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    2. Catriona (Les Aventures de David Balfour 2)
    3. Chapitre 49
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    à laquelle je m’étais livré m’avait appris qu’il se passerait bien quelques jours avant que ses malles pussent être rendues à Leyde, et il m’apparut nécessaire de lui procurer des effets de rechange. Elle refusa tout d’abord de me laisser faire cette dépense, mais je lui rappelai qu’elle était désormais la sœur d’un homme riche et qu’elle devait se vêtir conformément à son rang. Nous n’avions pas fait deux magasins qu’elle était tout à fait entrée dans mes vues et que ses yeux brillaient de plaisir. Je me réjouis de la voir manifester son contentement avec une telle ingénuité. Mais le plus extraordinaire fut que je m’y passionnai moi-même : je trouvais toujours qu’on ne lui avait pas encore acheté suffisamment, ni des choses assez belles, et je ne me lassais pas de la contempler sous ces diverses parures. Bref, je commençais à comprendre un peu l’intérêt excessif que miss Grant prenait à la toilette ; car à vrai dire, quand on a une belle personne à orner, la tâche s’embellit également. Les dentelles hollandaises, je dois le dire, étaient étonnamment jolies et bon marché, mais je n’oserais jamais avouer quel prix je payai pour lui avoir une paire de bas. Tout compte fait, je dépensai à ce genre d’amusement une somme telle que j’hésitai un bon moment à faire de nouveaux frais ; et par manière de compensation, je laissai nos chambres quasi vides. Pourvu que nous eussions des lits, que Catriona fût un peu bien vêtue, et que je manquasse point de lumière pour la contempler, nous étions pour mon compte assez richement logés.

    Ces achats terminés, je fus bien aise de la laisser rentrer chez nous avec toutes nos emplettes, et de m’en aller seul faire une longue promenade durant laquelle je me chapitrai. J’avais donc recueilli sous mon toit, et pour ainsi dire sur mon sein, une jeune fille des plus belles et que son innocence mettait en péril. Ma conversation avec le vieux Hollandais, et les mensonges auxquels je me trouvais contraint, m’avaient déjà permis de comprendre sous quel jour ma conduite devait apparaître à autrui : et à cette heure, les transports d’admiration que je venais d’éprouver et la prodigalité avec laquelle je m’étais livré à mes futiles achats m’incitaient à l’envisager comme fort hasardeuse. Je me demandai, au cas où j’aurais eu en réalité une sœur, si je la compromettrais de la sorte, puis jugeant le cas insoluble, je transformai ma question en celle-ci : confierais-je de la sorte Catriona aux mains d’un autre chrétien ? Et la réponse à cette question me fit monter le rouge au front. Puisque je me trouvais pris au piège d’une situation équivoque où j’avais moi-même fait tomber la jeune fille, c’était une raison de plus pour m’y conduire avec une scrupuleuse honnêteté. Elle dépendait exclusivement de moi pour son pain et son gîte ; au cas où j’alarmerais sa pudeur, elle n’avait aucune retraite. De plus, j’étais son hôte et son protecteur ; et m’étant mis dans cette situation irrégulière, je n’aurais aucune excuse si j’en profitais pour poursuivre même les plus honnêtes visées ; car avec les occasions qui s’offraient à moi, et qu’aucun parent raisonnable ne m’eût offertes un instant, ces plus honnêtes visées mêmes devenaient déloyales. Je compris qu’il me fallait être extrêmement réservé dans mes relations avec elle, sans rien exagérer toutefois, car, si je n’avais aucun droit de prendre des allures d’amoureux, je devais garder continuellement, et si possible agréablement, celles d’un hôte. Il était clair que j’allais avoir besoin de beaucoup de tact et de savoir-faire, de plus peut-être que mon âge ne le comportait. Mais je m’étais jeté dans une voie où les anges eux-mêmes auraient hésité à me suivre, et il n’y avait d’autre moyen de sortir de cette situation que de m’y bien conduire tant que je m’y trouvais. J’établis une série de règlements pour ma conduite ; je priai Dieu de me donner la force de les observer, et, en guise d’adjuvant plus humain, j’achetai un livre d’études juridiques. Ne voyant plus rien d’autre à faire, j’abandonnai ces graves considérations. Aussitôt mon esprit bouillonna d’une effervescence agréable, et je ne touchais plus terre en regagnant notre chez-nous. Comme je songeais à ce mot de chez nous, je revis en imagination celle qui m’attendait entre ces quatre murs, et mon cœur bondit dans ma poitrine.

    Sitôt de retour, mes ennuis commencèrent. Elle accourut au-devant de moi avec un plaisir évident et touchant. Elle était vêtue, en outre, uniquement des nouveaux effets que je lui avais achetés, et qui lui allaient admirablement bien ; et il lui fallut se promener par la chambre et me faire des révérences pour les déployer et me les faire admirer. Hors d’état de prononcer un mot, je m’y prêtai d’assez mauvaise grâce.

