que d’autres étaient résolus à m’assassiner tout net ; mais le sang de James criait contre lui ; et sa présente dissimulation à mon égard m’apparaissait indigne de pardon. Qu’il dût affecter de prendre plaisir à ma compagnie me mettait presque hors de moi. Je le considérais le cœur plein d’une rage sourde, et je songeais : « Ah ! tu as beau me dire : ami, ami ! si tu étais seulement franc au sujet de ce mémoire, ne me jetterais-tu pas dehors à coups de pied ? » En quoi je lui faisais – comme la suite l’a démontré – la plus grave injure ; et je pense qu’il était à la fois beaucoup plus sincère, et beaucoup plus habile comédien que je ne l’imaginais.
Mais j’étais confirmé dans mon incrédulité par la conduite de cette cour de jeunes avocats qui l’entouraient dans l’espoir d’obtenir son patronage. La soudaine faveur dont jouissait un garçon jusqu’alors inconnu les perturba tout d’abord considérablement ; mais deux jours ne s’étaient pas écoulés que je me trouvai moi-même environné de flatteries et d’adulations. J’étais le même jeune homme, et ni meilleur ni plus méritant, qu’ils avaient rejeté un mois plus tôt ; et à cette heure il n’y avait pas de civilité trop bonne pour moi. Le même, dis-je ? Non, pas tout à fait, à preuve le surnom que l’on m’appliquait derrière mon dos. Me voyant si lié avec le procureur, et se persuadant que je devais voler haut et loin, ils avaient emprunté un terme du jeu de golf, et m’appelaient « la balle en place ». Je m’entendais dire que j’étais à présent « l’un d’eux » ; j’allais tâter de leurs draps fins ; moi qui étais déjà familiarisé avec la rudesse de la paille la plus grossière ; et l’un de ceux à qui j’avais été présenté, dans Hope Park, eut l’audace de me rappeler cette rencontre. Je lui répondis que je n’avais pas le plaisir de me la rappeler.
– Comment, fit-il, mais c’est miss Grant elle-même qui m’a présenté à vous ! Je m’appelle Untel.
– Cela se peut très bien, monsieur, répliquai-je ; mais je n’en ai pas gardé le souvenir.
Il n’insista plus ; et au milieu du dégoût qui me submergeait d’ordinaire, j’éprouvai un instant de plaisir.
Mais je ne veux pas m’étendre sur cette période. Lorsque j’étais dans la compagnie de ces jeunes politiques, j’étais partagé entre la honte que j’éprouvais pour mes façons communes, et le mépris qu’ils m’inspiraient avec leur duplicité. Des deux maux, j’estimais Prestongrange le moindre ; et tandis que je restais roide et guindé avec ces jeunes fous, je savais assez dissimuler mes sentiments d’hostilité envers le procureur, pour être (comme le disait jadis M. Campbell) « souple avec le laird ». Celui-ci même s’aperçut de la différence, et me conseilla d’être plus de mon âge, et de me faire des amis de mes jeunes compagnons.
Je lui répondis que j’étais lent à me faire des amis.
– Soit, je retire le mot, dit-il. Mais il existe un : Bonjour et bonsoir, monsieur David. C’est avec ces mêmes jeunes gens que vous êtes destiné à passer vos jours et à traverser la vie : votre éloignement a un air de hauteur ; et si vous ne réussissez pas à affecter des manières un peu plus dégagées, je crains que vous ne rencontriez des difficultés sur votre chemin.
– Il n’est pas toujours commode de faire une bourse de soie avec une oreille de truie, répliquai-je.
Le 1er octobre au matin, je fus réveillé par les claquements de fers d’un courrier. Avant que le messager n’eût mis pied à terre, j’étais à ma fenêtre, et je vis qu’il avait mené son cheval grand train. Quelques minutes plus tard, je fus mandé chez Prestongrange, que je trouvai en robe de chambre et bonnet de nuit, attablé devant ses lettres éparses.
– Monsieur David, me dit-il, j’ai des nouvelles pour vous. Elles concernent certains de vos amis, dont je vous crois parfois un peu honteux, car vous n’avez jamais fait allusion à leur existence.
Je me sentis rougir.
– Je vois que vous m’entendez, et ce symptôme équivaut à une réponse. Je dois certes vous féliciter sur votre excellent goût en matière de beauté ; mais savez-vous bien, monsieur David, que cette jeune fille me paraît fort entreprenante ? Elle se multiplie. Le gouvernement d’Écosse trouve un obstacle dans miss Katrine Drummond, à peu près comme il lui est arrivé il n’y a pas bien longtemps avec un certain M. David Balfour. Ces deux-là ne feraient-ils pas un bon couple ? Sa première intervention dans la politique… Mais je ne dois pas vous raconter cela, car les autorités ont décrété que vous l’apprendriez d’une autre bouche plus jeune. Ce nouvel échantillon, toutefois, est plus sérieux ; et j’ai le regret de devoir vous annoncer qu’elle est en prison.
