les apprêts de ces sortes de crimes, les brutalités préparatoires de son existence sont tous dissimulés ; une sensibilité extrême règne à la surface ; et les dames se trouveraient mal en écoutant la dixième partie de ce qu’elles exigent journellement de leur boucher. Sans doute, même, quelques-unes me maudiront-elles, dans leur cœur, pour la grossièreté de ce paragraphe ? De même pour les cannibales des îles. – Ils n’étaient pas cruels ; à l’exception de cette coutume, c’est une race d’une douceur extrême ; à proprement, parler, il y a moins de mal à couper la chair d’un homme après sa mort qu’à l’opprimer durant sa vie ; et même les victimes de leur appétit étaient traitées avec bonté tant qu’elles vivaient, et exécutées rapidement et sans souffrance. Dans les milieux raffinés des îles, on considérait, sans doute, comme de mauvais goût de s’étendre sur ce qui était laid en pratique.
On trouve des traces de cannibalisme d’un bout à l’autre du Pacifique, des Marquises à la Nouvelle-Guinée, de la Nouvelle-Zélande à Hawaï, ici dans tout l’épanouissement de son exercice, là, par des survivances plus faibles, mais significatives. C’est à Hawaï qu’on en trouve le moins. Nous ne relevons les chroniques du cannibalisme à Hawaï que pendant l’histoire d’une seule guerre, où il semble avoir été exceptionnel, comme dans le cas des proscrits montagnards, et de ceux qui tombèrent sous les coups de Thésée. À Tahiti un seul détail survivait, mais il parait concluant. Dans les temps historiques quand une oblation humaine était faite dans « le marae », les yeux de la victime étaient cérémonieusement offerts au chef ; attention délicate pour le principal invité. Toute la Mélanésie semble être contaminée. En Micronésie, dans les Marshall, où mes connaissances ne dépassent pas celles d’un touriste, je n’en pus relever aucune trace ; et même, dans la zone des Gilbert, j’ai longtemps observé et questionné en vain. Naturellement, on me parla d’hommes qui avaient été mangés au moment d’une famine ; mais ceci ne répondait pas à mes recherches, car, cela se produit sous la même pression, chez toutes les sortes et toutes les générations d’hommes. À la fin, dans des notes manuscrites du Dr Turner, que je fus autorisé à consulter à Malua, je tombai sur un témoignage odieux : dans l’île de Onoatoa, tout voleur était tué et mangé. Comment expliquerons-nous la généralité de cette coutume sur une si vaste étendue, parmi des peuples de civilisations si variées, et malgré tous les entrecroisements possibles, de sangs si différents ? Quelle circonstance leur est commune, sinon d’avoir vécu sur des îles dénuées, ou presque, d’animaux comestibles ? Mon appétit ne m’a jamais prouvé que l’homme fût créé pour ne vivre que de végétaux. Quand nos provisions baissaient, entre deux îles, je n’avais pas la force d’attendre le jour où l’économie nous permettrait d’ouvrir une misérable conserve de mouton. Et dans l’un, tout au moins, des dialectes insulaires, il y a un mot particulier pour dire qu’un homme est « affamé de poisson », ayant atteint le degré où les légumes ne peuvent plus le satisfaire, et où son âme, comme celle des Hébreux dans le désert commence à soupirer après les viandes d’Egypte. Ajoutez à cela les preuves de surpopulation et la famine imminente déjà mentionnée et je crois que nous trouverons quelques motifs d’indulgence pour le cannibale des îles.
Il est juste d’envisager les deux côtés de n’importe quelle question, mais je suis loin de faire l’apologie de ce vice plus que bestial. Les races polynésiennes supérieures, comme les Tahitiens, les Hawaïens et les Samoans, s’étaient élevées au-dessus de cette coutume, et quelques-unes d’entre elles l’avaient, en partie oubliée, avant que la moindre vergue de Cook ou de Bougainville se fût montrée dans leurs eaux. Elle ne persistait que dans quelques îles basses où on luttait péniblement pour subsister, ou parmi des sauvages invétérés, comme ceux de la Nouvelle-Zélande ou des Marquises. Les Marquisans avaient mêlé le cannibalisme à la trame même de leur vie ; le « cochon-long » était pour eux une monnaie courante et un sacrement ; il était le salaire de l’artiste, illustrait les événements publics, et était l’occasion et l’attraction de certaines fêtes. Aujourd’hui, ils paient la peine de cette sanglante compromission. Le pouvoir civil, dans sa croisade contre le cannibalisme, a dû examiner, l’un après l’autre, tous les arts et tous les plaisirs marquisans, les a trouvés l’un après l’autre entachés d’un élément cannibale, et les a, l’un après l’autre, marqués sur la liste de proscription. Leur art du tatouage était une chose unique, avec son exécution exquise, la beauté et la subtilité de ses dessins ; rien ne pare plus magnifiquement un bel homme ; il se peut que cela fasse un peu souffrir au début, mais je doute qu’à la longue, ce soit aussi pénible, et en tout cas, c’est autrement seyant que l’ignoble habitude qu’ont les femmes européennes de se serrer la taille. Et maintenant, on a trouvé bon d’interdire cet art. Leurs chansons et leurs danses étaient innombrables (et la loi a dû les abolir par douzaines). Ils contemplent, à présent, les mains vides, l’ennui de leurs jours monotones ; et qui aura pitié d’eux ? Les moins sévères diront qu’ils ont eu ce qu’ils méritaient.
La mort ne pouvait, à elle seule, satisfaire la vengeance du Marquisan ; il fallait que la chair fut mangée. Le Chef qui avait pris Mr. Whalon tenait à le manger ; et il croyait avoir justifié son désir en expliquant que c’était une vengeance. Il y a deux