    – Allons, me dit-elle, puisque vous ne vous souciez pas de mes beaux ajustements, regardez ce que j’ai fait de nos deux chambres.

    Et elle me montra notre intérieur proprement balayé et les feux allumés dans les deux cheminées.

    Je saisis avec joie cette occasion de me montrer un peu plus sévère que je n’en avais envie.

    – Catriona, lui dis-je, je suis très mécontent de vous : vous ne devez jamais plus mettre la main à ma chambre. Tant que nous sommes ici ensemble il faut que l’un de nous deux prenne la direction ; il est plus convenable que ce soit moi qui suis à la fois l’homme et l’aîné ; et pour commencer tel est l’ordre que je vous donne.

    Elle m’adressa une révérence des plus séduisantes, et me dit :

    – David, si vous vous mettez à être méchant, je vais vous faire de belles manières. Je serai très obéissante, comme il se doit, puisque tout ce que j’ai sur moi vous appartient jusqu’au dernier fil. Mais il ne faut pas non plus que vous soyez trop méchant, car je n’ai personne autre que vous.

    Cette repartie me frappa vivement, et par manière de pénitence, je me hâtai d’effacer tout le bon effet de mon récent discours. Le progrès était plus facile dans cette nouvelle direction, car il n’y avait qu’à suivre la pente où Catriona, rieuse, me précédait. En la voyant ainsi, dans la clarté du feu, charmante et mutine, mon cœur acheva de s’amollir. Nous prîmes notre repas avec infiniment de gaieté tendre, et nous nous sentions si bien réunis que notre rire même avait l’air d’une caresse.

    Au milieu de cet entretien, je me rappelai mon devoir, m’excusai tant bien que mal, et d’un air bourru me plongeai dans mon livre d’études, un gros volume instructif de feu Dr Heineccius, que je venais d’acheter et que j’étais destiné à lire beaucoup les jours suivants, trop heureux parfois de n’avoir personne pour me demander ce que je lisais. Je crus voir qu’elle me boudait un peu, et cela me piqua. De fait, par cette occupation, je la laissais entièrement à elle-même, d’autant qu’elle n’aimait guère la lecture, et n’avait du reste pas de livre. Mais que pouvais-je faire d’autre ?

    De tout le reste de la soirée nous n’échangeâmes donc pour ainsi dire pas un mot.

    Je me serais battu. La colère et le repentir m’empêchèrent celle nuit-là de me mettre au lit, et je me promenai de long en large à pieds nus, jusqu’à n’en pouvoir plus de froid, car le feu s’était éteint, et il gelait à pierre fendre. L’idée qu’elle était dans la chambre voisine, et qu’elle m’écoutait peut-être marcher, le souvenir de ma morosité, que je devais continuer à pratiquer sous peine de déshonneur, me mettaient hors de moi. Je me trouvais entre Charybde et Scylla. Que doit-elle penser de moi ? telle était d’une part la pensée qui me faisait retomber continuellement dans ma faiblesse. Que va-t-il advenir de nous ? telle était l’autre qui m’endurcissait à nouveau dans ma résolution. Cette nuit d’insomnie et de déchirements intimes ne fut qu’un premier échantillon de celles, nombreuses, que je devais encore passer par la suite, à me promener comme un dément, ou bien à pleurer comme un enfant, ou encore à prier (du moins je l’espère) comme un chrétien.

    Mais prier n’est pas bien difficile, et on s’habitue à souffrir. En sa présence, et par-dessus tout si je me permettais le moindre début de familiarité, je n’étais plus guère maître de ce qui pouvait s’ensuivre. D’autre part, demeurer tout le jour dans la même chambre qu’elle, et feindre de m’intéresser à Heineccius, était au-delà de mes forces. Je finis donc par m’aviser d’un autre expédient. Je m’absentai le plus possible, et assistai régulièrement aux cours, – trop souvent avec un défaut d’attention dont j’ai retrouvé ces jours-ci un témoignage dans un cahier datant de cette période, alors que je cessais d’écouter le docte professeur pour griffonner en marge de ce cahier quelques vers latins exécrables, moins mauvais toutefois que je l’aurais cru. Ce procédé offrait quasi autant d’inconvénients que d’avantages. Il abrégeait à vrai dire la durée de mon épreuve, mais tant que je la subissais la tentation n’en était que plus vive. Car à force d’être livrée à la solitude, Catriona en vint à accueillir mon retour avec une ferveur croissante, et j’avais grand-peine à lui résister. Il me fallait repousser d’une façon barbare ces avances amicales ; et mon rejet la blessait parfois si cruellement que j’étais contraint pour l’apaiser de me déroidir et de lui prodiguer les amabilités. Si bien que notre temps se passait en haut et bas, en piques et déceptions, qui faisaient pour moi, si j’ose dire, une vraie crucifixion.

    Mon inquiétude essentielle avait trait à cette inconcevable naïveté de Catriona, qui me surprenait autant qu’elle m’emplissait de

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