Je poussai un cri.
– Oui, reprit-il, la petite dame est en prison. Mais je ne voudrais pas vous mettre au désespoir. À moins que (aidé de vos amis et de leurs mémoires) vous n’arriviez à me renverser, elle n’a rien à craindre.
– Mais qu’a-t-elle fait ? De quoi l’accuse-t-on ? m’écriai-je.
– Cela pourrait presque s’appeler haute trahison, répliqua-t-il. Elle a forcé les portes du château royal d’Édimbourg.
– Je suis fort ami de cette demoiselle. Je sais que vous ne railleriez pas si la chose était sérieuse.
– Et c’est pourtant sérieux en un sens ; car ce bandit de Catrine – que nous pourrions aussi bien appeler Cateran – a lâché de nouveau sur le monde ce peu recommandable individu, son papa.
Je voyais se justifier une de mes prévisions : James More était de nouveau en liberté. Il avait prêté ses hommes pour me tenir prisonnier ; il avait offert son témoignage dans le procès d’Appin, et son témoignage derechef avait servi (peu importe par quel subterfuge) à influencer le jury. À cette heure il avait reçu sa récompense, et il était libre. Les autorités avaient beau faire croire à une évasion ; je ne m’y laissais pas prendre : – je savais que c’était là l’accomplissement d’un marché. Par le fait même, je n’avais plus à m’inquiéter le moins du monde pour Catriona. Elle pouvait passer pour avoir fait sortir son père de prison ; elle pouvait le croire elle-même. Mais dans toute l’affaire je reconnaissais la main de Prestongrange ; et j’étais sûr que, loin de permettre qu’elle fût punie, il ne lui laisserait même pas faire son procès. En conséquence je lâchai cette exclamation bien peu politique :
– Ah ! je m’y attendais !
– Vous avez pourtant quelquefois beaucoup de discernement ! répliqua Prestongrange.
– Qu’est-ce donc que mylord veut entendre par là ? demandai-je.
– Je m’étonnais simplement, reprit-il, qu’étant assez fin pour tirer ces conclusions, vous ne sachiez pas aussi les garder pour vous. Mais vous aimeriez, je crois, connaître le détail de l’affaire. J’en ai reçu deux versions : la moins officielle des deux est la plus complète et de beaucoup la plus intéressante, car elle est due à l’alerte plume de ma fille aînée. Voici ce qu’elle m’écrit : « Il n’est bruit dans toute la ville que d’un joli méfait, et ce qui rendrait la chose encore plus remarquable (si on le savait) c’est que le malfaiteur est une protégée de sa seigneurie mon papa. Vous avez sans doute trop à cœur votre devoir (sans parler du reste) pour avoir oublié les Yeux-Gris. Voilà-t-il pas qu’elle s’affuble d’un chapeau à larges bords, d’un grand surtout d’homme, et d’une épaisse cravate ; elle retrousse ses jupes jusque Dieu sait où, s’applique deux paires de guêtres sur les jambes, prend à la main une paire de souliers rapiécés, et en route pour le château ! Là, elle se fait passer pour un savetier aux gages de James More, et pénètre dans le cachot de celui-ci, tandis que le lieutenant (qui aimait à rire) plaisante avec ses soldats sur le surtout du savetier. Puis on entend une dispute et un bruit de coups à l’extérieur. Sort le savetier, l’habit au vent, les bords du chapeau rabattus sur le nez, et il s’enfuit poursuivi par les brocards du lieutenant et de ses hommes. Ceux-ci ne riaient plus d’aussi bon cœur lorsqu’ils eurent ensuite l’occasion de visiter le cachot, car ils n’y trouvèrent plus qu’une grande et jolie fille aux yeux gris, en habit féminin ! Quant au savetier, il était « au diable vauvert par-delà les montagnes », et il est probable que la malheureuse Écosse devra faire son deuil de son absence. Ce soir-là, j’ai bu en public à la santé de Catriona. En somme, toute la ville l’admire, et je crois que les élégants porteraient à leur boutonnière des morceaux de ses jarretières, s’ils réussissaient à s’en procurer. Je serais même allée volontiers la voir dans sa prison, mais je me suis rappelé à temps que je suis la fille à mon papa ; je lui ai donc, en place, écrit un billet que j’ai confié au fidèle Doig, et vous reconnaîtrez j’espère que je sais être politique quand je veux. Le même fidèle nigaud va vous dépêcher cette lettre par le courrier en compagnie de celles des soi-disant sages, de sorte que vous entendrez Tom le fou en même temps que Salomon. À propos de nigauds, dites-le à David Balfour. Je voudrais voir la tête qu’il fera en se figurant une fille aux longues jambes dans une telle situation ! sans parler des folâtreries de votre affectionnée fille, et sa respectueuse amie. » Sur quoi ma gredine a signé, continua Prestongrange. Et vous voyez, monsieur David, que ce que je